Convoquées au beau milieu de l’été, les élections législatives espagnoles de dimanche (aujourd’hui, Ndlr) ont forcé plus de deux millions d’électeurs à voter par correspondance, vacances obligent. Une particularité qui nourrit l’idée d’une supposée manipulation, exploitée par la droite et l’extrême droite.
Pour les estivants soucieux d’honorer leur devoir de citoyen, il a fallu s’organiser pour participer à ces législatives anticipées: 2,6 millions de personnes ont ainsi demandé à voter par correspondance, soit 6,9% des 37,7 millions d’électeurs, un chiffre inédit.
Signe d’une fébrilité autour du sujet, la commission électorale a décidé jeudi, à quelques heures de l’échéance, de «proroger le délai de remise par les électeurs des enveloppes de vote à la Poste jusqu’au vendredi 21 juillet à 14 heures», afin de «faciliter autant que possible le droit de suffrage des citoyens».
Depuis le début de la campagne électorale, l’opposition met en doute la capacité des services postaux à faire face à cet afflux, insinuant que des bulletins pourraient ne pas être comptabilisés à temps. «Je demande aux facteurs d’Espagne qu’ils se donnent à fond, du matin au soir, même s’ils n’en ont pas les moyens suffisants, et qu’ils sachent qu’ils ont entre leurs mains une chose sacrée pour les Espagnols: leur vote», a lancé mi-juillet le leader du Parti Populaire (PP, droite), Alberto Núñez Feijóo, favori des sondages. Le chef du parti d’extrême droite Vox, Santiago Abascal, s’est dit lui «terriblement inquiet», estimant que les services postaux n’avaient pas été dotés des «moyens nécessaires». «Tout ça va de pair avec la mauvaise intention de convoquer des élections pendant les vacances des Espagnols», a-t-il affirmé.
«Confusion» -
Ces dernières semaines, le vote par correspondance avait déjà fait l’objet de nombreuses «fake news» assurant que la date du scrutin avait été choisie pour organiser une «fraude électorale» au bénéfice de la gauche. «Il n’y a jamais eu de vote en plein été» dans le pays, souligne Giselle Garcia Hipola, politologue à l’Université de Grenade, selon qui le caractère inédit de la situation est propice à la désinformation. «Il est facile d’embrouiller l’électeur qui ne sait pas vraiment comment cela fonctionne», poursuit-elle.
En réponse aux insinuations de l’opposition, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a dénoncé mi-juillet «une stratégie visant à créer de la confusion pour décourager les gens d’aller voter et leur faire perdre confiance dans le processus électoral». Faute d’expérience, certains électeurs ont eu toutefois des déconvenues, comme Enriqueta Gonzalez. «Le jour où ils ont annoncé à la télé la date des élections, j’ai fait une demande de vote par correspondance sur internet», raconte-t-elle.
Mais «c’est compliqué, il y a trop de démarches», dit cette agente immobilière de 51 ans, qui n’avait pas compris qu’elle devait ensuite attester de son identité dans un bureau de poste et a attendu les bulletins de vote qui ne sont jamais arrivés. Le délai passé, elle ne pourra pas voter et regrette sa «bêtise». Cristina García Loygorri, une Madrilène de 48 ans, a été au contraire surprise par la simplicité de la démarche, elle qui redoutait «les queues d’une ou deux heures». Elle confie nourrir toutefois de la «méfiance» vis-à-vis du vote par correspondance: «Est-ce que mon vote va vraiment arriver ?» dans l’urne.
«Jeu dangereux»
Selon Astrid Barrio, professeure de sciences politiques à l’Université de Valence, le principal «risque» serait une grande différence entre le nombre de gens inscrits pour voter par correspondance et ceux ayant effectivement voté. «Cela pourrait être interprété de manière tendancieuse comme une tentative de mécanisme de manipulation électorale» à des fins de désinformation, craint-elle.
Les observateurs internationaux accordent pourtant beaucoup de crédit au système électoral espagnol et aux règles du vote par correspondance, «considéré comme l’un des plus solides et des plus fiables qui existent», assure Joan Botella, politologue à l’Université autonome de Barcelone. A semer le doute, certains partis politiques jouent un jeu «dangereux», met en garde sa consoeur Giselle García Hipola. «Quand on introduit des doutes à l’égard d’un organisme public, on en doute ensuite pour toujours, quelle que soit la couleur politique» du gouvernement. «C’est typique du populisme et on l’a vu partout dans le monde», rappelle-t-elle, en référence aux accusations de fraude lancées par Donald Trump ou Jair Bolsonaro après leur défaite électorale.