Le vendredi 27 janvier 2023, à 21 heures, j’ai été informé par téléphone du décès du Professeur Farid Chemat, décès qui eu lieu durant la matinée de cette même journée, en France. Sous le choc après l’annonce de cette terrible nouvelle que je trouvais «injuste» en mon for intérieur, eu égard à son âge pas trop avancé, je me suis longtemps interrogé sur l’opportunité de lui rendre, par voie de presse, un vibrant hommage, d’une part, pour la valeur scientifique et la probité intellectuelle qu’il véhiculait avec humilité, et d’autre part, pour sa louable contribution scientifique dans la formation et dans l’épanouissement de jeunes étudiants et chercheurs nationaux dans son domaine de recherche, durant près d’une dizaine d’années!
Après mûre réflexion, j’ai jugé que cela aurait été une erreur regrettable de ma part de ne pas faire connaître à nos concitoyens – surtout à notre jeunesse estudiantine – la richesse et la qualité des personnalités, duelles, tant humaine qu’intellectuelle du défunt, avant que, l’usure du temps n’efface son souvenir des mémoires… pour céder insidieusement place aux assauts perfides de l’oubli!
Natif de Blida, feu le Professeur Farid Chemat prépara avec succès en 1990, dans l’Université de cette même ville, un diplôme d’ingéniorat en dénie des procédés organiques. En 1994, il soutint avec brio sa thèse doctorale, sur le thème «conception et utilisation des réacteurs assistés soit par micro-ondes ou soit par ultra-sons dans le domaine de la synthèse organique», sous la direction du professeur J. Berlan, à l’Institut national polytechnique de Toulouse (France). Dans le cadre de sa recherche postdoctorale, durant trois années (1995-1997), il travailla avec les sociétés industrielles Rhône Poulenc (1995), Unilever (1996) et Prolabo-Merck (1997) sur le même axe de recherche «micro-ondes et ultrasons», le thème retenu cette fois, étant orienté sur «l’utilisation des réacteurs assistés par micro-ondes ou par ultrasons en vue d’opérations d’extraction en continu, à l’échelle du Laboratoire ou du «pilote» industriel». De 1997 à 1999, il adhéra, comme chercheur confirmé (senior researcher) au Laboratoire Technologies Innovantes du Pr P. Bartels, Université de Wageningen (Hollande). Fort de son expertise acquise dans le milieu industriel, le Professeur Farid Chemat, opta, en 1999, pour une carrière académique, indépendante, à l’Université de La Réunion (France) où il obtint, en 2004, son «Habilitation à diriger les recherches» sur l’axe de recherche «Produits naturels et alimentaires». Depuis 2006, et ce, jusqu’à son récent décès, feu Farid Chemat était professeur de chimie et directeur du Laboratoire intitulé «Groupe de recherche en éco-extraction des produits naturels» (portant le qualificatif de «Green» pour Green extraction techniques of natural products) à l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, France.
Son activité de recherche, orientée sur son axe de prédilection «Produits naturels et alimentaires», est illustrée par plus de 200 publications scientifiques dans des revues internationales, indexées, de haute audience, par plus d’une centaine de communications et de conférences dans des congrès spécialisés, ainsi que par une dizaine de contributions scientifiques en tant qu’éditeur d’ouvrages et/ou de rédacteur de certains de leurs chapitres internes. Enfin, depuis 2004, 6 brevets ont été officiellement déposés auprès d’instances internationales compétentes pour protéger l’originalité de ses travaux dans le domaine de l’extraction des produits naturels, assistée par les micro-ondes, par les ultra-sons ou par l’emploi de solvants écologiques (dits verts), et ce, toujours, soit à l’échelle «pilote» du milieu industriel ou à l’échelle du laboratoire. A cet effet, plusieurs entreprises du tissu des industries agro-alimentaires de la région avignonnaise ont su tirer profit des compétences du Pr Chemat pour résoudre différents problèmes techniques qu’elles rencontraient dans l’emploi révolutionnaire des micro-ondes et des ultra-sons dans leurs procédés de fabrication de produits commercialisés. La notoriété de son expertise dans le domaine de l’extraction assistée par chauffage micro-ondes ou par ultrasons lui ouvrit la voie royale d’être un consultant assidûment courtisé et d’être, d’une part, invité comme instructeur formateur au sein du Pôle européen d’innovation en fruits et légumes «PEIFL» et d’être, d’autre part, un membre influent du Pôle (français) Arômes, senteurs, saveurs (PASS).
