A l'ombre de platanes majestueux, avec le chant des cigales en toile de fond, le festival de piano de La Roque-d'Anthéron, en Provence, a développé en quatre décennies une expertise pointue pour repérer des musiciens prometteurs, souvent devenus ensuite des artistes reconnus.
Quand j'ai créé La Roque-d'Anthéron, j'avais deux directions : soit je faisais un festival avec seulement des stars du piano, soit je donnais une véritable identité à un projet culturel très fort», se remémore René Martin, fondateur de ce festival international qui a vu le jour en 1981 dans le luxuriant parc d'un château des Bouches-du-Rhône, dans le sud-est de la France.
«Pour mener à bien cette tâche, il fallait absolument que, dès les premières années, La Roque devienne une terre de découvertes», poursuit René Martin, qui s'appuie, dans sa recherche de virtuoses émergents, sur ses échanges quotidiens avec des professeurs de piano aux quatre coins du globe.
Une place de choix est ainsi faite à de très jeunes pianistes qui, dès l'adolescence pour certains, comme le Géorgien Tsotne Zedginidze cette année, donnent des concerts en solistes sur la grande scène et ses 2000 places entourées d'arbres centenaires.
«Venir en tant que pianiste invité à donner un récital, ça a une grosse signification», relève Rodolphe Menguy, un des pianistes estampillés «nouvelle génération 2024» dans la brochure de la 44e édition du festival, où des grands noms de la musique classique, comme Maria Joao Pires, Grigory Sokolov ou encore Khatia Buniatishvili ont enchanté les mélomanes, cet été.
Le festival, spécifique par son emplacement, en plein air dans ce petit village provençal, et par sa longueur, puisqu'il dure un mois (du 20 juillet au 20 août), «brasse une densité d'artiste assez extraordinaire», ce qui permet d'avoir «sans cesse des relais de génération», estime Rodolphe Menguy, 26 ans.
L'organisation de cours magistraux, auxquels le public peut accéder gratuitement, est un des moyens pour le festival d'identifier les stars de demain parmi les très nombreux pianistes débutants. «La scène de La Roque-d'Anthéron, en tant que jeune musicien, on la connaît tous, au moins (à partir) de photos ou vidéos. C'est une scène assez mythique», souligne Melvil Chapoutot.
Une merveilleuse oreille
Ce pianiste de 27 ans fait partie de la poignée de jeunes logés et nourris par le festival cette année pour participer, sous l'égide de professeurs célèbres, à des master class.
Pour Melvil, qui a récemment terminé son cursus au sein du prestigieux Conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSM), le festival de La Roque-d'Anthéron permet de révéler des talents qui n'auraient pas forcément été décelés par les concours de musique, car ceux-ci sont «une manière de voir la musique dans l'aspect performatif qui ne plaît pas forcément à tout le monde».
Après sa participation à ces master class dédiées à la musique de chambre, la violoniste Manon Galy, 27 ans, a notamment remporté les Victoires de la musique classique (récompenses musicales françaises) en 2022, dans la catégorie «Révélation soliste instrumental».
Les master class, «pour nous, c'était un rêve qu'on touchait du bout du doigt, et après, grâce à ça, tout s'est enchaîné», a témoigné la jeune femme. René Martin, qui organise d'autres festivals de musique classique en France, ne fait jamais passer d'audition directe.
Ce qui le guide pour choisir un artiste, c'est «la profondeur humaine». «Il y a une espèce de grâce, il y a quelque chose qui est un peu surnaturel» chez les artistes les plus talentueux, qui «savent comment parler à une personne avec leur piano», détaille-t-il.
Avec les années, il a acquis la réputation de réussir à repérer les artistes d'exception, car «il a une merveilleuse oreille», souligne Arielle Beck, 15 ans, qui a donné un récital de Robert Schumann au début du festival. «C'est sa vie toute entière qui est destinée à ça, à écouter les musiciens», raconte la jeune fille, qui donne des concerts depuis l'âge de 9 ans.