Le gouverneur de la Banque du Japon Haruhiko Kuroda, défenseur acharné d’une politique monétaire non conventionnelle inscrite dans la durée, achèvera le 8 avril son deuxième et dernier mandat après dix ans à ce poste, un record national.
Voici cinq phases ou épisodes marquants de son parcours à la tête de la BoJ, dont les actifs ont plus que quadruplé depuis son arrivée aux commandes en 2013, jusqu’à dépasser la valeur du PIB annuel du Japon, une première pour un pays du G7.
L’archer des «Abenomics»
Début 2013, le Premier ministre japonais Shinzo Abe, qui vient de revenir au pouvoir, a trouvé l’homme qu’il lui faut pour décocher la première «flèche» des «Abenomics», sa politique économique de relance XXL pour réveiller la croissance et en finir avec la déflation minant le pays depuis les années 1990. Ancien haut fonctionnaire du ministère des Finances, Haruhiko Kuroda a aussi un profil international: ancien étudiant d’Oxford, il parle couramment l’anglais et a présidé pendant huit ans la Banque asiatique de développement. Surtout, il adhère totalement au projet du nouveau gouvernement de porter l’inflation à 2% avec un «bazooka» monétaire (des achats d’actifs massifs). Il promet de «faire tout ce qui est possible pour vaincre la déflation» et pense avec optimisme pouvoir réussir sa mission en deux ans.
L’esprit de Peter Pan
En 2015, les Abenomics ont déjà du plomb dans l’aile. L’économie japonaise tousse de nouveau et l’inflation reste proche de zéro. Mais M. Kuroda veut rester confiant. «Si l’on se met à douter qu’on peut voler, on devient à jamais incapable de le faire», lance-t-il lors d’une conférence de presse en évoquant le conte de Peter Pan. Mais cette référence littéraire se retourne contre lui: des observateurs ironisent en se demandant si M. Kuroda ne veut pas voir la réalité en face, comme le héros du Pays imaginaire.
Mesures extrêmes
Sous M. Kuroda, la BoJ amplifie considérablement ses achats d’actifs qui atteignent l’équivalent de plusieurs centaines de milliards d’euros par an. Mais comme ce gigantesque programme d’«assouplissement qualitatif et quantitatif» (QQE) ne suffit pas, l’institution va recourir à partir de 2016 à des moyens encore plus radicaux. Elle instaure par surprise un taux négatif de -0,1% sur les dépôts des banques auprès d’elle, pour les inciter à investir davantage dans l’économie réelle. Elle introduit peu après un autre outil encore plus rare: un contrôle de la courbe des rendements des obligations japonaises à dix ans, pour les maintenir autour de 0%.
Dans l’impasse
La BoJ s’enferme ensuite dans un long statu quo : elle semble avoir tout essayé mais comme la croissance et l’inflation japonaises ne sont toujours pas à la hauteur des attentes, pas question non plus de resserrer la vis. Faute de réformes structurelles suffisantes pour dynamiser les salaires et face à son vieillissement démographique accéléré, le Japon devient toujours plus dépendant d’une politique monétaire ultra-accommodante associée à des plans de relance budgétaire. Le choc économique provoqué par la pandémie de Covid-19 en 2020 aggrave encore cette tendance.
Envers et contre tous
En 2022, la flambée de l’inflation dans le monde oblige la plupart des banques centrales à resserrer drastiquement leurs politiques monétaires. Mais la BoJ fait de la résistance. Car même si l’inflation se réveille enfin au Japon, elle est essentiellement tirée par des coûts importés et non par la demande intérieure. Or, la BoJ veut voir des hausses de salaires suffisantes et durables avant d’amorcer une normalisation de sa politique. Le décalage grandissant entre la BoJ et les autres grandes banques centrales, surtout la Fed américaine, fait plonger la valeur du yen à son plus bas niveau en 32 ans face au dollar, affaiblissant le pouvoir d’achat des ménages nippons. De plus en plus impopulaire au Japon, M. Kuroda garde cependant la confiance du gouvernement, qui vend plusieurs dizaines de milliards de dollars des réserves de change du Japon pour soutenir le yen. Fin 2022, nouvelle surprise: la BoJ lâche un peu de lest sur son contrôle des rendements obligataires, une décision visant selon M. Kuroda à corriger des distorsions de marché engendrées par sa politique, qu’il ne remet cependant pas en cause. Mais la crédibilité de la BoJ s’en retrouve affectée et les spéculations sur un éventuel prochain revirement de sa politique sont revenues au galop.