Fierté et mélancolie 40 ans après : Sarajevo se souvient de ses Jeux olympiques

22/02/2024 mis à jour: 02:31
AFP
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Des piétons passent devant un logo officiel des XIVe Jeux olympiques d’hiver de Sarajevo, ornant le trottoir dans le centre-ville

Le 8 février 1984, Kasim Djaka, alors soudeur dans une usine automobile, se tenait parmi les 60 000 spectateurs de la cérémonie inaugurale des Jeux olympiques d’hiver au stade de Kosevo, rénové pour l’occasion. «J’étais fier. Mais pas juste moi, nous l’étions tous, toute la Yougoslavie était fière. C’était son plus bel événement», dit à l’AFP M. Djaka, aujourd’hui âgé de 75 ans. A l’époque, la Bosnie était l’une des six républiques yougoslaves. 

 

Pour Kasim Djaka, l’obtention de l’organisation des jeux n’était pas un hasard. «Les jeux ont eu lieu ici parce qu’il s’agit d’un endroit des mélanges des peuples. Nous étions soudés, forts», dit-il. Ahmed Karabegovic, secrétaire général du comité d’organisation de ces 14es Jeux d’hiver, admet que l’idée était surprenante même au sein de la Yougoslavie. Il raconte aujourd’hui à 90 ans les moindres détails avec la joie dans les yeux. 

La candidature d’un pays qui «n’était pas vraiment influent au sein du Comité international olympique (CIO)» et qui avait deux rivaux de taille, la Suède et le Japon, a finalement été acceptée en mai 1978, provoquant une explosion de joie à Sarajevo. M. Karabegovic était à la réunion du CIO à Athènes lors du vote. 

Une remarque de son président à l’époque, Lord Killanin, avant le second tour du vote, lui paraissait déterminante pour choisir entre Sapporo, où les JO avaient déjà été organisés en 1972, et Sarajevo. «Il a dit : ‘’Nous avons le choix de revenir là où nous avons déjà été ou d’aller à une nouvelle destination, peu connue, où nous allons développer l’idée d’olympisme’’», raconte-t-il. 

Sarajevo ne dispose alors que d’une patinoire et d’une piste de ski sur le mont de Jahorina. Le chantier s’engage et, outre des infrastructures de sport, sont érigés un nouvel aéroport, des routes vers les montagnes, des quartiers résidentiels pour accueillir athlètes et journalistes, des hôtels, dont le Holiday Inn, qui deviendra quelques années plus tard le quartier général des reporters de guerre.
 

Les tremplins monuments 

«La construction des infrastructures pour les disciplines olympiques était très complexe, mais il faut dire que tous dans notre ancien pays y ont pris part», dit Dzemo Salihovic, 62 ans, à l’époque jeune grutier sur les chantiers, rencontré le long de la piste de bobsleigh qui serpente dans une forêt à Trebevic.  Elle est aujourd’hui une carcasse de béton armé et aux virages tagués, parfois d’images de Vucko (Petit loup), la mascotte de l’Olimpijada. Criblée de balles aussi, car elle se trouvait sur la ligne de front, elle n’a jamais été rénovée, mais attire des touristes. 

A Igman, les deux tremplins où le Finlandais Matti Nykänen était devenu l’empereur du saut à skis, ne sont plus aussi que des vestiges. Jahorina et Bjelasnica, qui avaient accueilli des disciplines de ski alpin, sont toutefois en plein développement et attirent maintenant des skieurs de toute l’ex-Yougoslavie. Certaines infrastructures dévastées pendant la guerre intercommunautaire (1992-95), comme la patinoire de Zetra, ont été reconstruites avec des fonds du CIO. Paradoxalement, c’est à Sarajevo que la paix avait été célébrée en 1984. Ces JO avaient été un facteur de cohésion dans une Yougoslavie où de nombreux problèmes surgissaient, et avaient aussi uni les deux blocs de la Guerre froide, souligne Ahmed Karabegovic. «La ville vivait alors d’une âme. Les gens étaient euphoriques, joyeux d’accueillir dans leur ville tant de monde», ajoute-t-il. 

«L’olympiade avait fait en sorte que Sarajevo soit le centre du monde pendant ces 14 jours, puis d’être le centre de la Yougoslavie jusqu’à la guerre des années 1990», dit Eldin Hodzic, historien au Musée olympique de Sarajevo. Le Slovène Jure Franko avait soulevé la joie dans le pays en remportant la médaille d’argent en slalom géant, la première médaille olympique pour la Yougoslavie. Volimo Jureka vise odbureka (Nous aimons Jurek plus que bourek), disaient alors les Sarajéviens, faisant allusion à une spécialité culinaire locale très appréciée. 
 

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