Houaria et l’honneur de la tribu

17/07/2024 mis à jour: 11:41
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La maison d’édition MIM a annoncé hier cesser son activité après des jours de campagne violente et haineuse sur les réseaux sociaux. Le texte du communiqué accompagnant cette mesure extrême reflète toute l’amertume et l’abattement de cette partie du milieu culturel qui résiste encore à l’hostilité ambiante et à ce nouveau fascisme décomplexé s’exerçant au nom de la religion et de la tradition contre la liberté de création. 

«Il n’y a aucun sens ni utilité à vouloir se dresser contre l’absurde» ; terrible sentence des propriétaires de la maison d’édition donnant à leur démarche le contenu accablé d’une impuissance dont les implications symboliques dépassent de très loin l’histoire de la disparition d’un établissement culturel. 

Depuis plusieurs jours, des milliers de post sur les réseaux sociaux hurlent au scandale et livrent à la vindicte populaire le roman Houaria et son autrice Inaam Beyoud, au prétexte que la fiction littéraire attente à la morale et aux valeurs algériennes, à la religion et… à la réputation de la région d’Oran.

 Le roman, récipiendaire récent du prix Assia Djebar, donne à suivre les destins accidentés de personnages écrasés par des strates de crises dans l’Algérie des années 1980 et 90, avec focal sur le personnage féminin, maillon faible et souffre-douleur vocationnel de l’univers masculinisé. Inaam Beyoud serait coupable du crime de faire parler les personnages dans le langage cru de leurs contextes et d’être allée fouiner dans des bas-fonds trop puants selon le goût général pour être dépeints dans un récit littéraire. 

Plus qu’une controverse, la massive campagne de lynchage n’a laissé que très peu de place à la solidarité exprimée par quelques intellectuels et écrivains se réveillant sur l’ampleur d’une régression théorisée qui rallie des adeptes survoltés, y compris dans le milieu culturel. 

Le boucan hystérique et dangereux, puisque des menaces directes auraient été adressées aux tenants de la maison d’édition et à l’autrice, risque d’être encore une fois mis sur le compte d’un effet pervers des possibilités qu’offrent les réseaux sociaux à l’expression publique sans filtre éthique, avec ces fièvres polémistes et emballements «algorithmiques» qui s’en emparent régulièrement. La tentation de chercher des explications factuelles et particulières à la cabale dans le cas de Beyoud pourrait en effet vite conclure à des concours de circonstances qui lui ôtent tout caractère exemplaire pour un expéditif et commode caractère anecdotique. 

Ce serait sans doute la meilleure façon de se dérober à la responsabilité de prendre la mesure des rétrécissements continus, consentis ou contraints, des marges d’expression artistique et d’expression tout court. Le tribunal postillonnant dressé au roman Houaria se serait de même dressé, sinon en plus violent, contre Tombéza ou L’honneur de la tribu de Rachid Mimouni, des textes de Boudjedra, Hadouga ou Ahlam Mostghanemi, s’ils avaient été édités de nos jours et passés à l’examen des cohortes de vigiles, ces «nouveaux janissaires», dixit l’écrivain Wassini Laaredj, qui veillent sur la piété générale et l’immaculé des traditions, pas seulement sur Facebook, mais aussi sur les plateaux de certaines télés, dans le milieu scolaire, voire universitaire, et autres censeurs improvisés dans les institutions… 

L’épisode rappelle une charge similaire qui, il y a moins de deux ans, avait ciblé un feuilleton télévisé au prétexte qu’il dénigrait un quartier populaire d’Alger et qu’il mettait en valeur des trafiquants de drogue et un vécu fait pour être dissimulé. Plus loin dans le temps, il y eut les tentatives du FIS de fermer des salles de cinéma et de délimiter aux barbelés de la charia les espaces interdits à la création. On a certainement affaire à la même matrice, même si elle se pare d’avatars nouveaux, plus sociaux que politiques, plus technologiques... 

Régulièrement, des montées au front ciblent les quelques productions qui viennent rompre la dèche ambiante, en se démarquant de ce «culturellement correct», de plus en plus offensif, capricieux et régressif. Et les ressorts d’indignation face aux censeurs semblent malheureusement bien rouillés. 
 

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