«H», la drogue sale qui ronge les plus pauvres en Équateur

22/01/2023 mis à jour: 22:53
AFP
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Tremblante, en état de délire, Rina se promène à moitié nue près d’une décharge de Guayaquil. Elle est sous les effets du «H», une drogue bon marché et hautement addictive qui fait des ravages parmi les populations les plus pauvres d’Équateur. Les images de vidéosurveillance enregistrées la veille du nouvel an ont été relayées au Centre de santé municipal qui lui a porté secours. «Quand je consomme, j’entends des voix», dit aujourd’hui à l’AFP la jeune femme de 24 ans qui suit une cure de désintoxication, sa deuxième en moins d’un an. Rina a été jusqu’à voler et même se prostituer pour se procurer du «H», une poudre blanche à base d’héroïne qui se sniffe ou se fume, vendu un dollar le gramme. Bien moins cher que la cocaïne qui s’échange entre trois et cinq dollars. Mais beaucoup plus toxique. «Nous avons trouvé de la chaux, du ciment, de l’éther, de la kétamine et même de la mort-aux-rats», explique la psychiatre Julieta Sagñay de l’Institut de Neurosciences, une ONG basée à Guayaquil qui vient en aide aux toxicomanes. Cette ville portuaire de près de trois millions d’habitants est devenue une plaque tournante du trafic de drogue en Amérique latine, avec un nombre de trafiquants et toxicomanes en hausse. Selon les chiffres officiels, quelque 162 kg de «H» ont été saisis en 2022. Julia Sagñay dit traiter de plus en plus d’usagers de «H», qui souffrent d’une détérioration accélérée de leur état de santé par rapport à ses autres patients. Après six mois de consommation, un «accro au H», trépigne sans cesse, se gratte, ne dort ni ne mange. Et le syndrome de sevrage ne peut être supporté sans un traitement pharmacologique d’au moins huit jours, explique cette spécialiste avec plus de 30 ans d’expérience dans les toxicomanies. Guayaquil dispose de trois cliniques publiques de traitement des dépendances qui ne peuvent pas faire face. Une trentaine d’établissements privés existent mais la prise en charge avoisine les 700 dollars mensuels dans un pays où le salaire minimum est de 450 dollars. Alors, lorsque la dépendance les ronge, certains «accros au H» se tournent vers des centres de désintoxication clandestins. «Ils me battaient, me jetaient des seaux d’eau froide et on mangeait des têtes de poulet tous les jours», raconte à l’AFP Hugo Mora, qui a fréquenté voilà quatre ans ces cliniques illégales, «sales», «sans fenêtre», mais où la «prise en charge» n’était «que de 150 dollars». Pour rien. Après deux essais infructueux dans ces cliniques «nazies», tel qu’il les nomme pour leurs traitements inhumains, ce vendeur informel de 24 ans est depuis une semaine en sevrage à l’hôpital municipal du Bicentenaire de Guayaquil, allongé dans un des 14 lits d’une grande pièce aux murs blancs. Onze sont occupés par des hommes recroquevillés dans leur couverture. Cet hôpital reçoit jusqu’à 150 patients par jour, 90% en raison de leur addiction au «H». Le centre de recherche Insight Crime indique que le «H» s’est installé à Guayaquil vers 2011 sous l’impulsion de cartels colombiens cherchant à développer le marché de l’héroïne. Mais la poudre de «H» contient moins de 3% d’héroïne, estime Segundo Romero, policier à la retraite désormais psychologue expert judiciaire. «C’est parce qu’il y a si peu de drogue pure que le toxicomane a besoin de plus en consommer, donc plus en acheter», dit-il. Avec un gramme d’héroïne, le dealer confectionne 40 grammes de «H». Les drogues de synthèse contenues dans le reste de ce dangereux cocktail provoquant symptômes psychotiques et hallucinations. A Cerro Las Cabras, le supermarché de la drogue de Duran, ville située de l’autre côté du Rio Guayas qui traverse Guayaquil, la vente de «H» rapporte, selon les estimations officielles, jusqu’à un million de dollars par mois.   

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