En ce qui me concerne, j’ai eu l’opportunité et le grand plaisir de connaître et de côtoyer le Professeur Farid Chemat de la manière suivante : notre laboratoire de recherche, intitulé «Analyse Organique Fonctionnelle (LAOF)», situé au sein de la Faculté de chimie de l’Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène USTHB, à Bab Ezzouar (banlieue-est d’Alger), a développé, depuis 1974, parmi différents thèmes de recherche celui propre à «l’extraction et à l’analyse de produits naturels nationaux». De manière conventionnelle, et ce, même dans le milieu industriel, l’extraction d’une plante en vue de l’obtention de son huile essentielle, par exemple, se faisait toujours de par le monde, le plus souvent, par hydro-distillation ou par entraînement à la vapeur d’eau, pour une durée de 3 heures environ de chauffage, avec la crainte obsessionnelle d’une présence d’artéfacts dus au phénomène d’hydrolyse ! La même réaction, effectuée cette fois, en présence d’un four à micro-ondes se faisait, en moyenne, en 30 minutes pour un rendement global en essence de même ordre de grandeur, (si non meilleur), avec, en sus, une qualité intime des constituants de l’essence, bien supérieure, et ce, en l’absence de produits parasites. Jusqu’à la fin des années 90, l’extraction des produits naturels assistée par le chauffage micro-ondes était dans une étape de balbutiements, et seules quelques rares publications étaient reportées dans la littérature scientifique. La lecture des premiers travaux de Chemat Farid m’a fait prendre conscience de l’avancée technologique fulgurante, dans le domaine de la chimie extractive des agro-ressources que pouvaient tirer, avec l’aide de cette personne, les chercheurs du CRAPC (Centre de recherche scientifique et techniques en analyses physico-chimiques), centre rattaché au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS) et dont j’assumais, alors, la fonction de directeur. C’est ainsi qu’après une prise rapide de contact avec le Professeur Farid Chemat, alors qu’il venait fraîchement de rejoindre l’Université de La Réunion, et avec son accord préalable, durant près d’une douzaine d’années (2001-2012), il fut quatre fois, officiellement reconduit, au titre du tiers des chercheurs nationaux résidant à l’étranger, comme membre du conseil scientifique du CRAPC.
Au cours des séances de travail du conseil, les interventions orales du le Professeur Farid Chemat, étaient toujours écoutées avec intérêt par l’auditoire, surtout celles qui avaient un rapport particulier avec les projets de recherche (en cours de développement) de la division «Produits naturels et sciences des aliments» du Centre, axe de recherche dont il avait une parfaite maîtrise.
Les qualités scientifiques et humaines du Professeur Farid Chemat peuvent être illustrées par ces trois constats personnels suivants :
- D’une manière générale, les membres d’une assemblée consultative, de quelque ordre qu’elle soit, sont toujours officiellement choisis et invités par l’autorité compétente à des sessions de travail pour apporter leur expertise critique sur les domaines qu’ils couvrent.
