Rose s’élance vers le large dans l’est de la Tunisie. Cette tortue d’une vingtaine d’années vient de quitter un lieu unique au Maghreb qui offre une seconde chance à son espèce, menacée par la surpêche, la pollution et le changement climatique.
Il y a plus d’un mois, elle s’était prise dans des filets de pêche avant d’être emmenée au Centre de premiers soins des tortues marines de Sfax (centre-est), membre du programme européen Life Med Turtles, l’un des deux de ce type en Tunisie avec celui de Monastir (est). En Afrique du Nord, ce sont les seuls établissements de soins pour la tortue Caouanne, ou Caretta Caretta de son nom scientifique, l’espèce la plus répandue en Méditerranée et l’une des plus à risque.
Outre les soins aux tortues blessées qui, comme Rose, peuvent y rester un mois ou plus, le centre suit, avec des balises, leurs mouvements migratoires et s’efforce de sensibiliser les populations locales du Golfe de Gabès, dépendantes de la pêche. «Avant, nous étions ignorants. Les gens mangeaient (les tortues), les utilisaient pour la sorcellerie ou comme médicament. Aujourd’hui, grâce à la sensibilisation des pêcheurs, elle a plus de chances de survivre et de protéger notre écosystème», explique Hamadi Dahech, un pêcheur de 29 ans, en regardant s’éloigner du rivage sa protégée Rose qu’il a sauvée en septembre.
Prises au piège
Au moins 10 000 Caretta Caretta sont chaque année attrapées dans les filets des pêcheurs du Golfe de Gabès, signe d’une forte présence de cette espèce dans la zone, en dépit d’une activité industrielle et chimique intense. Le programme Life Med Turtles, qui couvre cinq pays méditerranéens (Albanie, Italie, Espagne, Tunisie et Turquie), a mis en évidence un taux de mortalité très élevé, de 70%, lié aux filets maillants - suspendus verticalement à des flotteurs - où les tortues se retrouvent prises au piège.
Désormais, au centre de soins de Sfax, ce sont souvent les pêcheurs qui apportent les Caretta Caretta blessées, reconnaissables à leur énorme tête. Certaines prennent le nom de leurs sauveurs comme Hamadi, un mâle de 46 kg et plus de 20 ans, qui vient d’arriver, ou Ayoub, un fragile bébé tortue, nourri à la seringue par les soignants.
Depuis la création du centre à l’été 2021, près de 80 tortues y ont été traitées avant d’être relâchées en mer, explique Imed Jribi, chef du Centre de premiers soins. «Nous prélevons des échantillons pour la recherche scientifique et soignons les tortues afin de les protéger. Ensuite, nous les remettons dans leur milieu naturel», dit-il. Selon lui, le centre a trois objectifs : la protection, la recherche et la sensibilisation, c’est pourquoi il «est ouvert à tous, chercheurs, lycéens et étudiants».
«Nocive» pour la santé
Ce week-end là, Malak Morali, une mère de famille de 30 ans, participe avec ses deux enfants à une opération de sensibilisation organisée par M. Jribi. «A chaque fois qu’il entend qu’il y aura des tortues, il veut venir prendre des photos et apprendre de nouvelles choses», souligne Malak, à propos de son garçonnet qui photographie Rose sous toutes les coutures. Grâce à cette campagne, Malak a appris que la chair de tortue est «nocive» pour la santé. «Nous avions l’habitude de dire qu’une fois cuite, c’était bon mais c’est le contraire», dit-elle.
A cause d’une forte pollution de leur habitat, les Caretta Caretta absorbent des métaux toxiques, comme le mercure, qui peuvent nuire à la santé humaine. Les tortues sont également très menacées par la pollution plastique, «car elles confondent les sachets en plastique avec des méduses», dont elles raffolent, selon Hamed Mallat, chercheur en biologie marine. Le réchauffement climatique, et la hausse des températures marines qu’il entraîne, représente également une grave menace, «notamment pour le déséquilibre qu’il provoque dans le ratio sexuel des tortues», explique Hamed Mallat. Selon une étude du National Ocean Service (Etats-Unis), si une tortue incube ses œufs sous les 27,7 degrés, elle produit aussi des mâles, mais au-dessus de 31 degrés, elle ne pondra que des femelles, avec un risque d’extinction de l’espèce.