Entretien / Djamal-Eddine Akretche. Recteur de l’université des sciences et de la technologie Houari Boumediène de Bab Ezzouar : «L’USTHB a toujours été un réservoir de compétences au service de l’Algérie»

25/04/2024 mis à jour: 04:06
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( photo : B. Souhil )

Un demi-siècle ! C’est l’âge de l’USTHB, l’Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène de Bab Ezzouar. En effet, l’USTHB fête ce jeudi son 50e anniversaire, elle qui a été créée officiellement par l’ordonnance n°74-50 du 25 avril 1974. 

Avec 54 000 étudiants, l’imposante infrastructure universitaire en béton, qui s’étale sur 105 hectares, et qui a été dessinée par Oscar Niemeyer, est sans conteste le plus grand campus du pays. Pour marquer ce 50e anniversaire, entretien avec son recteur, le professeur Djamal-Eddine Akretche. 

Pr Akretche, faut-il le souligner, a vu l’USTHB grandir, lui qui a été étudiant en chimie dans la toute première promo qui a inauguré l’immense campus avant d’intégrer le corps professoral puis l’équipe dirigeante de l’université jusqu’à prendre les rênes de l’USTHB en mars 2020. 
 

Entretien réalisé par  Mustapha Benfodil

 

 

L’Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène de Bab Ezzouar fête ce 25 avril ses 50 ans. Vous qui êtes un témoin privilégié de son évolution, quel bilan dressez-vous de ce demi-siècle qu’aura traversé l’USTHB ?

D’abord, il y a un chiffre qui m’a interpellé, c’est le nombre de diplômés qui sont sortis de l’USTHB et le nombre d’étudiants qui sont passés par cette université depuis sa création en 1974. Nous en sommes à 837 592 étudiants qui ont été inscrits à l’USTHB durant ses 50 ans d’existence, et nous avons 169 088 diplômés de l’USTHB depuis la création de l’université. On a 111 852 diplômés au titre du nouveau système (LMD) et on compte 57 236 diplômés de l’ancien régime, c’est-à-dire ingéniorat et DES. Dans la première promo, celle de 1974, nous étions 2000 étudiants : 1000 en sciences exactes et technologie, et 1000 en sciences biologiques et médicales. Jusqu’en 1986, le tronc commun de médecine se faisait ici. Nous avons en outre 8352 post-graduants qui sont sortis de l’USTHB : 4468 magistères et 3785 docteurs d’Etat. La première promo de magistère a vu le jour en 1978-1979. Ils étaient au nombre de huit. En 2011-2012, on a atteint un pic de 409 magistères qui ont été délivrés cette année-là. 
 

Elle reste la première université du pays ?

En sciences et technologie oui, c’est la première université du pays. Il ne faut pas oublier que l’USTHB a été la première université spécifique créée après l’indépendance. En 1962, il y avait juste l’université d’Alger qui a été créée en 1909 et qui est la plus ancienne. On a ensuite créé une université à l’est et une autre à l’ouest pour équilibrer les choses. C’est ainsi que sont nées les universités d’Oran et de Constantine. Dans les années 1970, la réflexion était de pousser au développement des sciences et de la technologie. Ce sont ces disciplines qui avaient le vent en poupe comme aujourd’hui, la mode est à l’intelligence artificielle. Pourquoi ? Parce qu’il y avait le développement industriel à accompagner. L’Algérie commençait à développer de la grosse industrie et celle-ci nécessitait des cadres algériens, beaucoup d’ingénieurs, pour faire tourner cette industrie. Donc, il fallait former la ressource humaine. La stratégie de l’époque, c’était de rassembler toutes les sciences et la technologie ici, en créant un pôle d’excellence qui produirait des cadres algériens dans ces disciplines. L’encadrement au départ était à 90% étranger. C’étaient des coopérants de toute nationalité. Ensuite, en 1978-1979, il a été décidé de la fermeture de la Faculté des sciences d’Alger en obligeant tout le corps professoral qui y enseignait, et qui était algérien, en majorité, à migrer vers la nouvelle université des sciences et de la technologie. Polytech, l’Ecole nationale polytechnique, qui a été créée en 1925, fut elle aussi rattachée à l’USTHB et elle l’est restée jusqu’en 1984. Il y avait 30% de réussite au bac à l’époque. Ce qui fait que quand l’USTHB a été ouverte, nous étions, comme je l’ai indiqué, 2000 étudiants. Quand vous les répartissez sur les spécialités, vous en avez certaines qui ne comptaient que cinq ou six étudiants. Par exemple en DES de chimie, on était seulement quatre. Jusqu’en 1984, l’effectif de Bab Ezzouar ne dépassait pas les 20 000 étudiants. 

