Guerre d’influences en Afrique : Washington veut empêcher les Russes de prendre leurs aises en Libye

01/07/2024 mis à jour: 18:57
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Abdelhamid Dbeiba recevant à Tripoli l’envoyé spécial des Etats-Unis pour la Libye, Richard Norland (PHOTO : D. R )

Washington s’active plus que par le passé trouver une issue à la crise libyenne, surtout depuis la démission Abdoulaye Bathily, l’envoyé spécial de l’ONU. Les Américains sont convaincus que la centralisation du pouvoir en Libye est l’unique voie pour empêcher le renforcement de la présence des Russes dans l’est et le sud du pays.

 Les forces de Moscou, Wagner par le passé et le Bataillon africain aujourd’hui, ont permis à Haftar de mettre la main sur la Cyrénaïque et une partie du Fezzan. 

Par ailleurs, Moscou utilise en ce moment les ports et les aéroports de l’Est libyen pour approvisionner ses alliés au Niger, Mali, Burkina et Afrique centrale. En face de cette percée russe, et les déconvenues de l’Occident dans ces mêmes régions, les Américains se concentrent sur le dossier libyen et veulent empêcher que le pays ne tombe complètement entre les mains des Russes. 

Les services rendus par Moscou au clan Haftar ont jusque-là permis à Moscou d’obtenir une contrepartie conséquente en termes de facilités sur le territoire libyen. Aujourd’hui, les Russes veulent une base navale en eaux profondes en Méditerranée dans l’Est libyen alors que les Américains veulent empêcher un tel projet, ce qui nécessite des efforts tactiques conséquents pour s’y opposer. 

Ces enjeux cruciaux pour la stratégie américaine en Méditerranée et en Afrique expliquent les multiples visites de Richard Norland (envoyé spécial de Washington) en Libye, ainsi que la récente rencontre entre le chef d’état-major des armées américaines avec les deux commandants en chef des armées libyennes de l’Ouest et de l’Est, Mohamed Haddad et Abderrazek Nadhouri. 

Ces derniers ont été les seuls à être deux pour représenter le même pays, la Libye, à la réunion du Botswana, où les Américains ont réuni la conférence des chefs d’état-major africains de la défense avec la participation de 30 pays. Washington a préféré ne pas exclure l’Est libyen pour ne pas y laisser Moscou jouer librement. Par ailleurs, les USA sont derrière les dernières manœuvres internationales pour diviser le budget libyen entre les deux gouvernements de l’Ouest et de l’Est, celui de Dbeiba et de Hammed. 

Les Américains sont également derrière les tentatives de réanimation du Comité supérieur des finances, gelé depuis plus d’une année, sous l’autorité du président du Conseil présidentiel, Mohamed El Menfi. Ledit Comité a été installé pour établir les priorités de dépense des projets financés par le Trésor public libyen. Dbeiba a vu dans ce Comité une limitation de ses prérogatives en tant que chef du gouvernement d’union nationale. 

Par contre, l’envoyé américain en Libye, Norland, n’a pas caché sa préférence pour un gouvernement de technocrates, pouvant faciliter l’organisation d’élections, en éliminant les réserves du camp Haftar. «Un tel choix limite certes le cercle de manœuvres devant les politiques libyens. Mais, il y a d’autres obstacles devant les élections dont, surtout, l’autorité effective sur les urnes dans un pays où l’autorité sécuritaire est divisée, voire même émiettée», pense le politologue Ezzeddine Aguil. 
 

Recherche de déblocage 

Les Américains ont fini par dénoncer l’absurdité de la situation libyenne où tous les belligérants prétendent être favorables à la tenue des élections, sans rien faire de ce qui est de nature à avancer vers le scrutin. Une bonne dizaine d’années s’est écoulée où tous les responsables libyens, de l’Est, de l’Ouest et du Sud, n’avancent pas de manière significative vers des élections. Et alors que tout l’Occident laissait faire la corruption et les diverses malversations en Libye puisque le pétrole coule et les intérêts sont préservés, c’est la menace russe qui a alerté les Américains ces derniers mois. Washington et les Européens ont fini par déclarer que la situation libyenne confuse n’est pas une fatalité. 

