Fête de l’Indépendance nationale : J’avais 12 ans le 5 Juillet 1962

06/07/2023 mis à jour: 23:33
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Un Algérien se souvient du 5 Juillet 1962, fête de l’indépendance nationale, un jour indélébile de la mémoire algérienne. Mais enfin, comment en est-on arrivé là ? Et à quel prix ?
Du 5 juillet 1830 au 5 juillet 2023 : de la prise d’Alger au 61e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.

Le 5 juillet 2023, l’Algérie célèbre son 61e anniversaire de l’indépendance. Fanfares, défilés, parades, concerts et feux d’artifice sont prévus dans chaque grande ville d’Algérie. Une date hautement symbolique sous le signe de l’unité nationale, mais qui ne doit pas faire oublier ce passé «chargé» de faits et méfaits d’une colonisation française extrêmement violente. Après des décennies d’humiliations, de bouleversements et de répressions sanglantes, l’heure de l’indépendance est à la joie indélébile et au bonheur d’une nouvelle renaissance qui reviennent de droit à ses vrais habitants, les Algériens.
 

L’Algérie, qui depuis l’Antiquité a subi et supporté toutes les dominations et occupations possibles, devient un Etat indépendant le 5 juillet 1962, un jour indélébile de la mémoire algérienne qui ne ressemble à aucun autre, magique et inoubliable. Dans mes souvenirs d’enfance, c’est une alternance de fêtes et de moment de tristesse et de deuil pour les disparus sans sépultures où nos chouhada sont en quelque sorte encore présents. La joie : mon père et mes deux frères venaient d’être libérés. Le deuil : un parent proche sans sépulture, «disparu» durant la Bataille d’Alger. Mémoire et reconnaissance en ce jour magique sur l’admirable courage des familles de chouhada, des femmes violées, des martyrs des «enfumades», des rescapés des camps de regroupements, des enfants de disparus, des enfants nés sous X, des irradiés de Reggane…
 

L’indépendance nationale, mais à quel prix ? 

Le passé est encore douloureux, cimenté dans nos mémoires collectives, les blessures béantes et les cicatrices indélébiles toujours pénibles sont présentes à ce jour. J’étais un jeune Algérien âgé de 12 ans à l’époque ; je me souviens de ce jour magique que je ne pourrai jamais effacer de ma mémoire. 
 

Le 5 juillet 1962, un climat de liesse règne, notre immeuble à La Casbah d’Alger s’est vidé pendant une semaine. Tout le monde était dehors. Les gens ne dormaient pas, ne mangeaient pas, ne travaillaient pas, de jour et de nuit. A Climat de France, chez ma sœur, avec mes neveux, on repeignait les murs et façades d’immeuble en blanc, puis on ajoutait des inscriptions «Vive l’indépendance», «Tahia El Djazaïr»… Je me déplaçais aussi partout dans les rues d’Alger, sur les capots de voiture, criant ma joie. Je me suis blessé, j’ai perdu deux dents en tombant de l’arrière d’un camion à la rue de la Lyre. Ce moment est cimenté dans ma mémoire. Quand j’y pense, aucune citation ou émotion ne peut le résumer. 

Un jour magique : c’est une journée qui ne ressemble à aucune autre. En ce 5 Juillet 1962, l’Algérie fête, dans la frénésie, l’indépendance que doit proclamer le soir-même le général de Gaulle. Cent trente-deux ans de colonisation jour pour jour après la prise d’Alger par les Français… Hommes, femmes et enfants défilent dans les rues, au cri de «Vive l’Algérie indépendante», vêtus de leurs habits de fête, drapeaux du Front de libération nationale (FLN) au vent. C’est un événement que l’on ne vit qu’une fois. De tous les villages, toute la population venait, les hommes, les femmes de tous âges. Ils dansaient, ils chantaient. On se rencontrait, on criait. C’était l’euphorie. 
 

