Histoire : La «Pompéi britannique» offre de précieuses révélations sur la vie d’un village d’il y a 3000 ans

16/04/2024 mis à jour: 02:49
AFP
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Dessin représentant la vie quotidienne à l’intérieur de la maison principale du village de Must Farm, basé sur l’analyse des matériaux exhumés lors des fouilles

Les indices permettant de se figurer ce que pouvait être la vie en Grande-Bretagne durant l’âge du bronze (environ 2150-700 av. J.-C.) proviennent, en majorité, des archives archéologiques identifiées sur les sites fortifiés et religieux de paysages élevés et secs. 

Quelle ne fût alors pas la surprise des experts lors de la découverte des restes, au-dessus de la rivière sinueuse de Nene (est de l’Angleterre), d’un village sur pilotis. Il dresse un tableau inédit du quotidien d’il y a 3000 ans. Les habitants des quelques maisons du hameau de Must Farm, construites à environ deux mètres de l’eau, semblaient mener une vie paisible. Du moins, jusqu’à ce qu’un incendie dévastateur ne ravage le village et que les édifices ne s’effondrent dans la boue. C’est pourtant ce qui permet aujourd’hui aux spécialistes de l’Unité archéologique de l’université de Cambridge (Angleterre) d’étudier l’ensemble préhistorique, qu’ils surnomment «la Pompéi britannique». Ils publient les résultats de dix mois de fouilles dans deux rapports très complets.


Dans les marais des Fenlands, de précieux trésors

Le hameau de Must Farm a été construit autour de 850 av. J.-C., dans la région champêtre des Fenlands (ou «Fends») autrefois recouverte de marais d’eau douce. Découvert à la périphérie de la ville de Whittlesey, au nord-ouest de Cambridge, le site a été fouillé entre 2015 et 2016. Les recherches ont révélé des milliers d’objets domestiques, qui ont survécu grâce à la combinaison de leur carbonisation puis d’une imprégnation dans l’eau, dans plus d’1,8 mètres de tourbe et de limon : près de 200 artefacts en bois (bancs, manches, roues), 180 en fibres et textiles, 128 récipients en poterie, 90 pièces de métallerie (faucilles, haches, ciseaux, dague, rasoir à main). Plus encore, la rivière qui passait auparavant sous les habitations sur pilotis était probablement peu profonde, coulant lentement à travers une végétation dense. 

Après avoir été incendiés, les restes brûlants des bâtiments se sont retrouvés amortis par le sol marécageux, créant, en quelque sorte, un «miroir archéologique» de ce qui se trouvait au-dessus. L’équipe de recherche a ainsi pu cartographier la disposition des anciennes structures des fenlanders préhistoriques. Cinq d’entre elles ont été identifiées. Elles étaient autrefois reliées par des passerelles et entourées d’une clôture, réalisée avec des poteaux pointus en freine de presque deux mètres de haut. Il y a 3000 ans, elles étaient probablement deux fois plus nombreuses, accueillant, selon les chercheurs, au moins 60 personnes vivant en unités familiales. Toutefois, l’exploitation de la région en tant que carrière de briques en argile au XXe siècle a malheureusement effacé nombre de ces vestiges.


Une visite «en direct» d’une maison de l’âge du bronze

Ce qu’il en reste apporte en revanche de nombreux, voire de très nombreux indices sur la vie quotidienne de ses habitants. «Effectuer des recherches sur Must Farm, c’est un peu comme faire une visite de maison avec un agent immobilier dans une maison sur pilotis de l’âge du bronze», plaisante dans un communiqué David Gibson, archéologue de Cambridge et coauteur des rapports. 

L’une des principales maisons, toutes à l’architecture circulaire et aux planchers en osier, mesurait au moins 50 mètres carrés. Elle aurait été séparée en zones distinctes pour des activités spécifiques, comme c’est le cas dans les logements modernes. Les toits comportaient trois couches, de la paille isolante et de la tourbe scellées avec de l’argile, si bien que malgré les vents glaciaux de l’hiver, les bâtiments auraient été confortables.