A quel moment s’est produit le boom, la massification de l’université de Bab Ezzouar ?

La massification a commencé dans les années 1985-1986. Et maintenant, on se retrouve avec presque 54 000 étudiants. C’est quand même assez lourd à gérer. A chaque rentrée, nous enregistrons au moins 10 000 nouveaux inscrits. 
 

A la sortie, c’est combien ?

A la sortie, c’est 6000 à peu près. En réalité, nous avons plus de 10 000 diplômés chaque année. Mais une partie d’entre eux, ce sont des licenciés qui poursuivent leurs études en master. Nous avons ainsi une moyenne de 6000 masters annuellement. Et nous avons 2566 doctorants inscrits. Si je prends l’année 2022-2023, on a eu 84 doctorants ancien régime et 158 docteurs LMD qui ont soutenu. C’est la moyenne usuelle qui tourne autour de 250 soutenances de doctorat par an. 
 

En termes d’encadrement, l’effectif enseignant est-il suffisant ?

Nous comptons 2100 enseignants. Mais le ratio est trompeur : on divise 54 000 étudiants par 2000 enseignants et on aurait 27 étudiants par prof. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. La répartition des enseignants est inégale d’une faculté à l’autre, sachant que nous avons neuf facultés. Vous avez des facultés qui ont trop de formations de master, donc en fin de compte, leur effectif est consommé par l’encadrement de ces masters. Il y a trois facultés qui sont sollicitées par tous les troncs communs, en l’occurrence celles de mathématiques, de physique et de chimie. Parce que dans le tronc commun, tout le monde fait maths, physique et chimie. Par conséquent, chacune de ces facultés doit fournir un nombre important d’enseignants qui vont encadrer les étudiants. 
 

En évoquant les 50 ans de l’USTHB, on pense aussi aux bâtiments de l’université. Il y a cette infrastructure en béton à l’architecture particulière conçue par Oscar Niemeyer, et il y a les nouvelles extensions. Est-ce que l’infrastructure vieillit bien ?

Il y a eu effectivement une évolution au point de vue infrastructure qui a permis d’absorber les flux que nous avons reçus. C’est le traitement des façades qui pose problème. On a déjà fait un appel d’offres. C’est difficile de faire le traitement des façades en béton, il faut des entreprises spécialisées. On espère trouver une entreprise qui ait ce savoir-faire pour assurer l’entretien du vieux bâti qui a tenu tout de même 50 ans. Il faut tirer chapeau à l’ex-DNC-ANP qui a construit l’université. Niemeyer a été l’architecte de l’université mais c’est la DNC-ANP qui l’a réalisée, avec les 26 amphis et les premières salles de classe, ce qu’on appelle «les 100» et «les 200». Par la suite, il y a eu les salles 300 et 400. Nous avons justement un projet de réhabilitation de toutes les anciennes salles de classe ainsi que les amphis. 
 

A combien s’élève votre budget annuel, Professeur ?

Notre budget est d’environ 110 milliards de centimes par an. Mais 90% de cet argent va dans les salaires. Quand vous y ajoute le coût d’entretien, il ne vous reste rien du tout. Nous avons créé une filiale pour faire rentrer un peu d’argent. C’est une filiale d’expertise. 
 

Le rôle de l’université, en dehors de la formation, c’est aussi de produire de la recherche. Les enseignants de l’USTHB ont-ils le temps et les moyens de se consacrer à la recherche ? 

Les résultats sont corrects. Mais on peut mieux faire, d’abord en essayant de trouver une meilleure organisation. Nous avons actuellement 73 laboratoires et c’est un nombre trop élevé à mon goût. C’est à partir de 2000 que la recherche scientifique a été structurée avec la loi sur la recherche accompagnée de la création du Fonds national de la recherche. Pendant vingt ans, il y a eu une production, et nous avons même des laboratoires d’excellence. L’USTHB en compte quatre, sachant qu’il y en a 20 seulement sur l’ensemble du territoire national. Nous en avons deux en biologie, un en génie civil et un autre en génie électrique. Le problème, il faut une autre vision. Aujourd’hui, la recherche n’est plus cloisonnée. Il y a d’autres méthodologies qu’il faut développer, et d’autres paradigmes. Les cloisonnements ne marchent plus. Dans un laboratoire de recherche aujourd’hui il faut des équipes pluridisciplinaires. Il faut créer des laboratoires à thèmes. J’aurais bien aimé avoir un laboratoire qui s’occuperait par exemple des énergies renouvelables. 
 

Et qui serait connecté sur le secteur industriel ?

