Mille cinq cent (1500) accréditations délivrées, 30 000 personnes autour et même Francis Ford Coppola venu présenter son dernier film, autofinancé, Megalopolis, descendu par la critique cannoise, n’a eu droit qu’à 10 invitations. L’effet Cannes a fonctionné mieux ou pire que prévu, avec les effets secondaires, cohue, circulation bloquée et Américains en short sur un terrain conquis.
Au centre-ville, une dame coincée par la foule dans le bus, hurle : «Le festival me dérange, il y a trop de monde, je me fais bousculer, les gens sont mal élevés !» Ce n’est pourtant pas perdu pour tout le monde, des dizaines de jeunes femmes se font prendre en photo par les journalistes, passants et touristes dans des tenues plus affriolantes les unes que les autres pendant qu’un vieil homme marche avec un ancien poste-k7 qui hurle aussi la musique du film Star Wars.
Descente sur la célèbre Croisette, Cannes c’est la Méditerranée, mais côté Nord, après les premiers jours passés sous la pluie, un vent violent a pris sa place. La mer est démontée, pas d’immersion possible en maillot, djiti el Cannes ou ma djebtich el maillot, à la place, les boutiques pieds dans l’eau proposent d’autres immersions, snorkeling, plongée, en hélico ou en bateau.
A terre et au village international, c’est le stand de l’Arabie Saoudite qui vaut le détour, espace immense, déco hype et buffet ouvert toute la journée, le tout, pour un seul film, Norah, de Tewfik Al Zaïdi, sélectionné en compétition officielle bien qu’il soit déjà sorti ailleurs, ce que Cannes refuse dans son règlement, exigeant l’avant-première exclusive. Oui, on l’oublie, le cinéma, c’est de l’argent, du lobbying, du réseau, et tout le monde, du moins ceux qui ont un badge, vont manger au pavillon saoudien. Pour le dessert, on chuchote qu’il y a de très bons gâteaux tlemceniens et du thé à la menthe venus d’Alger. Au pavillon algérien.
Algeria is back
Un peu de géostratégie, le pavillon algérien est de l’autre côté du pavillon saoudien, séparé du marocain qui fait face à l’américain par le tunisien. A côté, le chinois, qui draine de la foule, et d’autres nationalités qui tentent de rivaliser dans ce marché impitoyable. Au pavillon algérien, des vidéos de films et des affiches, comme Les enfants du vent, non ce n’est pas une allusion, et Yacine Medkour, producteur de 2 horloges, Zinedine Arkab, directeur du CADC sont là, en maîtres de cérémonie. Faysal Sahbi et Nabil Hadji, conseillers du ministère, reçoivent les nombreaux visiteurs, Franso, alias Sofiane, alias Sofiane Zermani, Karim Aïnouz, Malek Bensmail, Yacine Bouaziz, Ahmed Aggoune, Bachir Derrais, Lynda Nouari, Rachid Benhadj, Mehdi Benaïssa et de jeunes réalisateurs comme Akram Zaghba, bref, tout le monde du cinéma algérien et même des écrivains comme Kaouther Adimi, venue animer une conférence sur la littérature et le cinéma.
Les chiffres, 33 000 euros la location du pavillon, voire le double avec aménagements par des entreprises sélectionnées par le festival (non, on ne peut pas ramener un frigo d’Alger). Budget de l’opération, 1,7 milliard d’Algérie mais au lieu de 5, car c’est Yacine Medkour, de 2 horloges, qui a su faire baisser la facture grâce à son réseau et son expérience. Oui c’est cher mais qui explique que l’Algérie a été absente pendant 7 ans du marché du film à Cannes. Justement, pour cette opération Algeria is back, sur le retour de l’Algérie dans le monde du cinéma, ce ne sont pas uniquement du thé et les gâteaux, producteurs et professionnels du cinéma sont venus au pavillon Algérie, le réalisateur Chakib Taleb Bendiab y a par exemple trouvé un distributeur pour son film. Pour le reste, 4 films algériens sont bien présents à Cannes, hors compétition, le court métrage de Rayane Mcirdi, Après le soleil, sur l’exil encore, Ben M'hidi et Indigènes, en rediffusion.
De Cannes à Ghaza par la côte d’Azur
On l’oublie souvent, Ghaza se trouve sur la Méditerranée, loin vers le Sud-Est. Mais à Cannes, ce sont Gucci, Prada, Vuitton ou Dior qui encadrent la Croisette, avec les stars qui viennent deux fois par jour gravir les célèbres marches (14h et 19h pour les 2 séances au théâtre Lumière), pas d’immersion possible, le public est relégué derrière des barrières et surveillé par des militaires en kalachnikov, non, ce n’est pas du cinéma, mais oui, finalement comme à Annaba on projette les films dans un théâtre. Sauf que Cannes possède plus de 20 salles pour 70 000 habitants, soit une pour 7000 habitants. Et pour gérer la fête, c’est Greta Gerwig, hier égérie du ciné US indépendant et aujourd’hui valeur sûre du Hollywood system, qui est présidente du jury, la réalisatrice de Barbie, film qui avait été interdit entre autres en Algérie, a bien sûr réfléchi aux sensibilités du moment, Israël-Palestine, Ukraine-Russie.
