Gharami : L’amour sans amoureux mais au cinéma

21/07/2024 mis à jour: 13:34
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Algérie mon amour : Affiche du film de Mustapha Kessous sur les jeunes hommes et femmes du hirak sans contact. Au cinéma, on peut aimer, mais pas une femme si on est un homme ou un homme si on est une femme, et surtout pas une femme si on est une femme ou un fennec si on est un fennec. ( photo : dr)

Avec son titre explicite, Amour interdit, Sid Ali Fettar sortait en 1993 un genre de romance sur fond de colonisation, incluant même une scène au lit (sans contact) avec l’acteur et l’actrice en sous-vêtements. 

Sauf que l’homme est Algérien et la femme Française, ce qui est passé, sauf que les sous-vêtements, aujourd’hui, c’est interdit, indépendamment de la nationalité, du sexe, de la religion ou de l’appartenance politique. Un peu avant, un film pourtant jugé audacieux, anticonformiste, post-moderne, époustouflant (les critiques ciné adorent les adjectifs), posait déjà le même problème en 1976. Omar Gatlato, héros urbain de Merzak Allouache avec son parcours rythmé par une voix de femme en off, ne finira pas son film par un rendez-vous avec sa promise qui ne lui a d’ailleurs rien promis. Pas de happy end, Hollywood, c’est loin, le fantasme étant de toute façon supérieur  à son exécution selon les psychologues. Bref, l’amour impossible avant l’amour interdit et la femme reléguée en bande-son, ce qui lui conférerait un pouvoir érotique. 

A part Brahim Tsaki, Mascarades de Lyes Salem où un couple se désire, intimité et partage, ou Karim Moussaoui dans Les jours d’avant, histoire d’amour adolescent sur fond de guerre pour ne citer que quelques exemples, très peu d’intime dans les films, au point où on peut se demander si l’amour est possible entre deux barres noires parallèles de 16/9e. Dans un article publié en 2015 dans la revue de sciences humaines et sociales Cairn, la réalisatrice et productrice Malika Laïchour Romane soulignait cette absence de l’intime dans les films algériens, «parce qu’il porte en lui la puissance de l’amour et son corollaire immédiat, la puissance sexuelle». 

Le mot est lâché, qui n’est pas encore une image, mais producteurs, diffuseurs et spectateurs ont l’air plus ou moins d’accord sur le principe, «chacun se sent l’ordonnateur du licite et du non licite», explique encore l’autrice, nuancant le modus vivendi, par ce «diktat qui produit des films licites à une société dont on peut croire qu’elle le réclame». Mais rien n’est moins sûr, et même si la vie ce n’est pas du cinéma le cinéma c’est la vie. Pourtant à l’écran, pas d’amour, pas de déclarations, de baisers, pas d’attouchements ou alors avec les mains et surtout pas de mots qui choquent, Inaam Biyoud, attaquée pour quelques passages de langage cru dans son dernier roman qui a eu le prix officiel Assia Djebar, en sait quelque chose. 


Les 60 nuances d’amour

On pourrait faire un pitch d’une histoire d’amour comme ça, Farouk aime Nesrine, Nesrine aime les gâteaux. Pourtant, derrière cette crispation sur le refus d’un «langage de l’Occident décadent», il existe plus de 60 façons d’exprimer l’amour en arabe, les poètes de cet art remontant très loin dans le temps, de Abu Nawas à Nizar Qabbani et dans textes où une foule de mots renvoient à l’amour. 

Car en arabe, en tamazight ou en hindi, c’est un sport national et il y a plusieurs degrés dans l’amour. Dans la langue arabe, il en existe d’ailleurs 14, d’el hawa (l’abîme), l’attirance, phase 1 du commencement de l’amour où les émotions sont aussi fortes qu’indéfinissables, au 14e et dernier état, el hoyam (la folie), état de divagation des amoureux qui perdent tout sens de la raison. 

En passant bien sûr par les 12 autres, au hasard essabwa, état agréable d’enfant avant que les choses ne deviennent sérieuses, étymologiquement du mouvement du palmier femelle qui se courbe vers le palmier mâle pour recevoir sa semence (une belle image de film), el shaghaf, la passion qui consume, el wajd (l’obsession), el kalaf ou je t’aime tellement que ça fait mal, el 3oshok (adoration), du mot qui désigne le lierre qui s’enroule en spirale autour d’une plante, ennajwa (la brûlure), el shawq (le désir), el wasab (la souffrance de l’amour), el istikana (l’asservissement) el wodd (l’amitié), el kholla (la fusion) et el gharam, cette ferveur qui désigne l’attachement à quelque chose dont on ne peut se défaire, le fameux grham qui dégaze les sultans selon l’expression populaire algérienne. 

Ce n’est donc pas culturel mais ce sont des mots, une image en valant 1000 selon Confiucius, mort célibataire, un mot doux en donnerait mathématiquement 1000 à l’écran, ce qui est inconcevable. Car en réalité, au cinéma algérien, l’amour n’est pas sexualisé, il est patriotique, l’amour doit être nationaliste car le cinéma algérien est né dans la guerre, dans la douleur et la mort. C’est incompatible. 


Peut-on aimer quelqu’un qui joue trop mal ? 


Quelques exemples encore, Algérie mon amour, documentaire de Mustapha Kesouss en 2020, autour de jeunes femmes et hommes, sur fond de hirak, sans contact, ou encore Algérie mon amour, de Nadja Wegfahrt, qui ne parle que d’amour mais celui de l’Algérie. Surfant sur le consensus, en mars dernier, la ministre de la Culture et des Arts a lancé le démarrage du tournage de sept nouveaux courts métrages dans le cadre d’un atelier «Algérie avec amour», où il ne s’agit pas de filmer des histoires d’amour mais d’une même thématique, unique, simple et uniforme, la mise en valeur de la place qu’occupe aujourd’hui la femme algérienne dans notre société. Bref, s’il y a bien l’amour vertical, mère-fils, père-fille (un peu plus rarement), l’amour des films, l’amour d’un animal, d’une voiture, l’amour des subventions ou celui des castings, l’amour est partout mais nulle part ou alors toujours impossible comme dans Mélodie de l’espoir de Djamel Fezzaz (1993) où Abderrahim, mécanicien et chanteur est victime, pas d’une panne moteur mais presque, un coup de foudre avec une cliente qui se fait marier de force par ses parents et tombe dans un mutisme dont seul Abderrahim peut la sortir par ses chansons. 


L’amour musical, avec Abderrahmane Djalti dans le rôle du mécanicien, lui-même chanteur sentimental dans la vraie vie. C’est un paradoxe, les Algérien(ne)s écoutent plus de musique qu’ils ne voient de films et dans les chansons, il s’agit en majorité d’histoires d’amour, contrairement au cinéma où il s’agit d’histoires mais pas d’amour. Non, le vrai paradoxe est qu’il n’y a pas ou peu de films d’amour intimistes dans les salles de cinéma.
 

Chawki Amari
 

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