Le port du turban «toutia», jadis en vogue dans les wilayas de l’ouest du pays, enregistre un recul remarquable sous l’effet de mutations sociales et culturelles. Ce couvre-chef traditionnel du patrimoine matériel et immatériel algérien qui supplantait les chapeaux et casquettes en raison de son originalité et de ses valeurs historique, culturelle et esthétique, faisait des émules parmi les grands et les petits, à une époque non lointaine.
A l’instar de différents turbans portés dans les quatre coins du pays, «toutia», appelée communément «razza safra», représentait le symbole de l’authenticité, de la magnanimité et de la bienveillance pour les Oranais qui l’utilisaient pour se protéger contre le froid et contre les coups de soleil, tout en le considérant comme signe de beauté et l’élégance lors des fêtes et cérémonies, mais aussi lors de réunions et rencontres de bon aloi, selon des artisans. Du point de vue croyance, d’aucuns voient en cette étoffe une signification religieuse, conçue comme un couvre-chef perpétuant la Sunna du prophète Mohamed (QSSSL), selon Mokhtar, un octogénaire qui porte jalousement une «toutia», soutenant mordicus que garder la tête nue était une «infraction» à la religion et aux coutumes et traditions. Dans la mémoire collective, le turban est considéré comme expression de l’identité que le colonisateur français tentait, en vain, d’effacer en usant de tous les moyens, a-t-il dit.
A titre illustratif, Mokhtar a rappelé que le colonisateur français se faisait un malin plaisir d’ôter aux Algériens jugés gênants leurs turbans pour leur ligoter avec les mains et les humilier, geste qui représente une offense pour le peuple algérien qui considère le turban comme un prestige et une source de fierté. Le lui ôter, c’est le railler, le bafouer et l’humilier. Si les avis divergent quant à la date d’apparition du turban «toutia», tout le monde s’accorde à dire que cette coiffure masculine traditionnelle existe depuis bien des siècles dans toute l’Algérie, notamment dans l’ouest du pays.
L’appellation «toutia» est relative aux motifs reproduisant les fruits du mûrier, à la forme d’un pois-chiche, parfaitement brodés en fils de soie sur du tissu importé et/ou confectionné localement, a expliqué à l’APS la doyenne des couturières d’Oran, Fatima Sedar. Le port de cette pièce traditionnelle de trois mètres de long et 40 centimètres de large diffère d’une région à une autre et d’une wilaya à l’autre.
Le turban de la région des Beni Chougrane (Mascara) diffère de celui d’Oran, de Relizane et de Mostaganem, selon l’artisane Fatima Sedar, qui a relevé que le turban se porte avec un pantalon large, un gilet, une gaine, des chaussures «zaggai» ou «zit zit», une montre de poche, une abaya (large manteau), le tout drapé dans un burnous assorti d’une canne, comme signe d’élégance. Le turban «toutia» ne prend pas une forme circulaire et est de trois couleurs.
Chaque couleur renseigne sur une indication, une région. La couleur jaune était en vogue à Oran et nombre de wilayas dont Relizane, Tiaret, Saida et Sidi Bel Abbés.Les Mostaganémois ont plutôt un attrait pour la couleur brune. La couleur rougeâtre est peu prisée, a indiqué un commerçant au marché du quartier populaire Medina Jdida. Porté jusqu’à la fin des années 80 du siècle dernier, ce turban, ou comme aiment à l’appeler certaines personnes «33 tours», enregistre un recul remarquable sous l’effet de mutations sociales et culturelles. En effet, devant la prolifération de variétés de couvre-chefs de pays arabes et l’utilisation de plus en plus généralisée de chapeaux occidentaux (casquettes, bérets...), l’engouement pour la «razza safra» s’est estompé au fil du temps, rendant ce turban quasi absent sur les étalages, à l’exception des boutiques de la place Tahtaha à haï Medina Jdida considérée comme le plus grand marché d’habits traditionnels dans l’Ouest algérien.
Démarches pour la réhabilitation de ce legs
Par conséquent, le prix peut dépasser les 7000 DA, le turban n’est désormais acquis que par certaines personnes financièrement aisées. Cependant, le turban «toutia» enregistre, à ce jour, une forte présence sur la scène artistique, notamment dans les manifestations culturelles dont les spectacles de cavalerie fantasia, organisés lors des waâdas et les galas et soirées de la chanson bédouine, à l’image de grands chantres dont le regretté Cheikh El Djillali Ain Tédelès. Le port de ce turban est encore observé chez de jeunes poètes du melhoun lors de festivals et lectures poétiques du patrimoine et des personnages dans des œuvres théâtrales et cinématographiques renvoyant à des périodes et des époques de l’histoire glorieuse de l’Algérie.
A l’instar du regretté artiste Hassan El Hassani dit Boubagra, qui portait un turban jaune dans ses différentes œuvres, l’humoriste Houari Louz, natif d’Oran, tient à mettre en lumière le turban toutia comme patrimoine culturel algérien, dans ses œuvres télévisuelles, des représentations théâtrales et des sketches et lors de cérémonies d’ouverture et de clôture de manifestations théâtrales au niveau national et à l’étranger, et même lorsqu’il se présente sur la scène pour recevoir un prix.
L’association du club de l’artisan de couture Mains d’or œuvre, de son côté, à faire la promotion du turban «toutia» et du turban blanc «kenbouche» lors de défilés de mode consacrés à l’habit traditionnel et de manifestations culturelles sur le patrimoine organisées de temps à autre par la Chambre de l’artisanat et des métiers (CAM) d’Oran, selon le président de l’association Abdelwahab Charef Afghoul, qui est vice-président de la CAM. Des amateurs du patrimoine à Oran trouvent que le port de turbans par des agents et serveurs dans les restaurants étoilés, les complexes touristiques et les établissements hôteliers classés, est nécessaire pour la réhabilitation de ce legs culturel et sa promotion en produit touristique et culturel de marque algérienne.