La Palestine, oui. Qui osera ? D’abord le pavillon algérien, tous en pin’s Palestine, puis 4 documentaires présentés dans le cadre du Palestine show case, et l’un, The dear’s tooth, sélectionné dans la compétition des écoles de cinéma. Puis DJ Snake et Leïla Bekhti, deux grandes stars franco-algériennes de la musique et du cinéma, qui ont eu des gestes de soutien à la population de Ghaza, puis une survivante de l’attaque du 7 octobre qui a marqué les esprits en défilant le 16 mai sur les marches de Cannes, dans une robe très spéciale, composée des visages des otages encore retenus en captivité.
Enfin, un film sur la Palestine, La belle de Ghaza, de Yolande Zauberman, qui parle des transexuels palestiniens obligés d’aller à Tel-Aviv, capitale de «la seule démocratie de la région», thème LGBT très mal à propos en ces moments de génocide. Mais les Israéliens ne sont pas pour autant contents, «c’est probablement la première fois dans l’histoire du Festival de Cannes qu’il n’y a aucun film, aucun acteur, aucune actrice, aucun producteur et aucune productrice israéliens sur la Croisette», se plaint un chroniqueur d’I24. Sauf que les producteurs israéliens monteront bien les marches pour le film américain Ho Canada de Paul Schrader en compétition officielle, avec Richard Gere et Uma Thurman. Alors match nul ? On ne sait pas, mais pour le reste, il y a The invasion, reality-film vu du côté ukrainien, sur l’attaque russe.
Cannes prend position alors retour au marché, celui du film, où il faut quand même payer 1500 euros pour déposer un film afin de trouver éventuellement un distributeur, celui des places où des gens quémandent devant les marches rouges une pancarte à la main pour une invitation pour tel ou tel film, le marché du sommeil (Cannes c’est 200 euros la nuit au minimum, si on trouve une place), et le marché tout court, où on trouve des poissons méditerranéens qu’on ne trouve pas sur la côte sud de la mer. Pourquoi ? Peut-être l’objet d’un documentaire.
Immersive compétition
Ce n’est pas nouveau, la VR (virtual reality) est vieille, depuis au moins le film Tron, en 3D et en 360° avec ou sans motion-capture, c’est moins vieux, interactif encore moins et avec les nouvelles technologies comme le N-tracking, tout est permis aujourd’hui. Bien sûr, nous n’en sommes plus effets spéciaux bluffants et au tournis, le choix des sujets et l’histoire s’imposent aujourd’hui comme pour un vrai film, les sensations en plus et tout en sortant de la «dictature du cadre».
Ce qui est nouveau est que c’est la première fois que le Festival de Cannes inclut une compétition (Immersive compétition), alors que le réalisateur prodige Alejandro Inarittu (Babel, Birdman, The revenant) avait déjà présenté à Cannes Carne y arena en 2017, court immersif en réalité augmenté de 7 minutes. 8 films en compétition, 8 hors compétition pour cette catégorie à part, c’est en tous cas une bonne piste pour l’Algérie où les budgets pour le cinéma restent faibles et la passion des jeunes pour l’informatique, le développement et le jeu vidéo très grande.
A Cannes, dans cette compétition immersive qui se joue aussi dans des salles obscures mais avec des casques sur la tête et des manettes aux mains, coup de cœur pour Evolver, plongée grandeur nature dans le corps humain, la vie, la respiration, racontés par Cate Blanchett et produit par Terence Malik qui avait d’ailleurs obtenu une palme d’or ici même à Cannes pour son film Tree of life (L’arbre de la vie). «Nous sommes une cellule partie intégrante de l’univers», explique le film, nous sommes une cellule partie intégrante du cinéma, pourrait-on expliquer au pavillon Algérie. On y est optimistes, plus de 15 films devraient sortir cette année, dont ceux de Tati, Djaad, Bensmaïl, Bendiab, Benkhlouf, Chouikh, Khemmar, Benhadj.
Ce ne sont pas les 2500 films indiens qui sont produits chaque année mais c’est déjà ça.
En parlant de Tati, c'est Rachida Dati, ministre de la culture française et d'origine marocaine qui a débarqué au village international. Elle est entrée dans le pavillon marocain, est restée 20 bonnes minutes puis est ressortie en boudant le pavillon tunisien et algérien juste à côté. Elle a prétexté n'avoir pas le temps. A l'année prochaine.