Pour la troisième année consécutive où j’ai eu l’honneur de faire partie du Comité algérien pour la sélection du film national à concourir pour l’Oscar du «Meilleur film étranger» de l’Academy Awards aux USA, il me plait de partager ces notices personnelles suite au visionnage des quatre films candidats cette année à la 95e édition du Prix de l’Académie des Oscars. Loin de donner ou défendre un choix particulier, la publication de ces notices vise à rendre compte les qualités de chacun de ses films, encourager ceux qui les ont fabriqués et participer, enfin, à la promotion de ces quatre produits cinématographiques en attendant leurs sorties nationales.
Salim Dada- Tlemcen/Oran, 15 août 2022
Halim Erraad (90’, 2020)
Ecrit et réalisé par Mohamed Benabdallah
Casting : Anes Tennah, Dalila Nouar, Hanan Bousmaha
Synopsis : Halim est un homme de 25 ans qui refuse de partager la responsabilité familiale avec sa mère qui est fatiguée de son comportement enfantin, mais Halim est coincé dans cette phase d’innocence face à une déficience intellectuelle et à une société de jugement qui ne cesse de lui montrer son rejet.
Halim Erraad est un film qui reste dans sa grande partie noir et dramatique. L’image se focalise sur une société qui n’accepte pas la différence, ne tolère pas la maladie et participe à perpétuer cette relation sadique envers les marginaux jusqu’aux plus jeunes enfants. Cette image est un constat réaliste de notre société.
Halim est un marginal, sa mère est un cas social dans un pays qui engorge de cas sociaux. Le scénario est bien mené et le film prend tout le temps pour décrire le quotidien d’un adulte déficient mental, qui peut s’avérer comme un attardé, un débile ou un autiste. Une note positive dans l’avant-dernier acte du film arrive avec la rencontre de Amel, l’alter-ego féminin de Halim. Comme quoi, la rencontre avec les semblables rend la vie moins difficile et donne même de l’espoir.
Le passage à l’acte, au règlement des comptes des anciens bourreaux de Halim, coïncide avec une conscience naissante chez lui qui lui donne de façon sporadique des allures d’adulte. A la dernière séquence, la vie reprend ses règles ; Halim voulant fuir son état d’enfant éternel se retrouve prisonnier de la loi des adultes.La performance de Anes Tennah dans le rôle de Halim est impressionnante, tellement convaincante qu’on se demande - si on ne connaît pas le comédien - si on est dans la fiction ou dans le documentaire ; Dalila Nouar a bien su endosser le rôle de la veuve maman dont les issues lui sont toutes fermées ; Hanan Bousmaha a assuré son rôle de voisine à la fois bienveillante et maladroite.Quelques trous sont à noter dans le scénario tel que l’absence du diagnostic de la maladie alors que Halima, 25 ans, l’absence inexpliquée du père (serait-il lui aussi le meurtrier ?), le nombre de trois crimes montrés alors que le policier en a cité quatre… On déplore aussi le manque de nuances et la description d’une société totalement malsaine composée uniquement de raquetteurs, voleurs, violeurs, intolérants, profiteurs, etc.
Sur le plan esthétique, l’image, les décors, les costumes nous laisse également à notre faim. Le sujet et le jeu des acteurs méritaient une meilleure mise en scène et une direction de photo plus élaborée. La musique jouait le rôle qu’il fallait si seulement les sons étaient issus d’instruments réels.
En conclusion, c’est un film intéressant avec un casting réussi et qui traite le sujet de la différence de façon déliée mais n’échappe pas au misérabilisme des feuilletons dramatiques. Avec plus d’esthétisme, moins de dialogue, moins de cris, moins de situations anecdotiques, Halim Erraad aurait pu devenir un film à vocation internationale.
Houria (105’, 2022)
Scénario et réalisation : Mounia Meddour
Casting : Lyna Khoudri, Rachida Brakni, Nadia Kaci, Amira Hilda Douaouda, Meriem Medjkane
Synopsis : Alger début des années 2000. Houria est une jeune et talentueuse danseuse. Femme de ménage le jour, elle participe à des paris clandestins la nuit. Mais un soir où elle a gagné gros, elle est violemment agressée par Ali et se retrouve à l’hôpital. Ses rêves de carrière de ballerine s’envolent. Elle doit alors accepter et aimer son nouveau corps. Entourée d’une communauté de femmes, Houria va retrouver un sens à sa vie en inscrivant la danse dans la reconstruction et la sublimation des corps blessés…
Dès le début du film, on est dans une atmosphère qui laisse penser à un remake algérien du thriller d’AronofskyBlack Swan. Mais après 24 minutes seulement, le chapitre est déjà clos et le film vire au drame. Or, l’héroïne Lyna Khoudri n’a rien à envier à Nathalie Portman, car elle est autant combative, douce, fausse calme et exigeante, malgré les secousses et les chocs de la vie qui vont jalonner les quatre actes du film. Khoudri dans le rôle de Houria offre une interprétation magistrale, elle démontre des capacités étonnantes dans la danse et dans le pantomime.