 «Ces personnes étaient des constructeurs de maison confiants et accomplis», explique dans la publication Mark Knight, directeur du projet. Elles semblent malheureusement n’avoir servi qu’un court temps – neuf mois à un an, selon les estimations – avant d’avoir été détruites par le feu : leur bois de construction était «encore vert» ; les spécialistes n’y ont pas identifié d’insectes, tels que les vers à bois ; peu d›ossements d›animaux (poissons, bovins, moutons, porcs) dépecés ont été retrouvés ; les pots cassés étaient absents…  Les lointains locataires disposaient pourtant de contenants en céramique et en bois (tasses, bols, grands pots de stockage), empilés pour gagner de la place ; étant tombés directement en dessous de l’endroit où ils étaient stockés, ils donnent aux archéologues un aperçu direct de l’utilisation des maisons rondes. Une poterie comportait encore les empreintes digitales de l’individu qui l’a fabriqué… et le contenant de son dernier repas, une bouillie de grains de blé mélangée à des graisses animales (chèvre ou cerf). Une spatule en bois reposait toujours contre l’intérieur du bol.


Les restes de neuf bateaux en bois et de canoës creusés dans des troncs d’arbres, datés entre l’âge du bronze et l’âge du fer – et pour certains contemporains de Must Farm –, montrent que les voies navigables étaient probablement vitales pour le transport de matériel vers le village. 

De précieuses perles de verre et d’ambre ont d’ailleurs été découvertes, provenant de régions aussi éloignées que l’Europe du Nord et de l’Est et le Moyen-Orient. «A la fin de l’âge du bronze, les rivières de l’est de l’Angleterre étaient l’endroit où se trouver pour le commerce et les connexions, des sites comme Stonehenge étaient désormais en périphérie», ajoute Mark Knight au New York Times.


Les causes de l’incendie, encore bien mystérieuses

Sous la «villa» de 50 m2, une hache à demi-attachée intacte a aussi été mise à jour. Il aurait pu s’agir d’une offrande à une divinité après la construction du site, ou encore un type de «porte-bonheur». Elle n’aura pas amené la bonne fortune, puisque les flammes se seront rapidement propagées entre les habitations. 

L’effet de la chaleur intense et la chimie du sol humide auront néanmoins permis de préserver de manière exceptionnelle ses structures et objets. C’est ce qui rappelle d’ailleurs les corps et les artefacts de Pompéi (Italie), extrêmement bien conservés après l’éruption du mont Vésuve en 79 apr. J.-C. Mais contrairement à ces archives antiques, les détails de ce qui a causé l’incendie dramatique de Must Farm en 850 av. J.-C. sont probablement perdus dans le temps. Peut-être a-t-il été la conséquence d’un accident. 

Ou encore, d’une attaque de rivaux, car les fenlanders ne sont jamais revenus récupérer leurs biens facilement accessibles dans les eaux peu profondes. Les experts le rappellent, l’âge du bronze pouvait être une période violente, en témoignent les lances et épées découvertes sur le site. 

L’incident ne semble pas avoir été le responsable de décès humains. Des restes squelettiques de plusieurs jeunes moutons, probablement gardés à l’intérieur des maisons, montrent en revanche qu’ils ont été piégés et brûlés vif. Ils avaient environ trois à six mois, ce qui suggère – en fonction de la période à laquelle les animaux se reproduisent et mettent bas – que l’établissement a probablement été détruit à la fin de l’été ou au début de l’automne. La présence de chiens, animaux de compagnie ou possibles soutiens à la chasse, a aussi été dévoilée. Des analyses approfondies autour la «capsule temporelle» de Must Farm devraient donner lieu à de nouvelles publications. 

Pour le moment, c’est le seul site du genre décelé dans les anciens marécages. Tout porte pourtant à croire que d’autres similaires ont été construits avant et après l’incendie. «Il y a toutes les chances que les restes de nombreux autres de ces établissements sur pilotis soient enfouis à travers les Fens, en attente de notre découverte», conclut David Gibson.
 

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