La population goûte à la liberté retrouvée, les combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) paradent dans les rues, les exilés préparent leur retour et les chefs politiques s’apprêtent à endosser le costume de gouvernants. Avec l’indépendance, arrachée après plus de sept années de guerre et la victoire du «oui» au référendum du 1er juillet, sonne l’heure de la délivrance. Tandis que les adultes emménageaient dans les appartements laissés vacants, les gamins s’adonnaient au pillage des magasins. 

C’est un peu comme si tous les habitants du 93 s’installaient sur les Champs-Elysées. Il faut imaginer les boutiques laissées à l’abandon… Je me suis d’ailleurs allégrement servi pour jouer au Robin des Bois. De Bab Azzoun, j’ai ramené des rouleaux de tissus que j’ai offerts à toutes les voisines de notre immeuble. Les bijouteries étaient vides ! Tout le monde se servait. Tout le monde était content. 

La plus grande joie a été le retour à la maison de mes deux frères. Ils rentraient sains et saufs chez eux, dans un pays libéré, après avoir été incarcérés dans la prison de Serkadji et condamnés à mort. J’avais 12 ans, cette nuit du 5 Juillet 1962, la grande surprise et beaucoup d’émotion, c’est le retour mes frères Mohamed et Laadi, condamnés à mort, ils ont été libérés. De la prison Barberousse, à une demi-heure de notre domicile du 24, rue Randon (actuellement rue Amar Ali), ils sont arrivés la nuit accompagnée d’au moins une dizaine de prisonniers libérés et ne sachant où dormir, le temps de passer la nuit puis de rejoindre leurs familles. 

Ma mère leur a préparé des cafés et des boissons. Tout le monde dans notre immeuble criait et pleurait de joie, les femmes lançaient des youyous stridents. Ils sont venus voir et félicité ces hommes qui ont donné leur vie pour l’indépendance de l’Algérie. Les voisins frappaient continuellement à notre porte pour embrasser mes deux frères. C’était la joie des retrouvailles, des pleurs, des rires, des moments inoubliables cimentés dans ma mémoire. Les hommes fatigués parlaient sans cesse, dansaient, chantaient et refusaient de dormir. 
 

Le lendemain, mon frère Mohamed est parti rejoindre ses amis de La Force locale, en l’occurrence le Commandant Azzedine, le capitaine Nachet et les frères Oussedik. Une nuit inoubliable, magique, bien cimentée dans ma mémoire de jeune Yaouled. Pendant leur absence, des armes et de l’argent étaient dissimulés sous le lit de mes parents. Je me rappelle, j’étais avec mon frère Mohamed à un siège de la Force locale, j’ai pris un revolver dans un appartement à Diar Djamaâ que j’ai caché dans mon cartable. 

C’est un local où il y avait des grenades, des revolvers et plein de munitions. En fait c’était un dépôt de munitions de la force locale. Mon neveu Faouzi a pris une grenade, puis après je ne sais pas s’il l’a donnée à quelqu’un. Ce revolver je l’avais toujours lors des manifestations du 5 Juillet 1962 caché dans mon cartable lors de la rentrée scolaire en 6e au lycée Guillemin, devenu plus tard lycée Okba. Puis de peur je l’ai jeté dans une des rues de La Casbah.
 

Pendant ce temps-là, la fête battait son plein. Avec des copains armés, on a tourné dans les quartiers européens, sur les capots des voitures, en criant de joie «Tahia El Djazaïr». D’ailleurs, je me suis blessé en tombant d’un camion rue de la Lyre. Le 5 juillet 1962 restera pour moi une fête inoubliable. Historique cette ambiance festive, cimentée dans ma mémoire. Même avec la bouche en sang et deux dents cassées. Sur les capots des voitures, des jeunes filles bien habillées brandissaient des drapeaux. 

