En 1853, le vicomte José Bernardino de Sa, un Brésilien ayant fait fortune dans le commerce d’esclaves devenait le plus grand actionnaire individuel de la plus ancienne banque du pays, Banco do Brasil.
Cent soixante-dix ans plus tard, cette banque, aujourd’hui aux mains de l’Etat, fait l’objet d’une enquête judiciaire sur ses liens avec l’esclavage, de quoi alimenter la pression croissante dans plusieurs pays pour que ceux qui ont profité du commerce transatlantique d’êtres humains soient contraints à des réparations.
Au Brésil, dernier pays d’Amérique à avoir aboli l’esclavage, en 1888, le débat a été relancé, quand 14 historiens ont envoyé au parquet fédéral une étude sur l’implication de Banco do Brasil dans la traite négrière. Les procureurs ont ouvert une enquête et demandent à présent à la banque de verser des réparations. Selon les historiens, il s’agit de la première affaire de ce type au Brésil. Fondée en 1808, Banco do Brasil est actuellement la deuxième banque d’Amérique latine, avec environ 380 milliards de dollars d’actifs.
«Des capitaux sous la forme de corps humains ont été une partie fondamentale du système financier brésilien», peut-on lire dans l’étude élaborée par des historiens d’universités locales, mais aussi d’Harvard et de l’Université de Pittsburgh (Etats-Unis). Les cicatrices causées par des siècles d’esclavage sont encore largement visibles au Brésil, pays de 203 millions d’habitants où 56% de la population est Noire ou métisse. Le racisme continue de toucher de plein fouet les Afro-Brésiliens : ils gagnent en moyenne moitié moins que leurs concitoyens blancs, leur espérance de vie est plus courte et ils font face aux discriminations au quotidien. «Ce ne sont pas des problèmes du passé, ce sont des problèmes d’aujourd’hui», insiste Martha Abreu, de l’Université de l’Etat de Rio de Janeiro (Uerj).
Au-delà des excuses
Courant novembre, les procureurs ont tenu une audience publique avec des militants, des autorités gouvernementales et des représentants de Banco do Brasil. La réunion a eu lieu symboliquement au siège de Portela, l’une des prestigieuses écoles de samba qui défilent au carnaval de Rio de Janeiro, un emblème de l’influence noire sur la culture brésilienne.
André Machado, un directeur de la banque, a ouvert les débats en lisant un texte présentant des excuses publiques pour le rôle de l’institution dans «l’histoire perverse» de l’esclavage. Banco do Brasil a rappelé qu’elle est dirigée actuellement par Tarciana Medeiros, première présidente noire de son histoire.
La banque a également présenté un plan pour réduire les inégalités, avec des financements pour des entrepreneuses noires ou pour des projets de recherche sur les questions raciales. Mais le procureur Julio Araujo a jugé ces propositions «insuffisantes».
Son équipe va continuer à réclamer des réparations plus significatives, dit-il à l’AFP. «Quand on parle de réparations, ça ne peut pas juste être des excuses», renchérit l’activiste Silvia de Mendonça, du Mouvement noir uni. Selon elle, il ne s’agit pas forcément de verser des indemnités individuelles, mais plutôt de financer des projets pour améliorer «l’inclusion» de la communauté noire. Elle cite pêle-mêle des centres culturels, des projets éducatifs ou une réforme de la police, l’immense majorité des victimes de violences policières étant des personnes noires.
Esclaves en garantie
Le Brésil est le pays qui a reçu le plus d’esclaves venus d’Afrique durant le commerce transatlantique.
Du XVIe au XIXe siècles, environ 5,5 millions d’entre eux sont arrivés par bateau dans la colonie portugaise devenue indépendante en 1822. Selon les historiens, Banco do Brasil avait des liens très étroits avec l’esclavage. José Bernardino de Sa était l’un des principaux trafiquants d’esclaves au monde, responsable de l’arrivée d’au moins 19.000 Africains au Brésil de 1825 à 1851.
Le directeur de la banque à l’époque, Joao Henrique Ulrich, avait participé à la traite d’esclaves en Angola. Son vice-président, Joao Pereira Darigue Faro, était issu de la famille qui possédait le plus d’esclaves dans la région du Sud-Est, pôle de la production de café au Brésil.L’étude a également montré comment Banco do Brasil utilisait son capital - issu pour la plupart de la traite négrière - pour soutenir toute une économie basée sur l’esclavage.
Les esclaves étaient même utilisés comme garantie pour obtenir des prêts. Les historiens veulent à présent aller plus loin. Dans leur ligne de mire: d’autres compagnies, mais aussi des familles dont la richesse actuelle est liée à l’esclavage.