Dans Houria, Mounia Meddour trouve le bon rythme à tout ; chaque dialogue, chaque action, chaque regard, chaque respiration, tous les moments de vie sont célébrés à leur juste valeur. La bande son y participe grandement à donner vie à la belle image de Léo Lefèvre. Le deuxième acte rend le mutisme de Houria plus parlant avec les sons de la nature et de la ville qui surgissent subitement comme pour rappeler que la vie continue même après un traumatisme. La musique proposée par Maxence Dussère et Yasmine Meddour sert comme amplificateur émotif qui n’est jamais gratuit ni excessif. La voix de la femme est également omniprésente à travers les rires, les pleurs, les chants, l’hymne à la mer au départ de Sonia (Amira Hilda Douaouda), le chant de deuil et la chanson du générique de fin qui rappelle la BO du documentaire Algiers.
La résilience de Houria s’inspire de celle de Pietragalla, car face à l’impossibilité de pouvoir réaliser la carrière de danseuse étoile, elle décide d’ouvrir une école de danse pour les sourds-muets dans un quartier populaire à Alger. En apprenant le langage des signes, elle trouve d’autres sources d’inspiration, son langage évolue et sa technique classique va se libérer pour trouver d’autres formes d’expressions corporelles. Les chorégraphies de Hadjiba Fahmy affirment de cette recherche aboutie.
Cette métamorphose stylistique nous rappelle encore une fois le sort de Nina dans Black Swan, mais la transformation de Houria n’est pas fictive ni issue d’un trouble psychiatrique, c’est le récit fidèle du processus d’évolution artistique, ou celui de la vie en général. La nouvelle vie de Houria telle prophétisée par son amie intime Sonia, n’est qu’une nouvelle étape, à l’instar des multiples voyages et vies de Sindbad le marin.
Quelques bémols à noter : l’absence de la figure de l’homme si ce n’est les stéréotypes du mâle violent, machiste ou dragueur. L’image donnée des agents de polices et de l’administration algérienne reste également très caricaturale.
Au final, Houria comme son sens arabe l’indique, est une ode à la liberté, à la femme, à la Méditerranée. C’est un film qui se vit en algérien, chante en italien, rêve en espagnol, danse en égyptien, s’habille en grec et se résilie en corse. Un film poétique qui n’hésite pas à remuer les souvenirs et s’opposer au déni d’un pan important de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Une poésie qui se veut réparatrice et nécessaire pour un futur meilleur, ici et non pas ailleurs.
La dernière reine (106’, 2022)
Scénario et réalisation : Damien Ounouri et Adila Bendimrad
Casting : Adila Bendimrad, Mohamed Tahar Zaoui, Dali Benssalah, Imen Noel
Synopsis : 1516, La légende dit que le roi d’Alger avait une femme nommée Zaphira. Quand le pirate Aroudj Barberousse arrive pour libérer la ville des Espagnols, il est déterminé à conquérir Zaphira ainsi que le royaume lui-même. Mais Zaphira est-elle prête à le laisser faire ou complote-t-elle pour elle-même ?
Ce film a trois grands mérites : le premier est le fait qu’il s’intéresse à une histoire algérienne qui se déroule au XVIe siècle, dans une Alger qui n’était pas encore française ni turque, mais presque sous l’emprise espagnole suite à la chute de Grenade (1492) et la persécution des musulmans menées par les troupes chrétiennes du roi Ferdinando et son épouse Isabella. Le corpus filmique sur cette époque est quasi rare, et La dernière reine comble bien ce vide en offrant un récit historique, non sans subjectivité, mais qui permet de restituer les événements dans leur contexte et explique les contingences qui vont rendre Alger, capitale de l’Etat du Maghreb central, et ce, sous la régence ottomane pendant trois siècles (1519-1830).
Le deuxième mérite de ce film revient à sa capacité à faire voyager le spectateur vers une Alger du 1516 en créant tout un univers avec des décors, des costumes, des accessoires et des intérieurs recréés à partir de récits littéraires, oraux et imaginaires et tournés dans des édifices et des bâtiments authentiques de l’époque, créant ainsi une véritable iconographie de l’Algérie du début du XVIe siècle. Cet univers montre autant le degré de civisme, du multiculturalisme et du polyglottisme que vivait Alger que celui des autres grandes villes algériennes de l’époque : Jijel, Béjaïa, Blida, Miliana, Ténès, Mostaghanem, Oran, Tlemcen, Constantine, Médéa, etc.
