Face à une pénurie d’infirmières, des hôpitaux américains se tournent vers des applications leur permettant un recrutement à la tâche qui offre meilleure rémunération et davantage de flexibilité à ces professionnelles de la santé.
En 2020, au plus fort de la pandémie de la Covid-19, Jessica Martinez s’est installée dans le New Jersey (nord-est) pour un contrat temporaire d’infirmière au moment où les hôpitaux subissaient un afflux de patients. Mais avec le retour à la normale, cette infirmière de 38 ans a opté comme de plus en plus de ses collègues pour une activité à la tâche - «gig work» en anglais -, préférant choisir ses gardes sur des applications plutôt qu’un contrat de plusieurs mois au sein d’un établissement hospitalier. «Il m’est arrivé de ne travailler qu’un jour par semaine ou, à l’inverse, d’enchaîner sept jours sur des gardes de huit heures, c’est vraiment selon ce qu’il se passe dans ma vie», explique-t-elle à l’AFP.
Cette activité à la tâche - plus lucrative et plus souple en termes d’emploi du temps - a pris de l’ampleur car les hôpitaux américains tentent de nouvelles approches pour pallier leur manque de personnel. Un modèle qui est comparé à des applications telles qu’Uber. La pandémie a poussé près de 100 000 infirmiers à quitter leur emploi à cause du stress, selon un récent rapport de leur Conseil national. Et plus de 610 000 autres comptent partir d’ici 2027 à cause du stress, du surmenage ou pour leur retraite, a-t-il précisé. Ce qui représente un nombre assez élevé pour un effectif de 5,2 millions d’infirmiers en activité en 2022.
«Crise du personnel»
Il y a une «crise du personnel dans le système de santé», admet Deborah Visconi, directrice générale du centre médical de Bergen New Bridge, où travaille Mme Martinez. «Beaucoup de gens ont décidé de partir en retraite anticipée ou de se reconvertir», relève-t-elle. Depuis que l’établissement s’est associé à la plateforme CareRev, 150 professionnels s’y sont inscrits pour y travailler. «Nous pouvons trouver quelqu’un pour une garde en quelques heures», pointe Mme Visconi, ajoutant que 80% des besoins sont comblés de cette manière.La plateforme Aya Healthcare a vu les gardes prises par des infirmiers à la tâche augmenter de 54% en 2022. Au niveau national, le nombre de gardes proposées sur son application a progressé de 62%, indique Sophia Morris, sa vice-présidente.
Flexibilité
Pour Mme Martinez, le travail à la tâche est plus «rémunérateur» qu’un contrat avec un hôpital, d’«au moins 30% de plus». Mais en tant que contractuelle, elle ne bénéficie pas d’avantages normalement accordés par l’employeur, comme l’assurance santé, donc elle dépend de celle de son mari. D’autres, comme Chantal Chambers, profitent à plein de la flexibilité offerte en choisissant leur garde parfois la veille au soir. Lorsqu’elle vivait à San Diego, la jeune femme s’est inscrite sur Aya Healthcare, profitant des possibilités offertes pour mieux faire coïncider activités familiales et emploi du temps professionnel, disposant ainsi de davantage de temps avec ses deux enfants. Pour Deborah Visconi, l’usage des plateformes ne peut que progresser à une époque où les employés voient différemment leur travail et cherchent à disposer de plus de temps libre ou à travailler davantage, selon leurs besoins. «Nous avons une population vieillissante, qui demande plus de soins de santé, nous sommes à l’orée d’une crise», qui pousse les hôpitaux à «envisager les options plus flexibles», estime l’infirmière en cheffe de CareRev, Susan Pasley.
«Tension»
Mais certains s’inquiètent des conséquences sur la prise en charge des patients. «Le risque est de voir des établissements mal préparés, avec un nombre insuffisant de personnel pour faire face à des urgences ou à des afflux de patients», pointe Michelle Mahon, du Syndicat national des infirmiers. Autre risque : le manque de connaissances de l’espace de travail, comme savoir où sont stockés les équipements d’urgence, s’inquiète-t-elle. Un problème bien réel, assure Sarah DeWilde. Cette infirmière du Missouri (nord) forme des infirmiers en «gig work» dans son hôpital, sans qu’elle ne puisse évaluer convenablement leurs compétences, selon elle. Et «la conséquence est que je n’ai plus le temps de m’occuper de mes patients car je les aide à prendre en charge les leurs», souligne-t-elle, «je suis déjà en sous-effectif, surchargée et dépassée».
Pire : les infirmiers à la tâche peuvent être payés «jusqu’à deux fois plus» que les autres, «cela peut créer des tensions». Deborah Visconi se veut cependant positive, s’attendant à une amélioration de la situation car ces infirmiers ont tendance à retourner dans les mêmes établissements.