La première exposition personnelle intitulée «1000 villages», de Massinissa Selmani en Algérie, commissariée par Natasha Marie Llorens, se donne à voir jusqu’au 2 janvier 2024, à la galerie Rhizome à Alger.
Le travail de Massinissa Selmani est essentiellement porté sur la structure de l’histoire contemporaine, ou comment les humains font sens des événements qu’ils sont en train de vivre. Le processus esthétique de l’artiste est elliptique, mais rigoureux : il passe au crible le langage anecdotique, des journaux délavés et idiosyncratiquement organisés, de la poésie, de la philosophie et des rumeurs.
Selmani est un artiste qui dessine : la modestie du médium reflète son dévouement à l’expérience de celles et ceux qui se tiennent à la marge des grands récits de l’histoire ou à proximité des centres de pouvoir. Il conçoit néanmoins le dessin en des termes ambitieux. Dans l’univers graphique de Selmani, les dessins abordent à la fois les dimensions temporelle et architecturale. En 2021, la commissaire d’exposition et historienne de l’art, Natasha Marie Llorens, a invité Selmani à travailler en collaboration sur l’évolution d’un travail qu’il avait présenté à la Biennale de Venise en 2015, sous le titre 1000 Villages. Le point de départ de Selmani pour son installation originale - dont les dessins de préparation sont présentés dans le cadre de cette exposition - a été une archive de coupures de presse autour d’un projet d’aménagement urbain initié par le gouvernement algérien au milieu des années 1970 sous l’égide de la «Révolution Agraire».
L’objectif avait été de relancer le développement du secteur agricole algérien en collectivisant son infrastructure. Selmani a été fasciné par la façon dont le projet des 1000 villages socialistes s’est transformé d’une myriade de formes bâties en une sorte de rumeur politique : l’opinion savait que quelques villages avaient été établis, mais peu de personnes se sont rendues sur des sites de construction et encore moins savaient pourquoi le projet avait été suspendu.
Quête de l’exploration
La quête de Selmani et Llorens n’a pas été scientifique mais plutôt une exploration de l’effervescence lumineuse des 1000 villages dans le paysage de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Leur curiosité s’est portée sur comment le projet a vu le jour, éclairant les intérêts des populations rurales qui ont été dépossédées de leurs terres sous le joug colonial ou ont été déplacées durant la longue guerre de Libération. De 2021 à 2023, Selmani et Llorens se sont entretenus avec des architectes, des cinéastes, des auteurs, des artistes, des sociologues, des chercheurs, des journalistes et des citoyens algériens qui ont soit vécus la période durant laquelle les 1000 villages socialistes étaient en construction, avaient des liens avec une période de l’histoire de l’Algérie qui reste vive dans l’imaginaire collectif de la nation en tant qu’une époque relativement prospère marquée par de la construction optimiste et de l’unité nationaliste. Selmani et Llorens ont suivi de légères traces que des personnes ont gardé en mémoire autour de la fonction symbolique des 1000 villages, ainsi que des analyses qui pourraient aider à expliquer pourquoi cette initiative s’est éteinte sans annonce ni résolution.
Dans sa première exposition en Algérie, Selmani présente 1000 Villages, une tentative préliminaire de représenter ces années de discussions en une nouvelle installation : ce qui demeure en nous, qui inclut de nouveaux dessins, des photographies originales datant des années 1970 par l’architecte et urbaniste Djaffar Lesbet, des enregistrements sonores d’un entretien mené par Selmani et Llorens avec la sociologue Fatma Oussedik en avril 2023, ainsi que d’une conversation entre Selmani et des artistes et chercheurs de sa génération, Saadia Gacem, Sofiane Zouggar et Walid Aidoud.
Un univers graphique taquin
Cette nouvelle installation est accompagnée de dessins préparatoires du précédent travail éponyme, ainsi que de dessins récents qui situent les deux dans le contexte de la pratique de dessin plus large de Selmani qui initie les visiteurs à son univers graphique taquin et fragmentaire. Soutenu tout au long de son développement par rhizome, la phase de recherche de ce projet (2021-2023) a été financée à travers une bourse de recherche artistique de la part du Royal Institute of Art Stockholm et l’Arab Fund for Artsand Culture – AFAC à travers une bourse de projet dans les arts visuels. Du soutien supplémentaire a été apporté par l’Institut français d’Algérie et Mon Autre École. Le soutien pour une évolution de 1000 Villages à Index à Stockholm en 2024 est accordé par Index et le programme Globus Opstart du Nordic Culture Fund.
