L’environnement numérique est un espace en constante évolution, présentant à chaque fois de nouveaux défis et opportunités pour la protection des droits et des libertés. Cela ne peut se faire qu’à travers l’établissement de tout un arsenal réglementaire.
Malheureusement, le législateur algérien avance à pas de tortue et n’arrive toujours pas à suivre la mutation rapide de cette numérisation, qui envahit chaque jour davantage la société et le quotidien des individus. Ce constat a été partagé par plusieurs chercheurs rencontrés hier, lors d’un Colloque international organisé par le laboratoire de la constitution algérienne et les études juridiques prospectives.
L’intitulé de la rencontre hybride, tenue à l’université Les Frères Mentouri Constantine 1 (UFMC), est «Les droits et les libertés dans le contexte de l’environnement numérique international et national». Plusieurs volets de ce thème concernant la citoyenneté numérique ont été abordés et débattus par les participants algériens et étrangers à travers 96 communications. Mais comment évaluer le traitement juridique des libertés entre la réalité et l’espérance ?
En réponse, le professeur Ahmed Boulemkahel, responsable du laboratoire mentionné, estime : «Nous vivons une réalité amère, envahie par les différents réseaux et les nouvelles technologies.» Le législateur algérien, selon notre interlocuteur, avance très lentement en comparaison avec la rapidité du développement de la technologie. «Je vous cite l’exemple des réseaux sociaux, où nous n’avons pas uniquement Facebook à gérer. Actuellement, il y a, entre autres, Instagram, WhatsApp et TikTok caractérisé par un aspect de concurrence.
Ce dernier réseau pousse l’utilisateur à créer du contenu sans se déplacer ou déployer d’efforts tout en gagnant de l’argent. Ce qu’il ne faut pas oublier, ce même contenu est accessible par n’importe qui, laissant des réactions ou des commentaires négatifs», a-t-il précisé à El Watan. Et de renchérir que ce genre de réactions négatives ou péjoratives sur les réseaux peut porter atteinte à l’ordre public.
Mettre des limites aux réseaux
Il est temps, selon le Pr Boulemkahel, de mettre des limites à ces réseaux afin de cerner les libertés et les droits dans le cadre de la Constitution algérienne et les normes de la société. «Avec l’évolution actuelle et rapide de l’environnement numérique, l’utilisateur ne différencie plus entre ses droits et ses devoirs», a-t-il insisté. Peut-on dire que la législation algérienne est en décalage ? «Il y a une réaction de la part du législateur algérien, mais elle est très lente. Le législateur attend à ce qu’on commet l’acte ou le cybercrime, pour qu’il établisse une loi ou procède à la modification des textes du code pénal.
Même l’intervention des services de sécurité vient après des actes d’insultes, de diffamation ou de dépôt de plainte », souligne le Pr Boulemkahel. Et d’ajouter qu’en dépit des avantages de la numérisation, ses inconvénients sont catastrophiques. Aujourd’hui, la citoyenneté numérique fait face à plusieurs défis, qu’elle doit surmonter.
Ces défis se perçoivent, d’après notre interlocuteur, en «4 piliers composant cette citoyenneté», à savoir l’éthique de l’utilisation de la numérisation, l’éducation de l’individu tout en respectant l’aspect religieux de la société, l’éducation réglementaire et à la fin les mesures répressives. «Il faut discerner et profiter aussi de l’expérience des autres pays arabes et occidentaux, qui nous ont devancés dans ce domaine et ont pu mettre un terme à certaines pratiques.
Cela sans oublier également l’incident qui a conduit à l’arrestation des influenceurs algériens et les failles signalées dans les lois. Il est nécessaire d’aller vers la prospection et l’anticipation de la réalité, en établissant un plan A et un plan B», a-t-il conclu.
De même pour la liberté d’expression, précise le Dr Fadila Yassad, enseignante à la Faculté des droits de l’université de Skikda. La liberté d’expression, indique-t-elle, doit être cernée par un cadre juridique et répondre à des conditions. «Certes le législateur algérien, si je ne me trompe pas, a établi depuis 2018 des textes réglementaires dans ce sens, mais c’est insuffisant.
Ces textes sont inefficaces, vu le nombre des dépassements signalés qui portent atteinte aux individus. Une loi doit anticiper et accompagner l’évolution numérique, afin de l’encadrer et la réglementer», insiste le Dr Yassad.