Cinéaste formé à Moscou et ancien réalisateur à l’ex-RTA, essayiste et romancier, né en 1947 à Biskra, Hassan Bouabdellah qui a bourlingué en Europe et aux Etats-Unis, n’a pas mâché ses mots pour fustiger le secteur de la culture nationale «dirigé par des responsables incapables n’ayant pas la conscience de la valeur de leurs activités, car ils naviguent à vue en dehors d’une véritable politique culturelle», a-t-il lancé lors de la dernière édition du Café littéraire de Biskra.
Une occasion, suscitée par la présence de Hassan Bouabdallah pour ouvrir le débat sur les notions de culture nationale, du mode de promotion des artefacts et référents culturels locaux et sur la nécessité d’écrire et de fixer le récit national en ouvrant la voie aux artistes, créateurs et hommes de culture et de talent affirmé. «Comme les animaux revenant dans leur pays natal, je suis heureux d’être parmi vous pour discuter de la problématique de la culture qui est pour moi l’influence de l’éducation nous permettant de changer notre appréhension des choses de la vie et de remodeler nos comportements afin d’évoluer dans une cohésion sociale.
C’est le fil conducteur de toutes mes préoccupations et de mes œuvres tout le long de ma vie et depuis mon plus jeune âge à l’époque coloniale. A 75 ans, je peux dire que notre façon de développer notre culture et nos villes est déficiente à bien des égards», a-t-il souligné.
Estimant que l’Algérie enregistre des réussites dans le domaine de la scolarisation de 100% de ses enfants, de la formation des médecins ainsi que dans l’amélioration du niveau de vie et de la couverture sanitaire de la population, le conférencier a néanmoins estimé que la culture nationale, l’architecture et les arts picturaux, littéraires et audiovisuels algériens avaient été relégués au second plan ou bénéficiaient cycliquement d’un intérêt factuel et inopérant et que les villes algériennes subissaient les affres d’une culture agraire provoquée par l’exode rural laquelle culture ancestrale est à bannir «même si elle a été nécessaire durant la nuit coloniale, car elle est basée sur la solidarité et l’entraide communautaire», selon ses dires.
La culture nationale et l’architecture pâtissent d’un manque de promotion institutionnelle et de professionnalisme. Nos villes sont laides et impersonnelles, car bâties et étendues sous le sceau d’une culture rurale définitivement inadaptée, paralysante et obsolète dans les espaces citadins modernes requérant discipline, respect des autres et des espaces publics.
Regardez la circulation routière dans les villes et l’inculture et la méconnaissance des fondements des arts caractérisant les masses populaires et vous aurez une idée du chemin qu’il reste à parcourir pour former le public à la précision dans ses choix, à la sensibilité artistique, au respect de l’imaginaire de l’autre et au droit à la créativité.
POUR UN MINISTÈRE DE LA CULTURE RÉGALIEN
Et d’ajouter : «Mon ami Issiakhem était révulsé par ses admirateurs pour qui ses œuvres étaient ésotériques, car ceux-ci n’avaient pas les clés et le savoir nécessaires pour entrer dans ses tableaux. Regardez l’université de Constantine réalisée par Oscar Niemeyer à qui Boumediène a donné carte blanche et qui est en substance l’exemple type du projet architectural certes moderne, mais constituant une dichotomie flagrante entre la culture et la sensibilité de son concepteur et la culture et le niveau de technicité des utilisateurs.
C’est étrange, nous voulons des portables, des ordinateurs, des voitures, des avions et tous les bienfaits de la modernité, mais nous voulons aussi y évoluer avec des mentalités rétrogrades et dépassées.
Ce n’est plus possible», a expliqué Hassan Bouabdallah provoquant des réactions en chaîne d’intervenants validant ou contredisant son discours. Prônant de conférer au ministère de la Culture un caractère régalien et de le doter de ressources humaines, financières et matérielles nécessaires, la mise en place d’une instance de professionnels en architecture afin de fixer les caractéristiques urbanistiques devant être respectées pour garder le cachet architectural de chaque région d’Algérie et de mettre à la disposition des écoliers et des lycéens des «Gymnases de l’art» où ceux-ci pourraient exprimer leurs talents artistiques et affiner leurs techniques d’expression, Hassan Bouabdallah a des idées plein la tête pour promouvoir l’art et le cinéma nationaux, car «on ne construit pas un gratte-ciel en torchis», a-t-il souligné.
Ayant à son actif des œuvres cinématographiques d’excellente facture dont Barberousse, mes sœurs, Bonjour Séville ou Les gardiens de musée ou la Solitude, des documentaires consacrés aux 100 chefs d’œuvres du musée des Beaux-arts d’Alger, à Issiakhem, Baya, Racim, Bettina Heinen-Ayach ainsi qu’une multitude d’articles sur la thématique de l’art et de la culture, Hassan Bouabdallah est aussi un écrivain, a-t-il révélé à son public de Biskra en présentant L’insurrection des sauterelles qui «est un premier roman de fureur, d’amour, de luttes et de légendes algériennes sans complaisance pour quiconque pas même pour le narrateur», est-il annoté en 4e de couverture.
Nullement blasé, il garde dans ses tiroirs le projet d’un film sur les événements du Dimanche noir de Biskra, a-t-on appris.