Le troisième mérite de ce film consiste en la qualité du casting composé exclusivement de comédiens et d’acteurs algériens issus de la jeune génération et dont la qualité de performance était à la hauteur d’un film d’époque avec toute la responsabilité de créer des personnages historiques pour la première fois à l’écran. Les profils psychologiques et les caractères de chaque personnage vont désormais coller aux artistes interprètes avec une Adila Bendimrad, très convaincante dans le rôle de Zaphira, princesse séduisante, frivole et têtue ; un charismatique Mohamed Tahar Zaoui dans le rôle du sage prince Salim Toumi ; un ambitieux et pernicieux chef corsaire Baba Arroudj magnifiquement interprété par Dali Benssalah ; et une Imen Noel loin de ses rôles habituels jouant ici la princesse Chegga dans une posture digne d’une cheffe de guerre berbère. D’autres acteurs connus dans la comédie et les sitcom ramadhanesques ont également fait preuve de diversité et de professionnalisme (Tarek Bouarara, Slimane, Bounouari, Mina Lachter, Ahmed Meddah, Abdelhalim Zribie, Nasreddine Djoudi…)
Somme toute, La dernière reine aura marqué l’histoire du cinéma algérien en s’intéressant à l’histoire de l’Algérie d’au-delà de 1830 et en mettant la lumière sur des personnages algériens (Salim Toumi, Zaphira, Chegga, …) malencontreusement mis aux oubliettes. Dans ce film, Damien Ounouriet AdilaBendimradviennent alors de les réhabiliter et les faire sortir de l’amnésie historienne.
Nos frangins (92’, 2022)
Scénario : Kaouther Adimi et Rachid Bouchareb
Réalisation : Rachid Bouchareb
Casting : Lyna Khoudri, Reda Kateb, Raphaël Personnaz, Samir Guesmi, Laïs Salameh, Adam Amar
Synopsis : La nuit du 5 au 6 décembre 1986, Malik Oussekine est mort à la suite d’une intervention de la police, alors que Paris était secoué par des manifestations estudiantines contre une nouvelle réforme de l’éducation. Le ministère de l’Intérieur est d’autant plus enclin à étouffer cette affaire, qu’un autre Français d’origine algérienne a été tué la même nuit par un officier de police.
Le film raconte trois jours et nuits de Paris durant les émeutes estudiantines de décembre 1986. Ces manifestations contre le projet de Loi Davaquet sont vues à travers le prisme de deux familles algériennes habitant respectivement à Meudon et à La Courneuve et dont chacune d’elle, va perdre un de ses garçons : Malik Oussekine et Abdel Benyahia, âgés de 22 et 20 ans. Les deux, tués par des policiers ; l’un à coups de matraques par des motards et l’autre par balle d’un commissaire soûle.
Dans Nos frangins, Rachid Bouchareb assure un exercice d’une maîtrise exceptionnelle en termes de réalisation et de restitution de l’histoire. Le scénario de Kaouther Adimi et Bouchareb lui-même est digne d’une enquête policière. Avec un montage parallèle et une caméra de Guillaume Deffontaines qui se fusionne parfaitement avec les images d’archive, le récit en montage alterné rappelle le style de la romancière dans Nos richesses, tout en offrant une matière documentaire et une mise en scène fictive équilibrées.
La musique d’Amine Bouhafa est profonde, suggestive et trouve le juste équilibre entre une trompette urbaine à la Taxi Driver et le chaleureux son des archets entremêlés avec du ‘ud et du deff.Nos frangins est un film humaniste qui se veut rassembleur et partial. Il n’est pas dans le jugement ni dans la revendication, comme il n’est pas dans le récit biographique des victimes ni dans la prosopographie des familles immigrées. C’est un film qui commémore une histoire qui mérite d’être connue et un film qui dénonce des bavures qui doivent être reconnues.
Un devoir de mémoire et de morale dont on trouve la résonnance dans le dernier chant de Renaud :
Et puis ces déchirures, à jamais dans ta peau
Comme autant de blessures, et de coups de couteau
Cicatrices profondes, pour Malik et Abdel
Pour nos frangins qui tombent, pour William et Michel.
Quinze ans, seize ans à peine
Garde-moi ton amour
Garde-toi de la haine.
Quinze ans, seize ans, je t’aime
Comme j’aime le jour
Petite, qui se lève.
Notices de Salim Dada
Compositeur, chef d’orchestre et expert culturel
Membre de l’Algerian Selection Committee of the 95th Academy Awards