II traite de la notion d’entreprise publique dans le système juridique algérien : Lecture de l’article 39 de l’ordonnance n° 10-01 portant LFC 2010I

29/07/2024 mis à jour: 22:37
1253

I – Présentation de l’article 39 


L’article 39 de cette de l’ordonnance n° 10-01 du 16 Ramadhan 1431 correspondant au 26 août 2010 portant loi de finances complémentaire pour 2010 dispose «Les actes portant création d’entreprises publiques économiques, augmentation de capital d’entreprises publiques économiques ainsi que ceux opérant transfert de droits réels immobiliers entre entreprises publiques économiques, dans le cadre de la réorganisation et/ou la restructuration d’entreprises publiques économiques, dûment autorisés par résolution du Conseil des participations de l’Etat, sont établis par l’administration des Domaines.»
La résolution du CPE n° 11/127/08/05/2012 dispense les EPE de demander son autorisation. 


Déjà à ce niveau, on constate l’entorse qui est faite à la hiérarchie des normes puisqu’une simple résolution va contredire une loi dans la mesure où cette dernière précise bien que cet article ne concerne que les entreprises «dûment autorisées par résolution du Conseil des participations de l’Etat» et la résolution se permet de supprimer cette condition, ce qui veut dire que dans ce cas, la résolution a plus de force juridique que la loi contrairement aux dispositions constitutionnelles. 


Dans tous les cas, la disposition contenue dans l’article 39 apporte une nouveauté dans la création des EPE par rapport aux textes en vigueur précédemment et qui continue à être en vigueur et provoque une série d’interrogations sur le plan juridique qui mérite d’être abordée.


D’abord en rappelant la nature juridique de l’EPE et ensuite les conséquences d’une pareille disposition sur la logique de la construction 


juridique des textes législatifs.

II – Le caractère commercial incontestable de l’entreprise publique économique 

Depuis 1988, la commercialité de l’entreprise publique économique est consacrée d’abord  par la loi d’orientation n° 88-01 qui dans son article 16 retient que «l’EPE dispose d’un capital social entièrement souscrit et libéré dans les formes prévues par les règles de droit commercial».

L’article 20 de la même loi précise que «les biens relevant du patrimoine de l’EPE.... sont cessibles, aliénables et saisissables selon les règles en usage dans le commerce».

L’article 27 du même texte ajoute que le représentant de la personne morale publique dans le conseil d’administration encourt les mêmes responsabilités civiles et pénales comme s’il était administrateur en son nom propre.   S’en est suivie l’ordonnance n° 95-25 relative aux capitaux marchands qui a abrogé la loi d’orientation n° 88-01, mais continue de confirmer la commercialité de l’EPE et précise que même leurs filiales sont régies par les mêmes dispositions.

L’article 24 de cette ordonnance confirme les caractères cessibles, aliénables et saisissables du patrimoine des EPE qu’il considère comme gage des créanciers sociaux.

Six ans après, intervient l’ordonnance n° 01-04 qui maintient la même nature commerciale de l’EPE et précise dans son article 3 que les modalités d’émission d’acquisition et de cession des valeurs mobilières sont régies par les dispositions du code commerce.
L’article 5 de cette ordonnance précise que la création, l’organisation et le fonctionnement des EPE obéissent aux formes propres aux sociétés de capitaux prévues par le code de commerce.  

Toutefois, une limite est fixée par l’article 6 de la même ordonnance qui prévoit que les EPE dont l’activité revêt un caractère stratégique au regard du programme du gouvernement peut être régie par un statut spécial fixé par voie réglementaire.
La loi de finances complémentaire pour l’année 2020 a fixé les activités stratégiques qui se limitent au secteur minier, l’amont du secteur énergétique et les industries de défense nationale. 

Cela signifie que tous les autres secteurs restent totalement et entièrement soumis au code de commerce.La loi n° 08-14 du 17 Rajab 1429 correspondant au 20 juillet 2008 modifiant et complétant la loi n° 90-30 du 1er décembre 1990 portant loi domaniale introduite dans l’article 4 de la loi n° 90-30 du 1er décembre 1990 l’alinéa suivant : 

«Hormis les apports faits aux entreprises publiques économiques, le domaine privé est imprescriptible et insaisissable. L’administration et l’aliénation des biens et droits mobiliers et immobiliers, relevant du domaine privé sont régies par les dispositions de la présente loi sous réserve des dispositions insérées dans d’autres textes législatifs.»

