En attente d’extradition, la justice française tranchera son sort le 9 octobre prochain : L’étau se resserre autour de Abdessalem Bouchouareb

21/09/2024 mis à jour: 21:17
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Abdessalem Bouchouareb

D’Alger à Paris, puis à Beyrouth ou encore à Dubaï, l’ancien ministre de l’Industrie et des Mines Abdessalem Bouchouareb a, durant plus de cinq années de cavale, laissé planer le doute sur son lieu de résidence, alors que son nom était sur la liste des personnes recherchées par Interpol, en vertu des nombreux mandats d’arrêt internationaux lancés contre lui par la justice algérienne, après sa condamnation à plusieurs peines de prison pour des affaires de corruption. 

Surprise ! Mercredi dernier, il a comparu devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, au sud de la France, en tant qu’Algérien résidant dans les Alpes-Maritimes (Sud-Est de la France), dans le cadre de huit demandes d’extradition, trois pour exercer des poursuites et cinq pour exécuter cinq jugements le condamnant à une peine de 20 ans de prison, une amende de plusieurs millions de dinars algériens et la confiscation de ses biens pour des faits de corruption, d’octroi d’indus avantages, conflit d’intérêts, trafic d’influence, abus de fonction et détournements de fonds publics. 

C’est ce qu’a annoncé l’Agence française de presse (AFP), en précisant que ces derniers mois, les juges français ont saisi les autorités judiciaires algériennes sur deux suppléments d’information liés à des éclaircissements sur des points juridiques, et réclamé l’engagement formel que la peine de mort, si elle est encourue, «ne sera ni requise ni appliquée». Dans les réponses déjà apportées, a ajouté la même source, la cour s’interroge sur le fait qu’un jugement condamnant Abdessalem Bouchouareb à 20 ans de prison vise des faits pour lesquels le code pénal algérien fait encourir un maximum de 10 ans. 

L’avocat de l’ancien ministre, Me Benjamin Bohbot, a ajouté l’agence de presse, voit dans cette peine, qu’il qualifie «d’illégale», «la démonstration de simulacres de procès tenus en violation des droits procéduraux élémentaires», avant de déclarer les jugements «non conformes aux standards internationaux». 

Le parquet général a, pour sa part, demandé un renvoi de la décision pour traiter l’ensemble des demandes d’extradition lors d’une même audience. Ainsi, le sort de Abdessalem Bouchouareb va se jouer justement en France. Pourtant, il était plutôt serein et confiant lors de sa première apparition (et la dernière), juste après sa mise sous contrôle judiciaire, dans le cadre des procédures d’extradition. 

S’exprimant sur un site électronique algérien (AlgériePart), il a démenti les rumeurs sur son arrestation, mais aussi «sur toute poursuite, mise en examen ou procédure d’extradition» à son encontre et précisé qu’il vivait en France en toute liberté, sans aucune contrainte, avant de souligner que c’est lui-même qui s’est présenté à la gendarmerie pour savoir s’il faisait l’objet d'un mandat d’arrêt ou non. 


Placé sous contrôle judiciaire depuis 11 mois

Pourtant, au moment où il s’exprimait, Abdessalem Bouchouareb était bel et bien sous contrôle judiciaire dans le cadre des demandes d’extradition de l’Algérie et soumis à une interdiction de quitter le territoire français. Considéré comme l’un des plus influents ministres sous l’ère Bouteflika et un élément clé dans le système de corruption et de rapine qui s’était alors mis en place, il a donné du fil à retordre aux enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption, ainsi qu’aux juges du pôle économique et financier, qui peinaient à localiser sa fortune à l’étranger, après avoir retracé une bonne partie de celle qui était en Algérie. 
Des commissions rogatoires ont été délivrées entre 2020 et 2022 à de nombreux pays, parmi lesquels la Suisse. Au mois de février 2020, la première commission est délivrée à Berne, suivie quelques semaines après d'une demande d’entraide judiciaire internationale. Le ministère public de Genève répond positivement quelques mois après. 

En 2021, la justice algérienne délivre une commission rogatoire complémentaire, approuvée par ses homologues helvétiques au mois de novembre 2021 et en décembre, une décision de saisie de documents bancaires est prise. 

Il s’agit d’un compte appartenant à Abdessalem Bouchouareb, où une somme de plus d’un million de francs suisses a été versée le 18 janvier 2017. En janvier 2022, la justice suisse bloque la somme de 1,740 million d’euros sur un autre compte et au mois d’octobre de la même année, la justice helvétique ordonne la transmission des documents à la justice algérienne. 

Une décision à laquelle s’est opposé l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale et directeur de la campagne électorale du 4e mandat de Bouteflika en 2014. Ses avocats vont s’attaquer à la justice algérienne, à laquelle ils ont reproché de ne pas avoir informé l’ancien ministre de l’inculpation citée dans la demande de juin 2021. 

Bref, la défense a évité d’aborder l’origine des fonds domiciliés dans les comptes de Bouchouareb, s’attardant sur «la persécution exercée par le gouvernement» sur son mandant. Selon elle, Abdessalem Bouchouareb est poursuivi pour «ses opinions politiques» et que les prisons algériennes «sont dénoncées comme donnant lieu à des traitements dégradants». 

