Solidement diplômé, Abdellaoui Cheikh devient enseignant de musique. Sauf que, nullement carriériste pour un sou, il papillonne successivement entre diverses institutions en différentes villes.
Trois jours avant sa mort, survenue le 3 octobre, à 79 ans, il avait inopinément rejoint Facebook au grand bonheur de ses amis qui ont aussitôt interagi avec lui. Parmi eux, notre confrère Najib Stambouli qui s’est exclamé : «Ôooh, quel immense plaisir de revoir mon cher ami Abdellaoui Cheikh, artiste talentueux et homme porteur de nobles valeurs humaines...»
Qu’on se rassure, il n’y a aucune flagornerie dans cette réaction tant Cheikh est un être aimable. Nous qui l’avions perdu de vue depuis 18 ans, après avoir rendu compte d’une de ses créations (El Watan du 7 mai 2006), nous l’avions amicalement sermonné d’avoir totalement disparu des radars, ce à quoi, il avait répondu tout aussi affablement.
Sauf qu’il était écrit que la faucheuse allait nous priver de renouer avec sa succulente camaraderie. Aussi, à sa mémoire, dans ce qui suit, l’évocation à chaud du parcours de vie de cet artiste qui portait en bandoulière, tout naturellement, l’anticonformisme ainsi qu’un gout de la bohème conforme à un exercice entier de son art. Hanitet Mokhtar, un musicien féru de l’histoire artistique de Sidi Bel Abbès, se rappelle : «Après sa formation ; il avait rejoint les « Kamel’s », un groupe de musique créé en 1965 et dont le nom est en hommage à Kamel Attar, un sociétaire de Basil session, un fameux groupe de musique occidentale. Kamel qui venait de périr tragiquement suite à un accident de la circulation, était le frère ainé de Lotfi, le guitariste de Raïna Raï.»
Cheikh ne s’était pas lancé dans cette aventure non sans avoir été solidement formé de façon académique au sein du conservatoire de Sidi Bel Abbès.
A cet égard, il a eu pour professeur Djelloul Yellès, un musicologue de renom, également directeur du conservatoire. De la sorte, Cheikh sera réputé parmi les compositeurs et les arrangeurs de sa génération, pour être l’un des rares à l’ouest du pays, à pouvoir remettre ses compositions transcrites sur partition. Cependant, en tant qu’instrumentiste, Cheikh est un soliste émérite à la guitare classique. A l’époque, cet instrument présentait l’avantage de jouer avec tout, autant la musique occidentale, alors encore présente en Algérie, qu’algérienne.
Trio bel-abbésien
Wahbi n’a-t-il pas commencé à gratter avec une guitare dénichée dans la boutique de son grand-père alors que Blaoui avait transformé la sienne en guitare mandole ? Malik Hannouche, l’élève de Cheikh, devenu son collègue en tant que professeur, rappelle que Abdellaoui a parfait sa formation auprès d’Alexandre Lagoya a l'université Paris-Vincennes, un musicien ayant mené une carrière de soliste et de pédagogue.
En outre, il avait élargi sa palette artistique en fréquentant parallèlement les rencontres artistiques de haut niveau organisées par l’Académie internationale de musique de Paris. Aussitôt qu’il a arrêté ses penchants musicaux et fait le choix du Asri wahrani, Cheikh quitte les Kamel’s et fonde son propre groupe, Le trio bel-abbésien, avec Zaïdi Yacine et Fekih Bachir qui, pour l’anecdote, deviendra un membre fondateur du FIS et qui se désolidarisera de ce parti dès 1991. Dans son CV, établi de sa main, Cheikh mentionne qu’il est compositeur/arrangeur et interprète indépendant tant en musique classique qu’orientale.
Il est également auteur de musique de film et de théâtre. Il est enfin un pédagogue. En effet, solidement diplômé, il devient enseignant de musique. Sauf que, nullement carriériste pour un sou, il papillonne successivement entre diverses institutions en différentes villes. En tant que formateur, il est à la fin 1965 maître auxiliaire de musique au lycée Benzerdjeb de Tlemcen.
Il quitte cet établissement en 1968, exactement trois années après, jour pour jour. Presque trois ans plus tard, en 1971, il revient à l’enseignement, cette fois avec le titre de professeur de musique au lycée Ould Kablia Saliha de Mostaganem. En cette cité, il fonde un nouveau trio pour continuer dans le répertoire du Asri. En 1974, il rejoint la radio d’Oran et prend du large en 1977 de l’enseignement. Il s’en libère pour occuper les fonctions de responsable de l’animation culturelle à l’Ecole supérieure de l’Air de Tafraoui à Oran jusqu’à décembre 1981.
En décembre 1978, il avait pris définitivement du large de la RTA. En septembre 1981, il avait renoué avec l’éducation nationale pour former cette fois des enseignants à l’Institut de Technologie de l’Éducation à Oran. En 1994, il cesse toute fonction avec les organismes publics. Par ailleurs, on ne peut censément évoquer Cheikh Abdellaoui sans citer ses deux plus proches amis d’enfance et d’âge adulte, les regrettés Ahmed Benaïssa et Brahim Tsaki. Ah, ces quelques homériques soirées passées ensemble en marge du festival de théâtre «moumtaz» de Sidi Bel Abbès ! C’était irradiant.
Il fallait les voir se tordre de rire à l’évocation de leur premier acte d’engagement politique, à peine à vingt ans, il fallait l’oser en juin 1965, pour contester le coup d’État dès son lendemain. Eux, courant à perdre haleine, fuyant leurs tenaces poursuivants, et leur petit copain, lui à peine adolescent, Ziani Cherif Ayad, ayant grand-peine à soutenir le rythme de la débandade. Dors en paix, l’artiste, la vie n’est qu’un songe pour citer, comme à ta manière, les grands auteurs, ici Calderon en l’occurrence…