Massinissa Selmani est né en 1980 à Alger, il vit et travaille à Tours et à Tizi Ouzou. Le dessin est le médium central de la pratique de Selmani. Son travail dépeint des thèmes sérieux qui sont néanmoins égayés avec de l’humour et remplis d’une délicate absurdité. Selmani dessine à partir de photographies et d’autres images des médias imprimés et produit des animations courtes et ludiques, des sculptures énigmatiques ainsi que des installations composées de dessins encadrés et non encadrés. En 2023, Selmani a été nominé au prix Marcel Duchamp.
En 2015, il a reçu une mention spéciale à la 56e Biennale de Venise, dont le curateur a été Okwui Onwezor. Il a remporté le prix Art Collector (France) et le prix SAM Art Projects pour l’art contemporain (France) en 2016.
Une sélection d’expositions solo ou en groupe inclut la 56e Biennale de Venise ; le Palais de Tokyo, Paris; la 13e Biennale de Sharjah; Modern Art Oxford, Oxford, Royaume Uni;IVAM Valence, Espagne; Zachęta National Gallery, Varsovie; la 13e Biennale de Lyon, France ; Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCC OD) de Tours, France ; Museum of African Art, Belgrade, Serbie ; la 11e Biennale de Dakar, Sénégal ; UGM Maribor, Slovénie ; Kochi – Biennale Muziris 22-23, Inde, entre autres. Parmi ses collections, le Centre Georges Pompidou, Paris, France ; MAC Lyon, France ; Samdani Art Foundation, Dhaka, Bangladesh; Frac Centre Val de Loire, France ; Centre national des arts plastiques (CNAP), France et le British Museum, Londres, Royaume Uni. Selmani est représenté par la Galerie Anne-Sarah Bénichou à Paris, la Galerie Selma Feriani à Londres/Tunis et la Galerie Jane Lombard à New York.
Natasha Marie Llorens, née à Marseille, est commissaire d’exposition et critique d’art, basée à Stockholm. Son projet le plus récent, dont le vernissage a eu lieu en avril 2023 au Magasin CNAC à Grenoble, c’est «En Attendant Omar Gatlato : Epilogue». Elle est également la commissaire d’expositions en France à Triangle France-Astérides à Marseille, Tabakalera à San Sebastián, le Munster Kunstverein, la Jan van Eyck Academie et le Framer Framed aux Pays-Bas, Mint ABF à Stockholm, et la WallachArt Gallery à Columbia University, CUE Art Foundation, Elizabeth Foundation for the Arts, et la galerie New School Aronson à NewYork City, entre autres. Elle a remporté la bourse Andy Warhol Arts Writers en 2022 et publie régulièrement dans Art Papers, e-flux Criticism, Frieze et de nombreux catalogues d’expositions. Llorens a obtenu un Master du Center for Curatorial Studies au Bard College, ainsi qu’un doctorat en histoire de l’art moderne et contemporain de Columbia University.
Elle est professeure en théorie de l’art au Royal Institute Stockholm depuis 2020 et codirige, avec le professeur Mick Wilson, le Center for Artand the Political Imaginary, nouvellement créé entre le Royal Institute et HDK-Valand.
Elle est en train de finir un livre sur cinq films expérimentaux réalisés en Algérie dans les années 1960 et 70, et entame un travail de long terme, financé par le Swedish Research Council en collaboration avec la curatrice Myriam Amroun, basée à Alger.
Le projet est centré sur le transnationalisme au sein de la pratique de commissariat. Il est à noter que Rhizome est une galerie d’art contemporain basée à Alger. Fonctionnant à la fois comme une galerie commerciale et une organisation artistique indépendante. rhizome travaille sur la promotion des artistes émergents et ceux déjà établis, en se focalisant sur l’art de l’Algérie et de sa diaspora.