Cette fête est inoubliable, cette ambiance festive… 
 

Des cris de joie, des larmes et des youyous dans les villes, villages, douars et quartiers d’Algérie. Des dizaines de milliers de femmes, d’enfants et d’hommes ont chanté et dansé sur les places d’Alger et au square Port Saïd transformé en piste de danse. Fanions, guirlandes et drapeaux vert et blanc avec l’étoile et le croissant rouges envahissent les rues. Des enfants bien habillés portent des tenus de fête tricolores, assis sur des charrettes à vélo et plus souvent du haut des camions ou sur les capots de voitures criant «Tahia El Djazaïr», en frappant des mains, chantant et dansant... 

A défaut de camions, parfois accrochés à des lampadaires, des arbres, parapets et balcons, occupés par des grappes de gens. Le drapeau algérien est fièrement déployé aux fenêtres. Les femmes vêtues de blanc, sans la petite voilette (adjar), poussent des youyous dans les rues. C’est du jamais vu dans l’histoire de l’Algérie. Les villes sont envahies par la foule et les klaxons des voitures. La joie éclate, le bruit et l’excitation extrême, des évanouissements dus à la chaleur du mois de juillet, des cris, des enfants errants, perdus. Et ça durait comme ça des jours et des jours. 

Le 5 Juillet 1962 : l’indépendance de l’Algérie est proclamée. Que dire : la joie dans les rues, un peuple colonisé 132 ans qui retrouve son indépendance… Moi le yaouled (gamin) de La Casbah, j’avais 12 ans à l’époque. C’était un moment de folie et d’euphorie. L’exode des Français d’Algérie, qui avait débuté dès le mois de mai, s’est précipité. Pour eux, c’était «la valise ou le cercueil». Ils n’envisageaient pas d’alternative. Bab El Oued, la rue Michelet et la rue d’Isly se sont ainsi vidés de leurs habitants. 

Durant les derniers jours, c’était la panique. Le «oui» avait obtenu 99,72% des suffrages lors du référendum du 1er juillet, le premier scrutin loyal depuis 132 ans. Pendant au moins dix jours, Alger n’était plus une ville mais une fête permanente. Les femmes ne parlaient plus, elles poussaient des youyous à longueur de journée. Les enfants étaient redevenus des enfants. Les grands aussi. Il régnait une sorte d’anarchie joyeuse. C’était une joie indélébile, un événement que je ne peux oublier même si je perdais la raison. Après tout ce que nous avions vécu comme persécutions, peur et cauchemar en permanence, c’était comme une révélation divine et une nouvelle naissance. On nous appelait musulmans, Arabes ou indigènes jamais Algériens. 

Les Arabes, que les colons accablaient de barbarie, paresse, de vanité... 

Le mépris des Européens et les humiliations ont fait de l’Algérien un méchant, un révolté, un révolutionnaire épris de liberté et de justice. Pouvoir vivre sans cette peur, imaginer qu’on peut circuler librement, crier notre joie sans avoir à se justifier était inouï, c’était presque incroyable, inimaginable. Alors qu’on nous avait interdit d’être Algérien et nous étions étrangers dans notre propre pays, nous les bicots, tronc de figuier, ratons, crouilles, singes, bougnoules, sous-homme, ce jour-là, tout semblait permis, tout semblait possible. 

Dans toute l’Algérie les gens étaient dans les rues et descendaient des douars environnants pour exprimer leur joie, et beaucoup de personnes, hommes, femmes et familles entières, s’embarquaient au hasard dans des camions en direction d’Alger pour défiler et fêter «l’indépendance». Pour terminer, non à l’oubli et gloire à nos martyrs. Après 132 ans de colonisation, «tout empire périra», l’Algérie revient toute entière à «ses habitants, les vrais». Ce jour indélébile, inoubliable et magique du 5 Juillet 1962 est toujours présent dans la mémoire collective des Algériennes et Algériens.  Tahia El Djazaïr ! 
 

Par Flici Omar , Gynécologue-obstétricien

 

 

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