Les mêmes arguments utilisés par l’ancien ministre de l’Energie Chakib Khelil devant la même juridiction, pour les mêmes faits. Mais les juges suisses n’ont tenu compte que des points de droit liés aux faits. Tout comme pour Chakib Khelil, les juges ont débouté l’ancien ministre. 

Dans leur arrêt du 27 juillet 2023, publié le 25 octobre de la même année, les juges suisses ont contredit les avocats de Abdessalem Bouchouareb. Ils ont estimé que l’ancien ministre a voulu bloquer la transmission de sa documentation bancaire, en déclarant que les demandes d’entraide algériennes «comportaient des lacunes, erreurs et contradictions», et qu’il «était étranger aux faits». 

Les juges ont estimé que «la description des faits dans les demandes algériennes ne présente pas d’erreurs manifestes, contradictions ou lacunes» et souligné que, selon l’Etat requérant, Bouchouareb aurait mis en place «un réseau complexe de sociétés étrangères qui, en partie sous de faux noms ou des hommes de paille, aurait servi à transférer des avoirs soupçonnés de provenir de la corruption en Algérie. Ces avoirs auraient par la suite été blanchis à l’étranger». 


Des comptes en suisse et des biens immobiliers en France

Cet ancien député du RND n’est pas à sa première affaire. En 2003 déjà, il avait été éclaboussé par le scandale dit de Khalifa Bank. Le patron de cette banque privée, qui purge une peine de 18 ans de prison, lui avait transféré un montant de 140 millions de dinars en contrepartie de l’hypothèque d’un terrain destiné à son usine de chips (Flocon d’or). 


La somme n’a jamais été remboursée et l’hypothèque levée alors que Abdelmoumène Khalifa était en fuite à l’étranger. 

Placé sous contrôle judiciaire au niveau de la Cour suprême, son dossier a été mis sous le coude, alors qu’il était député du RND (de 2004) pendant des années, jusqu’à être propulsé vice-président de l’Assemblée de 2012 à 2014, année où il prend les rênes de la campagne électorale du défunt Bouteflika pour un quatrième mandat, alors qu’il était sur une chaise roulante et aphone. 

En 2016, son nom est cité dans le scandale Panama Papers, lié aux paradis fiscaux et révélé par un consortium de journalistes internationaux. L’on apprendra que Abdessalem Bouchouareb, alors ministre de l’Industrie et des Mines, possède une société offshore, la Royal Arrival Corp, créée en 2015, et dont les activités sont la représentation et la négociation commerciales, les contrats commerciaux, les travaux publics, le transport ferroviaire et maritime, qui se déroulaient en Turquie, aux Emirats, au Royaume-Uni, en Suisse et en Algérie.

 Sa création a été faite par l’intermédiaire d’un cabinet de conseil luxembourgeois, la Compagnie d’étude et de conseil (CEC), chargé d’effectuer les démarches auprès de la société de domiciliation panaméenne Mossack Fonseca. Selon toujours cette enquête, l’ancien ministre détenait un compte bancaire suisse auprès de NBAD Private Bank SA. 

Lorsque le cabinet Mossack Fonseca a demandé des informations sur Bouchouareb, a indiqué le consortium, un formulaire soumis par la CEC l’identifiait comme le «ministre de l’Industrie et des Mines». Encore une fois, l’ancien ministre n’a même pas daigné justifier l’origine des fonds qui alimentaient ses comptes, notamment en suisse. 


En 2018, d’autres informations ont fait état de l’acquisition de deux importants biens immobiliers dans l’un des quartiers les plus huppés de Paris, dont un aurait été vendu une année après qu'il ait quitté le pays. Mais à aucun moment Abdessalem Bouchouareb n’a apporté des explications. 

En Algérie, ses biens, des villas, des appartements et des terrains, ont été identifiés, mais certains ont été vendus à la hâte avant qu’il ne décide de quitter le pays. Les autres ont été saisis par la justice. 

Dans tous les dossiers de corruption liés aux concessionnaires automobiles, à l’hydraulique, au transport, le nom de Bouchouareb est cité. Après la première condamnation à 20 ans de prison par défaut et le premier mandat d’arrêt international, de nombreux autres vont suivre en cascade. 

D’abord avec Ali Haddad puis Mourad Oulmi et son épouse, Mahieddine Tahkout, Reda Kouninef et les trois Premiers ministres, Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal et Noureddine Bedoui. 

En tout, huit peines maximales de 20 ans de prison, assorties chacune d’un mandat d’arrêt international, sont prononcées contre lui pour, entre autres, «octroi et perception d’indus avantages», «trafic d’influence», «blanchiment d’argent», «abus de fonction», «transfert illicite de fonds de et vers l’Algérie». 

La neuvième et dernière condamnation à 20 ans a été prononcée le 3 octobre 2023, dans le cadre du procès de l’ancien ministre  Abdelhamid Temmar, également en fuite, devant le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, avec de nombreux autres ex-membres du gouvernement, pour des faits de corruption. 
 

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