Fractures

17/10/2023 mis à jour: 04:23
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L'escalade de violence aveugle que fait subir le gouvernement israélien au peuple palestinien à Ghaza donne à voir une des séquences les plus éloquentes du potentiel de soutien sans limite sur lequel peut compter Tel-Aviv en Occident. Le ton a vite été donné par Washington dès les premières alertes sur l'opération menée par le bras armé de Hamas, au matin du 7 octobre. 

Joe Biden, reprenant à son compte l’intégralité du corpus sémantique de Benyamin Netanyahu, s’est fait un devoir de réagir non pas seulement en allié, mais en partie prenante du conflit. Pour bien le montrer, il met en branle, sans attendre, arsenal de guerre et machine diplomatique pour être de la riposte. 
 

Dans sa suite, on a vu rapidement se mettre en ordre de bataille les poids lourds du bloc occidental : la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne… et derrière eux, toute l’Europe institutionnelle, pourtant habituellement encline à des positions plus diplomatiques et nuancées sur la question. Tous épousent sans réserve la position d’Israël, dans ses moindres intonations, sans s’inquiéter de l’impact sur des alliances et relations avec un «Sud global» et un monde arabe qui parient sur une solution politique au drame palestinien. Sans égard également pour les positions du secrétariat général de l’ONU et de ses agences, qui, en la circonstance, ont appelé à la retenue et à la protection des civils… 

La guerre a ses raisons que la diplomatie occidentale ignore décidément, surtout quand elle est menée par Tsahal. Et celle en cours est déclarée d’autorité celle opposant Israël au «terrorisme de Hamas», et non plus comme un épisode mettant en confrontation une armée d’occupation contre un mouvement de résistance. Le complexe médiatique est pour sa part mis à l’œuvre : sur les plateaux des plus grandes chaînes d’infos occidentales, les débats sont à sens unique, nerveux, ne tolérant aucun bémol à l'obligatoire condamnation du «terrorisme ghazaoui» et au droit d’«Israël à se défendre». 

On connaît le procès fait au leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, pour avoir osé s’écarter de cette partiale unanimité dans un paysage politico-médiatique français aligné largement sur la position israélienne. Les «éléments de langage» sont ceux édictés par un Netanyahu voulant en finir avec le Hamas, et «remodeler le Moyen-Orient». L’homme ne lésine pas sur la surenchère et les énormités et affirme que les Palestiniens sont cette fois-ci allés trop loin, aussi loin dit-il que les Nazis lors de la Shoah.

 Pour rester dans le ton, Anthony Blinken, le secrétaire d’Etat américain, s’est, pour sa part, prêté à la partition. «Je suis ici en tant que secrétaire d’Etat mais aussi en tant que juif», a-t-il cru bon de préciser lors de sa visite à Tel-Aviv. La France, pour la première fois, a dû interdire toute manif' de soutien à Ghaza, le Royaume-Uni a dépêché un superflu renfort militaire, alors que le chancelier allemand a réitéré avec force que la sécurité d’Israël est une affaire de sécurité intérieure en Allemagne. 

Cet alignement tapageur va certainement encore aggraver les fractures géopolitiques et consacrer la polarité dans les relations internationales. L’Occident, qui dans le contexte de la guerre en Ukraine (subitement reléguée à un bruit de fond), prétend œuvrer depuis deux ans à casser la logique des confrontations par blocs, fait tout à fait le contraire s’agissant du drame palestinien. L’effet sur les opinions dans le monde arabo-musulman est inévitable et risque de se traduire par le basculement de pans entiers dans le camp des sceptiques, voire des opposants radicaux, à une solution négociée avec l’occupant israélien.

 Y compris dans les pays où les régimes politiques ont choisi la normalisation avec Tel-Aviv, la rue gronde ou menace de le faire, et met la pression sur les autorités politiques. Abdel Fattah Al Sissi, en retrait sur la question palestinienne depuis des années, a dû avant-hier déclarer devant Blinken qu’Israël soumettait Ghaza à une véritable punition collective aux allures de génocide. Le roi Abdellah II de Jordanie hausse également le ton et avertit qu’il est hors de question de faire subir aux Palestiniens un autre déplacement massif hors de leur territoire.

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