Dans la gigantesque serre en fer forgé des jardins botaniques royaux, à l’ouest de la capitale britannique, Rafaël Govaerts étudie les palmiers luxuriants et les plantes tropicales conservées depuis 1848, dont certains spécimens ont déjà disparu à l’état sauvage.
Après 35 années de travail méticuleux, ce botaniste belge vient d’achever une tâche colossale : celle d’établir une liste de toutes les plantes vasculaires - avec tiges et racines - connues aujourd’hui sur la planète, en collaboration avec des scientifiques du monde entier.
On estime que 350 000 espèces de plantes ont été découvertes jusqu’à présent, et qu’il en reste encore 100 000 à formellement nommer. Or, les trois quarts d’entre elles sont déjà probablement menacées d’extinction, selon le rapport sur l’état des plantes et des champignons publié hier par cette institution botanique reconnue.
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont croisé les données de cette liste des plantes vasculaires avec la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Vu la menace que fait peser le changement climatique sur ces organismes, les 200 scientifiques à l’origine de ces travaux «conseillent donc de considérer toutes les espèces nouvellement décrites comme menacées», affirme Rafaël Govaerts auprès de l’AFP.
Selon ce rapport, les arbres, plantes herbacées ou cactus encore inconnus se cachent probablement dans les forêts du Brésil, de Chine ou de Nouvelle-Guinée, au cœur de régions reculées riche en biodiversité que les scientifiques vont désormais pouvoir cibler pour accélérer la «course» contre le changement climatique.
45% des plantes à fleurs déjà découvertes, dont certaines s’épanouissent dans l’atmosphère humide de la serre de Kew comme le poivrier noir d’Inde du Sud ou certaines orchidées, courent elles-aussi un risque d’extinction. Dans un laboratoire situé sous les jardins royaux, Lee Davies manipule avec précaution le reste d’une tarentule équatorienne, infectée par un champignon parasite appelé cordyceps qui s’attaque aux insectes et les transforme en «zombie» pour provoquer leur mort.
Barbe grise et tatouages de champignons sur les bras, le gestionnaire du plus grand «fungarium» (collection de champignons) du monde connaît sur le bout des doigts le contenu des milliers de boîtes vertes savamment étiquetées, qui contiennent plus de 1,25 million de spécimens séchés. «Nos collections couvrent 150 ans de recherche sur les champignons dans le monde», et le séquençage de l’ADN de ces spécimens sert de base pour identifier et nommer de nouvelles espèces, explique-t-il à l’AFP. Selon le rapport des Kew Gardens, seulement 10% des espèces des champignons ont été identifiées par les scientifiques sur les 2,5 millions existant sur la planète.
Laura Martinez-Suz, directrice de recherche en mycologie aux jardins botaniques, insiste sur la nécessité de nommer et décrire ces espèces afin de «définir les meilleurs moyens de les préserver (...) au moment où nous traversons une crise de la biodiversité».
«C’est la première étape pour pouvoir communiquer avec d’autres chercheurs, essayer de comprendre quel est le rôle de ces espèces dans les écosystèmes (...) et évaluer si elles sont menacées ou non», souligne-t-elle. A l’image du satyre voilé, un long champignon reconnaissable à sa «jupe» dentelée conservé depuis 1886 dans le fungarium, ces organismes aux bénéfices méconnus peuvent être sources de protéines, de vitamines et minéraux.
Les espèces encore inconnues représentent aussi «une énorme ressource inexploitée pour de nouveaux médicaments», contre la sclérose en plaques ou certains cancers, abonde Lee Davies.
Ces organismes qui vivent en symbiose avec les plantes sont aujourd’hui menacés par la pollution atmosphérique ou les espèces envahissantes, mais seulement 1% d’entre eux sont classés sur liste rouge. Les chercheurs plaident donc pour accélérer les efforts de conservation des champignons, au même titre que pour les plantes ou les animaux.