Cette même loi abroge l’article 107 de la loi n° 90-30 qui donnait au capital social des EPE le caractère d’inaliénabilité et d’insaisissabilité.

De tous les éléments qui précèdent, il ressort  indiscutablement que l’EPE relève du code de commerce, elle fonctionne de la même façon qu’une entreprise privée et nous pousse forcément à nous interroger sur les raisons qui ont poussé le législateur à décider de l’article 39 de l’ordonnance n° 10-01 du 16 Ramadhan 1431 correspondant au 26 août 2010 portant loi de finances complémentaire pour 2010.
 

III -  Les conséquences de la mise en œuvre de l’article 39 de l’ordonnance n° 10-01

Le premier constat qu’on fait est que la rédaction des statuts d’une EPE par l’administration des Domaines fait du statut ou de tout autre acte d’une entreprise publique économique lié à son capital ou à son changement un acte administratif puisqu’il sera désormais rédigé et signé par une administration et une administration ne peut produire que des actes administratifs.
 

Pour la première fois, l’administration des Domaines va se trouver à rédiger des actes privés puisque la création de sociétés commerciales est entièrement régie par le code de commerce et le code civil et normalement dans le contenu de ces statuts, l’administration des Domaines doit se référer à ces deux législations.

Ce qui signifie que toute contestation d’un statut d’une entreprise publique économique ne peut être effectuée que devant le juge administratif en vertu de l’article 800 du code de procédure civile et administrative et plus encore ces contestations seront basées sur les dispositions du code de commerce et du code civil.
 

Une pareille situation ne peut être qu’en contradiction avec le système juridique algérien basé sur la dualité des juridictions, l’une chargée d’appliquer le droit commun et l’autre chargée d’appliquer le droit administratif.

Cette disposition de la loi de finances aurait dû abroger l’ordonnance n°01-04, car cette dernière prévoit dans son article 2 que les EPE sont régies par le droit commun. 

L’article 5 de la même ordonnance prévoit que la création, l’organisation et le fonctionnement des EPE obéissent aux formes propres aux sociétés de capitaux prévues par le code de commerce.  
Il est évident que la disposition de la loi de finances est en totale contradiction avec ces deux articles et elle aurait dû prévoir leur abrogation mais elle ne l’a pas fait.

Mieux encore, l’ordonnance n° 01-04 est une loi spéciale et elle a priorité à être appliquée en vertu des différentes dispositions du code civil, alors que la loi de finances est à caractère général par rapport à cette matière.
 

IV- Quelle pourrait être la motivation de l’article 39 

Il a été avancé que cette disposition de l’article 39 permet d’éviter le paiement des honoraires du notaire qui sont très élevés. Or, quand on consulte le décret exécutif n° 08-243 du Aouel Chaâbane 1429 correspondant au 3 août 2008 fixant les honoraires du notaire, ce n’est pas le cas puisque si on prend l’exemple de la création d’une société d’un capital de 10 000 000 000 DA, cela donne 50 000 000 DA d’honoraires de notaire à raison de 0,50%.

D’ailleurs, même si c’était le cas, est-ce une raison pour déséquilibrer le système juridique ? Alors qu’il fallait juste agir sur les honoraires des notaires si on estimait qu’ils étaient trop élevés et qui étaient régis par décret exécutif.

Mieux encore, cette façon de rendre gratuit l’élaboration de statut va créer une inégalité devant le service public, puisque les entreprises à capitaux privés ne bénéficient pas de cette gratuité, alors que l’objectif est de mettre les deux types d’entreprises sur un pied d’égalité.

Cette anomalie n’est pas la seule puisque la seconde consiste à nommer le gestionnaire salarié principal par voie réglementaire, ce qui n’a aucun fondement juridique d’une part et que d’autre part cela est contradictoire avec le code de commerce ou le GSP doit être nommé par le conseil d’administration. 

Ce dernier étant en majorité, si ce n’est l’unanimité, constitué par des représentants du propriétaire qui est le CPE et la préservation de la forme doit consister à laisser le pouvoir de nomination par ce conseil qui ne nommera que celui choisi par le CPE ou par la tutelle elle-même sur simple instruction. 

Cette façon de faire permet au moins de préserver la forme et la préservation de la forme dans un système juridique est une des garanties de la sécurité juridique.

 

Par Mohamed Benkraouda
Association nationale des anciens magistrats de la Cour des comptes Anamcc.org 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.