Fondement du développement et de la sécurité nationale : Intégrer la sphère informelle

24/01/2023 mis à jour: 04:53
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1.-Comment définir la sphère informelle ?  Le concept de «secteur informel» apparaît pour définir toute la partie de l’économie qui n’est pas réglementée par des normes légales. En marge de la législation sociale et fiscale, elle échappe à la comptabilité nationale et donc à toute régulation de l’Etat, encore que récemment, à l’aide de sondages, elle tend à être prise en compte. Cette sphère utilise des billets de banques au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance, en raison des situations soit de monopole ou d’oligopoles avec des liens entre certaines sphères et la logique rentière. Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. L’économie informelle est donc souvent qualifiée de «parallèle», «souterraine», «marché noir» et tout cela renvoie au caractère dualiste de l’économie, une sphère qui travaille dans le cadre du droit et une autre sphère qui travaille dans le non droit, étant entendu que le droit est défini par les pouvoirs publics en place. Pour des actions opérationnelles, les politiques doivent éviter le juridisme. Dans chacun de ces cas de figure, nous assistons à des logiques différentes tant pour la formation du salaire et du rapport salarial, du crédit et du taux d’intérêt qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste. La formation des prix et des profits dépendent dans une large mesure de la forme de la concurrence sur les différents marchés, la différenciation du taux de change officiel et celui du marché parallèle, de leur rapport avec l’environnement international (la sphère informelle étant en Algérie mieux insérée au marché mondial que la sphère réelle) et en dernier lieu leur rapport à la fiscalité qui conditionne la nature des dépenses et recettes publiques, en fait par rapport à l’Etat, le paiement de l’impôt direct étant un signe d’une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant injustes par définition puisque étant supportés par tous les citoyens riches ou pauvres. Aussi, l’économie informelle est réglée par des normes et des prescriptions qui déterminent les droits et les obligations de ses agents économiques ainsi que les procédures en cas de conflits ayant sa propre logique de fonctionnement qui ne sont pas ceux de l’Etat, nous nous retrouvons devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant le droit traditionnel enseigné aux étudiants d’une vision moniste du droit. En fait, pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l’analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place c’est-à-dire des institutions en Algérie. Pour comprendre l’extension de la sphère informelle, l’on doit partir d’une analyse globale, des mécanismes de régulation internes largement influencés par la régulation de l’économie mondiale, l’économie algérienne étant une économie totalement rentière. Il existe des liens dialectiques entre la logique rentière et la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l’économie et le citoyen mais en s’autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. Dans ce cadre, il serait intéressant d’analyser les tendances et les mécanismes de structuration et restructuration de la société et notamment des zones urbaines, sub-urbaines et rurales face à la réalité économique et sociale des initiatives informelles qui émergent impulsant une forme de régulation sociale. Cela permettrait de comprendre que face aux difficultés quotidiennes, le dynamisme de la population s’exprime dans le développement des initiatives économiques informelles pour survivre, ou améliorer le bien-être, surtout en période de crise notamment pour l’insertion sociale et professionnelle de ceux qui sont exclus des circuits traditionnels de l’économie publique ou de la sphère de l’entreprise privée.

2.-Quelles sont les différentes méthodes de calcul de la sphère informelle ? Plusieurs approches peuvent être utilisées pour évaluer l’activité dans le secteur informel, les approches choisies dépendant des objectifs poursuivis. Elles peuvent être très simples, comme obtenir des informations sur l’évolution du nombre et des caractéristiques des personnes impliquées dans le secteur informel, ou plus complexes, comme obtenir des informations détaillées sur les caractéristiques des entreprises impliquées, les principales activités exercées, le nombre de salariés, la génération de revenus ou les biens d’équipement. Le choix de la méthode de mesure dépend des exigences en termes de données, de l’organisation du système statistique, des ressources financières et humaines disponibles et des besoins des utilisateurs, en particulier les décideurs politiques participant à la prise de décisions économiques. Nous avons l’approche directe ou microéconomique fondée sur des données d’enquêtes elles-mêmes basées sur des réponses volontaires, de contrôle fiscal ou de questionnaires concernant tant les ménages que les entreprises. Elle peut aussi être basée sur la différence entre l’impôt sur le revenu et le revenu mesuré par des contrôles sélectifs. Nous avons l’approche indirecte ou macroéconomique basée sur l’écart dans les statistiques officielles entre la production et la consommation enregistrée. On peut ainsi avoir recours au calcul des écarts au niveau du PIB (via la production, les revenus, les dépenses ou les trois), de l’emploi, du contrôle fiscal, de la consommation d’électricité et de l’approche monétaire. Les méthodes directes sont de nature microéconomique et basées sur des enquêtes ou sur les résultats des contrôles fiscaux utilisés pour estimer l’activité économique totale et ses composantes officielles et non officielles. Les méthodes indirectes sont de nature macroéconomique et combinent différentes variables économiques et un ensemble d’hypothèses pour produire des estimations de l’activité économique. Elles sont basées sur l’hypothèse selon laquelle les opérations dissimulées utilisent uniquement des espèces. Ainsi, en estimant la quantité d’argent en circulation, puis en retirant les incitations qui poussent les agents à agir dans l’informalité (en général les impôts), on devrait obtenir une bonne approximation de l’argent utilisé pour les activités informelles. Les méthodes basées sur les facteurs physiques utilisent les divergences entre la consommation d’électricité et le PIB. Cette méthode a ses limites car elle se fonde sur l’hypothèse d’un coefficient d’utilisation constant par unité du PIB qui ne tient pas compte des progrès technologiques. Enfin, nous avons l’approche par modélisation qui consiste à utiliser le modèle des multiples indicateurs pour estimer l’indice de l’économie informelle. Qui présuppose l’existence de plusieurs propagateurs de l’économie informelle incluant la lourdeur de la réglementation gouvernementale et l’attitude sociétale.

