C’est à l’issue de deux semaines de négociations que les défenseurs des océans ont dénoncé la «porte ouverte» à un feu vert très prochain à l’exploitation minière sous-marine, même en l’absence de règles environnementales solides pourtant réclamées par de plus en plus d’Etats.
Certes, «l’atmosphère politique a radicalement changé depuis un an, où aucun Etat ne s’était levé pour dire non à l’extraction minière», a déclaré Emma Wilson, du groupement d’ONG Deep Sea Conservation Coalition, à l’issue deux semaines et demie de négociations de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
Mais désormais, «dans 100 jours exactement, l’AIFM pourrait recevoir une demande de n’importe quel Etat sponsor» d’une entreprise pour un contrat d’exploitation, s’est-elle alarmée lors de la session de clôture, évoquant le risque que sans un océan en bonne santé, les humains deviennent «comme ces poissons sur les ponts des bateaux, qui luttent pour respirer».
L’AIFM et ses 167 Etats membres sont en charge à la fois de la protection et de l’exploitation potentielle du plancher océanique hors juridictions nationales, «patrimoine commun de l’humanité».
L’autorité basée en Jamaïque n’a pour l’instant octroyé que des contrats d’exploration à des centres de recherche et des entreprises dans des zones bien délimitées, potentiellement riches en minerais. L’exploitation industrielle du nickel, cobalt ou cuivre n’est-elle pas censée commencer avant l’adoption d’un code minier en discussions depuis près de dix ans.
ONG et scientifiques alertent depuis des années sur les menaces de dommages inestimables à des écosystèmes profonds encore peu connus.
Et de plus en plus d’Etats relaient cette inquiétude : Canada, Australie, Belgique, Brésil et d’autres ont insisté à Kingston pour que l’exploitation ne puisse commencer sans des règles rigoureuses.
«Les conditions n’existent pas pour que l’exploitation des fonds marins puissent commencer», a insisté vendredi le représentant du Mexique Marcelino Miranda. Une quinzaine d’autres (France, Allemagne, Chili, Vanuatu...) poussent plus explicitement pour un «moratoire» ou une «pause» de l’exploitation.
«L’extraction minière sous-marine abîmerait le plancher océanique, mais aurait aussi un impact plus large sur les populations de poissons, les mammifères marins et le rôle essentiel de régulation du climat des écosystèmes profonds», a souligné pendant les négociations le représentant du Vanuatu Sylvain Kalsakau.
«Comme des somnambules»
«Nous encourageons nos voisins du Pacifique qui ont exprimé un intérêt pour l’extraction minière sous-marine à s’éloigner du précipice», a-t-il ajouté. Un message pour Nauru qui a jeté un pavé dans la mare en déclenchant à l’été 2021 une clause permettant de réclamer l’adoption du code minier dans les deux ans.
Dans le cas contraire, le petit Etat insulaire pourrait solliciter un contrat d’exploitation pour Nori (Nauru Ocean Resources), filiale du canadien The Metals Company qu’il sponsorise, à l’expiration de cette période le 9 juillet -- avant donc la prochaine réunion du Conseil de l’AIFM.
L’ambassadrice de Nauru Margo Deiye a répété vendredi que son pays attendrait la conclusion de cette session de juillet avant de déposer une demande, espérant que le code minier puisse y être adopté.
Une perspective toutefois peu probable selon nombre d’observateurs et négociateurs. «Il est on ne peut plus clair maintenant qu’il y a encore un long chemin à parcourir et que les deux semaines de session en juillet seront largement insuffisantes pour finaliser ce code», a assuré vendredi l’ambassadeur belge Hugo Verbist.
Et les 36 membres du Conseil, organe exécutif de l’AIFM, n’ont pas réussi à se mettre d’accord à cette session sur le processus d’examen d’une demande de contrat d’exploitation qui serait déposée en l’absence de code minier.
«Marcher comme des somnambules vers une situation légale incertaine au-delà du 9 juillet est devenue une réalité», a dénoncé Hugo Verbist, déplorant cette «faille légale» créée par l’absence de décision.
«Les gouvernements laissent dangereusement la porte ouverte à ce que l’extraction minière sous-marine se faufile et commence plus tard cette année», a de son côté dénoncé dans un communiqué Louisa Casson, de Greenpeace.
Si The Metals Company se prépare pour un début de production industrielle fin 2024, plusieurs ONG craignent que d’autres industriels profitent de cette faille pour déposer une demande de contrat dès l’expiration des deux ans le 9 juillet.
Quelques semaines après l’adoption historique d’un traité pour protéger la haute mer, «ce résultat irresponsable est une opportunité gâchée d’envoyer un signal clair (...) que l’ère de la destruction des océans est terminée», a fustigé Louisa Casson.