Au-delà de cette activité «normale», puisqu’elle constitue l’objet principal des sessions du CS du CRAPC, auxquelles sont conviés tous les membres, le Pr Farid Chemat a, en outre, au cours de ses 4 mandats, pris physiquement attache avec des professeurs, des directeurs de recherche et même des étudiants pour des échanges d’information et même des encadrements en codirection sur le thème des «huiles essentielles». C’est ainsi qu’il a «essaimé» ce nouveau mode d’extraction, utilisant les technologies innovantes que sont le chauffage micro-ondes ou l’utilisation des ultra-sons, dans divers sites de recherche nationaux ! En plus du CRAPC, nous pouvons citer, entre autres, les Universités de Bab Ezzouar (USTHB), Blida, Tlemcen, Biskra, Tizi Ouzou, l’Ecole normale supérieure de Kouba (Alger), l’Ecole nationale polytechnique d’El Harrach (Alger), l’Institut national agronomique d’El Harrach (Alger)… De même, de nombreux étudiants et étudiantes ont eu la chance de finaliser leurs travaux de thèses dans son Laboratoire GREEN, à Avignon (France).
- Au cours de son premier mandat au CS du CRAPC, alors que les budgets d’équipements des Laboratoires d’Uuniversités et des centres de recherche du pays étaient très faiblement alimentés pour des raisons de contraintes financières drastiques du pays, le Professeur Farid Chemat me proposa, à titre d’expédient, d’acheter un four à micro-ondes domestique sur le marché national. Après avoir pris part, en magasin, au choix final de cet équipement, il prit lui-même ce dernier, chez un tourneur, pour diriger de main de maître les travaux de modifications nécessaires à son adaptation aux exigences techniques de son utilisation dans des opérations d’extraction de produits naturels. Lors de sa mise en route, à titre expérimental, quel ne fut le total émerveillement des jeunes chercheurs de la division concernée du CRAPC… et de moi-même, de voir que cet équipement artisanal fonctionnait admirablement de la même manière que celle d’un micro-ondes conçu pour la recherche !
Le Professeur Chemat était une «mine» de découverte de brevets ! Six brevets reliés à différentes variantes utilisées dans le mode de l’extraction assistée par le chauffage micro-ondes ou par ultra-sons avaient été officiellement déposés. Malgré son choix de vie à l’étranger, il était toujours très attaché et à l’écoute de son pays, l’Algérie. Lors d’un de ses séjours au CRAPC en tant que membre du CS, il me pria de lui prendre rendez-vous avec le directeur du Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), situé à Bouzaréah (Alger) et de l’accompagner à cet effet. Le Professeur Farid Chemat était venu solliciter l’adhésion du CDER à un projet de collaboration scientifique associant ce Centre au CRAPC (où il s’était inclus comme partie prenante) en vue de la réalisation d’un prototype d’équipement micro-ondes avec chauffage solaire au lieu du chauffage électrique classique. M. Chemat avait alors esquissé au directeur du CDER le design de l’équipement solaire souhaité, où les énigmes à résoudre restaient les paramètres expérimentaux (taille, géométrie, orientation…) de l’équipement solaire en vue d’une puissance optimale du rendement énergétique de l’équipement micro-ondes, en milieu désertique. M. Chemat n’a jamais reçu de réponse (positive ou négative) à cette proposition de la part du directeur du CDER, ce qui l’avait affecté !
Le Professeur Farid Chemat exerçait son métier d’enseignant comme un sacerdoce. Il était aimé de ses étudiants et il le leur rendait bien. Ainsi, il initia un nouveau Master intitulé «Agrosciences» dédié à la technologie alimentaire en se focalisant sur les extractions dites «vertes» d’ingrédients alimentaires avec pour objectif la formation théorique des étudiants en vue d’occuper les postes potentiels de responsable de production, de la qualité ou de directeur de recherche et de développement en entreprises. La qualité académique de cette formation avait conduit à un recrutement massif de ses étudiants par les entreprises industrielles de l’agro-alimentaire appartenant au terroir avignonnais.
Enfin, il est indéniable que depuis sa venue à Avignon, le Professeur Farid Chemat a contribué, par la qualité de son enseignement et des ses travaux de recherche, à une meilleure «visibilité» (classement) de l’Université d’Avignon dans le concert des universités européennes et même mondiales !
En présentant mes sincères condoléances à tous les membres de sa famille, je prie Allah, le Miséricordieux de l’accueillir dans Son Vaste Paradis.
Meklati Brahim Youcef,
ancien professeur à l’USTHB
ancien Directeur du CRAPC