3.- Quels liens entre la sphère informelle et la politique socio-économique ? La lutte contre la sphère informelle implique avant tout l’efficacité des institutions et une moralisation de la pratique des structures de l’Etat elles-mêmes au plus haut niveau, en raison d’un niveau de dépenses en contradiction avec les pratiques sociales. C’est seulement quand l’Etat est droit qu’il peut devenir un Etat de droit, expliquant les dérives du passé, notamment l’ampleur de la corruption. Car l’Etat de droit n’est pas un Etat fonctionnaire qui gère un consensus de conjoncture ou une duplicité provisoire, mais un Etat fonctionnel qui fonde son autorité à partir d’une certaine philosophie du droit d’une part, d’autre part par une assimilation consciente des besoins présents de la communauté et d’une vision future de ses perspectives. Dans ce cadre, la sphère informelle en Algérie est favorisée par l’instabilité juridique et le manque de visibilité de la politique socio-économique. Les entrepreneurs qu’ils soient nationaux ou étrangers demandent seulement à voir clair, du moins ceux qui misent sur les moyens et longs termes (investissements inducteurs de valeur ajoutée contrairement à l’importation, solution de facilité). Or, ils sont totalement désemparés face aux changements périodiques de l’instabilité monétaire et du cadre juridique, ne permettant pas une prévision sur le moyen terme pour  les projets créateurs de valeur ajoutée, une PIM/PME pour atteindre le seuil de rentabilité, sans compter les délais de réalisation, à partir du lancement effectif de la production en T0, qu’au bout de 2/3 ans  et pour les projets hautement capitalistiques entre 5/7 ans. Que l’on visite les sites où fleurit l’informel de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud et on pourra constater que l’on peut lever des milliards de centimes à des taux d’usure mais avec des hypothèques,  existant  une intermédiation financière informelle. Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l’effet inverse et lorsqu’un gouvernement agit administrativement et loin des mécanismes transparents et de la concertation sociale, la société enfante ses propres règles pour fonctionner. Des règles qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat de confiance sans lequel aucun développement n’est possible,  s’éloignant ainsi des règles que l’administration  veut imposer. Les transactions au niveau des frontières pour contourner les myopies des bureaucraties locales, agissant sur les distorsions des prix et des taux de change et le droit coutumier dans les transactions immobilières, en sont le parfait exemple. On ne peut isoler la sphère réelle de la sphère monétaire, le cours du dinar sur le marché officiel étant passé de 5 dinars pour un dollar vers les années 1970, à 76 DA pour un dollar vers les années 2020 et est coté le 01 janvier 2023 à 137 DA un dollar avec un écart de 50% sur le marché parallèle. Cela pose d’ailleurs la problématique des subventions qui ne profitent pas toujours aux plus défavorisés (parce généralisables à toutes les couches), plus de 5000 milliards de dinars pour les transferts sociaux prévus dans la loi de finances 2023. Cela   rend opaque la gestion de certaines entreprises publiques dont les comptabilités additionnement comme Sonatrach et Sonelgaz des prix au cours du marché et des prix subventionnés, la performance des  entreprises exportatrices qui bénéficient d’un prix de l’énergie à 10/20% du prix international, nécessitant à l’avenir que ces subventions soient prises en charges non plus par les entreprises mais budgétisées au niveau du Parlement pour plus de transparence.  Le constat est donc amer, pour les petites bourses, en l’absence de mécanismes de régulation et de contrôle, les prix des produits de large consommation connaissent, comme de coutume, notamment à la veille de chaque fête des augmentations sans précédent. Les discours gouvernementaux et des organisations censées sensibiliser les commerçants ont peu d’impacts, car prêchant dans le désert. Les lois économiques sont insensibles aux slogans politiques, car la sphère informelle contrôle quatre segments-clés du marché : celui des fruits et légumes, de la viande, celui du poisson pour les marchandises locales et pour l’importation, le textile - chaussures ayant un impact sur le pouvoir d’achat de la majorité des citoyens.

En conclusion, il  y a urgence d’enquêtes précises des liens entre l’accumulation, la structuration du modèle de consommation et la répartition des revenus par couches sociales, enquêtes inexistantes en Algérie afin de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale. Il ne suffit pas de crier sur les toits que cette sphère ne paye pas les impôts, s’attaquant aux apparences et non à l’essence des fuites tant en dinars qu’en devises. C’est faute d’une compréhension l’insérant dans le cadre de la dynamique sociale et historique que certains reposent leurs actions sur des mesures seulement pénales, certes nécessaires mais largement insuffisantes.   Cela ne concerne pas uniquement les catégories économiques mais d’autres segments difficilement quantifiables. Ainsi, la rumeur, accentuée par l’utilisation des nouvelles technologies  et  en Algérie par la tradition de la transmission orale, peut   être destructrice sapant la confiance entre l’Etat et les citoyens, surtout lorsque certains responsables  versent dans des contre-vérités et ne savent pas communiquer. L’utilisation de divers actes administratifs de l’Etat à des prix administrés du fait des relations de clientèles transitent également par ce marché grâce au poids de la bureaucratie qui trouve sa puissance par l’extension de cette sphère

Abderrahmane Mebtoul

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