Bien sûr ! C’est important. Il faut de la recherche utile en dialoguant avec le secteur économique pour voir quelles sont les attentes du secteur. J’essaie de pousser vers ces fusions. J’aimerais que la recherche ait un sens plus percutant, plus efficace, qu’elle soit à la fois innovante et en phase avec la réalité. Il y a des équipes mixtes qui se forment avec des entreprises. Il y a des ouvertures. Moi j’encourage ces ouvertures. Il y a pas mal de conventions que nous avons signées pour essayer d’avoir ce mix dynamique avec les entreprises. 
 

C’est dans cet esprit que vous avez initié des masters professionnels ?

Tout à fait, et j’en fais même mon cheval de bataille. C’est intéressant de faire des masters professionnels et de répondre à une demande bien ciblée d’une entreprise, monter un programme de formation avec l’entreprise et former ainsi des cadres pour l’entreprise. Dans la formation et dans l’employabilité, il faut voir tous les segments. En ce moment, ce sont les start-up qui ont le vent en poupe. Nous avons deux incubateurs de start-up au niveau de l’université. On a signé une convention avec Algérie Telecom. On leur a dit, on vous donne un espace, vous venez, on fait un appel à idées, après, on va sélectionner les propositions des étudiants, et l’incubation, vous allez la financer. Vous allez les accompagner, et si leur start-up est créée, vous serez leur premier client. On va essayer aussi de lancer quelque chose dans ce sens-là avec Sonatrach et d’autres sociétés. Nous avons tout un bâtiment qu’on a baptisé «Start-up’s Hall» dédié à l’entreprenariat et aux startups. C’est un hall assez vivant. Donc il y a des salles qui sont là, qu’on attribuera à des incubateurs en partenariat avec des entreprises en dehors des deux incubateurs que nous avons. 
 

Comment voyez-vous l’avenir de l’USTHB, Monsieur le recteur ?

Il y a d’abord cette opération de réhabilitation pour rénover notre université. Ça, c’est un de nos chantiers en cours. Il y a un autre chantier, qui concerne le volet pédagogique. Il faut être de son temps. Il y a de nouvelles méthodologies à mettre en place, à l’instar de ce qu’on appelle «la classe inversée». Il faut exploiter ces nouvelles approches, de même que les ressources qu’offre l’enseignement à distance. Il faut réfléchir à la meilleure façon d’optimiser nos moyens pour transmettre efficacement le savoir aux étudiants. La transmission classique est obsolète. Il faut plus de flexibilité dans la pédagogie. 

Du point de vue recherche, mon souhait est qu’il y ait des regroupements de laboratoires, qu’on aille comme je l’ai souligné vers des laboratoires pluridisciplinaires axés sur des thèmes d’actualité, en phase avec l’évolution industrielle. C’est à ce prix-là qu’on pourra produire de l’innovation technologique qui sera valorisée à un très haut niveau. Les industriels, ailleurs, s’appuient beaucoup sur les laboratoires universitaires pour obtenir leurs brevets et créer des produits innovants qui leur permettent de soutenir la concurrence. Géographiquement, l’USTHB a une position stratégique. Nous sommes à côté d’un aéroport international. 

D’ailleurs, nous allons bientôt signer une convention avec l’aéroport international d’Alger. Il y a également deux zones industrielles qui sont toutes proches : celle de Oued Smar et celle de Reghaïa. Il y a le Quartier d’affaires qui est voisin de l’université. Il faut capitaliser cette position. Nous devons tisser des liens avec notre environnement socioéconomique. L’aspect pédagogique également, il faut qu’on le développe avec ces entreprises à travers, comme je l’ai dit, les masters professionnalisants, ainsi que les formations d’ingénieur qui gagneraient à être faites en lien avec le secteur industriel. 

Il faut que l’USTHB devienne quelque chose de plus vivant, d’interactif avec son environnement et que tout le monde joue son rôle. J’aimerais pour finir rendre hommage à tous les chefs d’établissement qui ont chacun œuvré durant sa période de gestion en fonction des conditions qui ont été les siennes. Parce qu’on ne peut pas comparer le travail d’un recteur dans les années 1970 avec celui d’un collègue dans les années 2000 ou bien le travail que je mène actuellement. 

Chacun a apporté sa pierre à l’édifice, et tous les chefs d’établissement ont contribué au maintien du niveau de notre université. Je rends hommage également à tous les enseignants et à tous les travailleurs qui ont œuvré durant ces 50 ans à maintenir l’aura de l’USTHB. Et on demande à ce que tous les membres et tous les enfants de l’USTHB poursuivent cet effort, et que se perpétue cet esprit d’appartenance qui fait qu’on soit jaloux de son université. Il y a un «esprit USTHB». 

Et cet «esprit USTHB» est salutaire dans la mesure où cette université reste un réservoir de compétences qui a servi, qui sert et qui servira encore au développement de notre pays.
 

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