Hamoud Ibaouni. Cadre retraité passionné par l’histoire : «L’essor du tourisme passe par la valorisation du patrimoine historique»

14/09/2022 mis à jour: 08:52
5805

-Vous menez des recherches très approfondies et documentées sur l’histoire et les sites archéologiques de la wilaya. Qu’est-ce qui a motivé votre démarche ?
 

Ce sont des amis qui m’ont encouragé à m’intéresser à l’archéologie et l’histoire et c’est devenu au fil des temps une passion. Ce qui m’a motivé le plus, ce sont les découvertes de sites archéologiques inconnus du grand public et qui sont très intéressants pour l’écriture de notre histoire. 

Les réactions du public dans les réseaux sociaux, avides de connaître son patrimoine, m’ont incité à élargir ces prospections aux vestiges et sites liés à l’histoire de la guerre de Libération. Et parfois ce sont de simples citoyens qui m’appellent pour m’indiquer tel ou tel endroit susceptible de livrer des informations sur notre histoire. 
 

La wilaya regorge de sites d’une grande valeur historique, mais la quasi-totalité est laissée à l’abandon…
Je n’ai jamais compris pourquoi sur 93 sites archéologiques répertoriés à travers la wilaya par l’Atlas archéologique de l’Algérie, il n’y a que trois ou quatre qui sont classés officiellement et la plupart se trouve à Dellys.

 Il est tout de même étonnant qu’un site comme celui de Thénia ou Hadj Ahmed (Zemmouri), par exemple, qui racontent l’histoire de Firmus et sa famille, ne soit pas classé. Et même les sites classés sont abandonnés à leur triste sort. C’est le cas de Goubet Mohamed Edebbah (Caïd de Sebaou) de Tidjellabine évoqué par de nombreux historiens dont Saïd Boulifa. Ce site remonte à l’époque ottomane et il n’a jamais été restauré depuis sa destruction par le séisme du 21 mai 2003. 

On peut citer aussi la tombe de Mohamed El Boumerdassi située à Haouch Broc et qui a été visitée par l’émir Abdelkader. Elle aussi se trouve dans un état déplorable. Et plus grave encore, le site Mars Eddadjadj de Zemmouri cité par El Bakri et Al Idrissi et de nombreux historiens a été affecté en 2007 à l’agence foncière locale (AGF) pour y réaliser un lotissement de villas individuelles.

 Au premier coup de pioche, les pelleteuses de l’AGF ont retiré de nombreux vestiges et c’est à ce moment-là qu’on s’est rendu compte de l’existence du site bien que tous les géographes et historiens avaient presque localisé les lieux de ce site qui remonte à l’époque punique.

 Mais d’autres sites n’ont pas eu cette chance. Le petit fort antique d’Aït Amrane qui remonte au IIIe siècle, a fini par accueillir un centre de formation professionnelle en dépit des vestiges dégagés lors des travaux. C’est pour vous dire qu’on donne peu d’importance à l’histoire. Même le plan d’aménagement du territoire de la wilaya (PAWT) fait abstraction de ces sites. 
 

-Vos publications sur les réseaux sociaux suscitent un grand intérêt de la part du public. Que révèle cet engouement ? 
 

Oui c’est ce que j’ai remarqué. D’ailleurs, cet engouement a été une autre motivation pour moi et certains amis sur Facebook m’ont été d’une grande utilité. La découverte d’un mausolée datant de l’époque romaine à Ouled Aissa a été faite grâce à un internaute. Même chose pour le Fondouk de Khemis El Khechna, qui remonte à l’époque ottomane dont tout le monde pensait qu’il avait disparu, mais on y a pu retrouver quelques vestiges de ce lieu. Le plus étonnant, c’est le site qui abrite le fameux Castellum Subicarense à Zemmouri auquel l’auteur de ««l’histoire du bas empire» Charles le Beau, fait référence lorsqu’il évoque l’endroit où a été livré le prince berbère Firmus. 

Ce site qui abrite des vestiges intéressants est, malheureusement, complètement abandonné. Comme tous les autres, il risque même de disparaître à jamais à cause de la prolifération des constructions dans cet endroit. A Afir, il y a un site préhistorique unique en Algérie. Il s’agit des grottes de Markoune qui renferment des gravures rupestres et qui ont fait l’objet d’une étude par d’éminents spécialistes, en l’occurrence Chaïd Saoudi Yasmina et Oubraham Djouher. 

Ces grottes, protégées par les habitants des alentours, sont inaccessibles faute de route praticable. Récemment, on a découvert un important site antique à Aït sis dans un endroit pittoresque, ce qui peut attirer les touristes. 
 

-Les autorités auraient peuvent-elles se rattraper et aménager ces sites pour diversifier l’offre touristique ? 
 

Lorsque des journalistes m’appellent pour les accompagner ou leur parler de tel ou tel site, ils me disent que les autorités locales ne connaissent que la Casbah de Dellys, elle aussi est délaissée. 

Or, la wilaya compte des dizaines d’autres sites historiques qui peuvent être de véritables attractions touristiques. Car l’essor du tourisme passe aussi par la valorisation de ce patrimoine historique. Mais on n’a rien fait pour faire connaître ces sites au grand public notamment ceux situés dans les montagnes pittoresques d’Ammal, Afir, Timezrit, Chabet El Ameur, Djenet, Naciria, Bouzegza. 

Ce sont ces contrées avec leurs zones d’ombre qui éclairent nos mémoires et parlent de notre passé. Il y a aussi des sites historiques qui racontent les hauts faits de notre guerre de libération comme c’est le cas de Djebel Djerrah où a eu lieu la fameuse embuscade dite de Palestro menée par le commando Ali Khodja ou encore les montagnes de Bouzegza où a eu lieu la fameuse bataille d’août 1957. 

Cela sans oublier les 20 centres de torture qui sont tous abandonné alors qu’ils doivent être classés transformés en lieux de pèlerinage pour les touristes et les jeunes générations. En 2018, le gouvernement a demandé l’ouverture de mini-musées dans chaque localité. Ceci n’a jamais été traduit dans les faits. 

 

 Propos recueillis par  R. Kebbabi 

 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.