Trente ans après l’élection de Nelson Mandela en Afrique du Sud, son parti, l’ANC, va devoir retrouver l’esprit de sa «lutte» acharnée menée contre l’apartheid pour rester majoritaire, à l’aube d’une année électorale cruciale pour son avenir.
A court d’argent et critiqué en raison de la corruption, d’une économie faible, d’incessantes coupures d’électricité et d’une criminalité croissante, plusieurs sondages montrent que le Congrès national africain (ANC) pourrait passer sous la barre des 50% pour la première fois de son histoire, sans forcément menacer son pouvoir lors des élections générales prévues en mai.
Mais des divisions internes, comme une désaffection grandissante au sein de l’électorat pourraient contraindre le parti à former une coalition pour se maintenir à la tête du pays. «L’ANC n’a jamais été aussi divisé alors qu’il se prépare aux élections les plus critiques depuis 1994», souligne William Gumede, professeur de politique à l’université du Witwatersrand. L’ex-président Jacob Zuma a parachevé une année 2023 difficile en partant en guerre, en décembre, contre les «camarades» qu’il a dirigés pendant une décennie.
A 81 ans, Zuma, qui est lui-même poursuivi pour corruption mais qui conserve de l’influence, a appelé à voter pour un petit parti radical, récemment créé et baptisé Umkhonto We Sizwe (MK), comme le nom de l’ancien bras armé de l’ANC. Tout en jurant de sa loyauté envers l’ANC, dont il restera membre «jusqu’à (sa) mort», il dénonce les membres du gouvernement de l’actuel président Cyril Ramaphosa – qu’il avait choisi autrefois comme vice-président –, en les qualifiant tous de «vendus».
Trahisons et double jeu
En décembre, un autre vétéran, Mavuso Msimang, a aussi brièvement quitté l’ANC, se plaignant de sa «corruption endémique», avant d’être convaincu de revenir. «La trahison, la malhonnêteté et le double jeu au sein de l’ANC sont devenus la norme», note l’analyste politique Sandile Swana. En dehors du parti aussi, la critique enfle.
Le chef de l’Eglise anglicane, Mgr Thabo Makgoba, a déclaré que les Sud-Africains étaient «usés par les mensonges, la corruption et l’incompétence», dans une récente attaque à peine voilée.
«Alors que des politiciens commencent à se rendre compte qu’ils ne seront peut-être pas reconduits lors des prochaines élections, leurs tromperies, escroqueries et fraudes deviennent de plus en plus flagrantes», a-t-il ajouté. Mamphela Ramphele, ancienne directrice de la Banque mondiale, qui a autrefois formé son propre parti pour défier l’ANC, a déclaré que «le gouvernement post-apartheid a conduit le pays à des sommets d’inégalité, de pauvreté et d’injustice». Le soutien au parti baisse régulièrement. En 2019, il avait remporté 57% des voix. Mais cette année, il risque de perdre sa majorité : un sondage d’octobre place l’ANC à 45%, contre 52% en mars dernier.
Même pas peur
Certains analystes estiment que la désertion de Zuma pourrait même faire chuter ce chiffre sous les 45%. Sa région, le pays zoulou (Est), compte le plus grand nombre de membres de l’ANC. «Il exerce à la fois un attrait identitaire et un attrait rebelle pour les électeurs en colère», analyse Susan Booysen, de l’Institut de réflexion stratégique de Mapungubwe.
Pour William Gumede, dans l’hypothèse d’un score situé entre 46 et 49% des voix, l’ANC devra trouver des alliances avec des partis radicaux de gauche, y compris les Combattants pour la liberté économique (EFF), deuxième parti de l’opposition du pays, qui a lancé une campagne volontariste, réclamant notamment la redistribution de terres appartenant aux Blancs. Si l’ANC plonge sous les 45%, la question du maintien de Cyril Ramaphosa comme président sera posée. «Une vraie vengeance pour Zuma», dit-il. S’adressant cette semaine à des militants, Ramaphosa s’est montré confiant, affirmant que ceux qui pensent que le parti sera chassé du pouvoir «ne font que rêver». «Cela n’arrivera pas», a-t-il déclaré.
«On voit arriver tous ces autres partis qui se présentent. Nous sommes prêts à les affronter, nous n’avons pas peur d’eux.» Raymond Parsons, économiste à l’université du Nord-Ouest, note les inconnues de l’avenir politique sud-africain, avec la montée en puissance du parti de Zuma et de l’EFF. «En 2024, il s’agira inévitablement de naviguer dans des eaux mal cartographiées.»