Pourtant, durant la dernière décennie, la Libye a connu deux rounds de négociations très serrées durant de longs mois, chacun, pour arriver à deux accords annonçant des élections dans l’année qui suit.

La première, ce fut en 2015 et elle a été clôturée avec l’accord de Sekhirat du 16 décembre 2015 et la venue de Fayez El Sarraj à la tête du gouvernement d’union nationale. Pendant ses six années de pouvoir, plusieurs délais ont été avancés pour des élections sans être réalisés. 

Le deuxième lot de négociations s’étaisoldé par l’intronisation, en février 2021 à Genève, de Abdelhamid Dbeiba à la tête du gouvernement d’union nationale. L’unique différence, c’est que Dbeiba a obtenu la confiance du Parlement en mars 2021, avant qu’elle ne lui soit retirée en septembre de la même année et les Libyens ont repris leurs calvaires classiques d’un pouvoir bicéphale avec deux centres de décision. 

Avec Dbeiba, il y a eu annonce d’élections présidentielles pour le 24 décembre 2021 et 2,7 millions de Libyens s’y étaient inscrits. 

Le report du scrutin n’a été officialisé par l’instance des élections que 48 heures auparavant. Il y a eu prudence chez tous les belligérants afin d’éviter d’être accusé d’avoir empêché la tenue de ces élections. 

Des polémiques ont accompagné les préparatifs au scrutin avec des arrêts de tribunaux empêchant, par-ci, Haftar de se présenter puisqu’il a la nationalité américaine. Par-là, c’est Dbeiba qui a été éliminé de la candidature parce qu’il est chef de gouvernement. Seif El Islam El Gueddafi a été, lui-aussi, concerné par ces arrêts, révisés en appel. Finalement, ces élections ont été reportées et, depuis bientôt trois ans, la classe politique libyenne n’a pas trouvé de solution à ce problème.

 «Les responsables n’ont rien à perdre. Ils sont gracieusement payés par l’Etat, aussi bien ceux élus en juillet 2012 et appartenant au Conseil supérieur de l’Etat, que ceux élus du Parlement en juin 2014 ; de l’Ouest, de l’Est et du Sud. Ils ne s’empressent pas de mettre fin à leurs mandats», constate le juge Jamel Bennour. Autrement dit, la communauté internationale a encore du pain sur la planche en Libye. 
 

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami

 

 

Trois reports pour l’ouverture du poste frontalier de Ras Jedir

L’ouverture du poste de Ras Jedir sur les frontières tuniso-libyennes a été reportée à trois reprises, alors qu’il est fermé depuis mars dernier. Annoncée pour le 17 juin 2024, elle a été reportée une première fois au 20, avant qu’elle ne soit reportée de nouveau au 27 juin. Le ministère libyen de l’Intérieur a publié hier un communiqué disant que l’ouverture serait effective le 1er juillet, c'est-à-dire aujourd'hui. Du côté tunisien, les autorités ont assuré qu’il s’agit de problèmes libyo-libyens. Le président Saïed a déclaré vendredi dernier que la Tunisie souhaite vivement l’ouverture du poste frontalier de Ras Jedir, fermé suite à des affrontements entre des forces relevant du ministère libyen de l’Intérieur et des milices de la municipalité de Zouara. Le chef du gouvernement libyen, Abdelhamid Dbeiba, a, lui-aussi, affirmé le désir d’ouvrir le poste en recevant les notables de Zouara. Autre exemple traduisant les problèmes rencontrés par le gouvernement de Tripoli pour étendre son pouvoir en dehors de la capitale libyenne.  Mourad Sellami

 

 

 

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