Comme Mme Yadav, des centaines d’Indiennes ont été formées au pilotage de ces appareils, dans le cadre du programme «Drone sister», soutenu par le gouvernement. Il vise à moderniser l’agriculture du pays en réduisant les coûts de main-d’œuvre tout en permettant de réaliser des économies de temps et d’eau, dans un secteur soumis aux défis croissants liés au changement climatique. Mais «Drone sister» est également révélateur d’une évolution des mentalités en zones rurales vis-à-vis des femmes actives.
Auparavant, «les femmes qui travaillaient étaient méprisées, moquées, parce qu’elles négligeaient leurs devoirs maternels», explique à l’AFP Mme Yadav, après une journée de sillonnage aérien d’un champ verdoyant de jeunes pousses de blé. «Les mentalités évoluent peu à peu», se félicite cette mère de deux enfants.
Femme au foyer pendant seize ans après avoir épousé un agriculteur, elle avait peu d’opportunités d’emploi dans son hameau situé près de la ville de Pataudi, à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de New Delhi. Après cinq semaines passées à pulvériser deux fois 60 hectares de terres agricoles, elle empochera 50 000 roupies (555 euros), soit un peu plus de deux fois le salaire mensuel moyen dans son Etat de l’Haryana.
Source de «fierté»
Ce travail n’est pas seulement pour elle une source de revenus mais aussi une source de «fierté». «Je n’ai jamais pris place dans un avion, mais j’ai l’impression d’en piloter un maintenant», s’enorgueillit la trentenaire, qui dit adorer quand on l’appelle «pilote».
Sharmila Yadav fait partie du premier groupe de 300 femmes formées par l’Indian Farmers Fertiliser Cooperative Limited (IFFCO), le plus grand fabricant d’engrais chimiques du pays. Une fois opérationnelles, elles reçoivent des drones de 30 kilos et des véhicules électriques pour les acheminer. D’autres entreprises d’engrais ont rejoint ce programme, dont l’objectif est de former 15 000 «drone sisters» à travers le pays. «Ce programme ne vise pas seulement l’emploi, mais aussi l’autonomisation et l’entrepreneuriat rural», assure Yogendra Kumar, directeur marketing d’IFFCO. «Les femmes, qui auparavant ne pouvaient pas sortir de chez elles en raison d’une culture patriarcale profondément ancrée et du manque d’opportunités, se présentent avec enthousiasme pour y participer», affirme-t-il à l’AFP. «Elles peuvent désormais faire face aux dépenses du foyer sans dépendre des autres.»
La pulvérisation d’engrais par drone est rentable car moins gourmande en eau et en temps que la pulvérisation manuelle. «Il faut seulement cinq à six minutes pour pulvériser quelque 4000 m2», soit près d’un demi-hectare, affirme-t-il. Selon une enquête gouvernementale réalisée l’an dernier, moins de 42% des femmes exercent un travail officiel en milieu rural, contre 80% des hommes.
Voler de ses propres ailes
Le Premier ministre Narendra Modi s’est fait le champion de ce programme et l’a même mentionné dans son discours annuel lors de la fête nationale indienne, en août dernier. Il s’est dit heureux de voir les femmes à l’avant-garde d’une nouvelle pratique agricole. «Qui aurait pensé, il y a encore quelques années, que dans notre pays, les femmes vivant dans les villages pourraient aussi piloter des drones ? Mais aujourd’hui, cela devient possible», a-t-il ajouté en février lors d’une émission de radio.
Pour devenir «drone sister», les femmes doivent passer un entretien, puis une épreuve écrite à l’issue d’une semaine de cours théoriques. C’est ensuite qu’elles peuvent passer à une semaine de formation pratique.
Dans l’une des salles de classe accueillant une nouvelle promotion, Rifat Ara, 23 ans, reconnaît avoir hésité à s’inscrire. Mais une fois apprises les ficelles du métier, elle n’imagine pas revenir en arrière. «C’est un sentiment formidable de pouvoir voler de ses propres ailes et d’être appelée pilote de drone», se félicite-t-elle, s’imaginant déjà «apprendre à voler à d’autres femmes».
Nisha Bharti, instructrice au sein de l’école «Drone Destination», est motivée par la transformation de ses élèves au fur et à mesure qu’elles maîtrisent leur métier. «Lorsqu’elles arrivent de leurs villages, elles sont très nerveuses. Mais à la fin de leur formation, elles sont très confiantes», affirme-t-elle. «C’est comme s’il leur poussait des ailes et qu’elles voulaient voler de plus en plus haut.»