Mahdi Boukhalfa, le prolixe auteur, publie, Khaouty avancez l’arrière (Bons baisers d’Algérie) , un recueil de chroniques de la rubrique ‘’Raïna Raikom’’ entre 2006 et 2018 au Quotidien d’Oran. Le livre a été publié en septembre 2021 chez les Editions du Net, Paris (France) et en compte 406 pages.
Khaouty, avancez l’arrière (Bons baisers d’Algérie) - cela rappelle l’album du grand et talentueux groupe fusion algéro-afro-maghrébine, Djmawi Africa ayant édité un album intitulé « Avancez l’arrière»- est une lecture quotidienne des comportements des Algériens, de leur vie, de leurs attentes et de leurs espérances face aux gouvernements Bouteflika successifs, qui tentent de gérer le pays par décrets exécutifs, comme on gère des situations d’urgence, dans l’urgence et pour seulement répondre à des urgences.
Cela donne des expressions loufoques venues du génie populaire pour décrier la vie du pays et les gesticulations du gouvernement, comme cette belle expression de ‘’Khaouty, avancez l’arrière’’. L’ouvrage comprend 131 chroniques dont La vraie couleur des Verts, La main des Djinns, Pétrole, es-tu là, Tant qu’il y aura de l’argent, ou Une question de dignité, pas d’Euros. Des textes ironiques, qui dépeignent une dure réalité des Algériens, obligés de ramer quotidiennement pour une pomme de terre ou une tomate à bas prix, un logement social, un petit boulot pour boucler les difficiles fins de mois… «Khaouty, avancez l’arrière» est une image surréelle de l’Algérie de la seconde moitié des années 2010. Celle de la décadence vertigineuse du règne de Bouteflika. Une sorte de parodie d’un existant morne et morose, voire la description sous la dérision d’une vie pleine de stress, de handicaps sociaux ; une vie dans un pays plongé dans un désordre si parfait, tellement inouï, qu’il a engendré un état de gouvernance sociale et économique absolument ahurissant.
SURF SUR LAME… DE RASOIR
Dans l’avant-propos de Khaouty avancez l’arrière (Bons baisers d’Algérie), l’auteur Mahdi Boukhalfa, écrit : «Un désordre moral et institutionnel si parfait que le pays vogue sur une mer agitée par un vent de force 10 sans couler. Sans que la vague scélérate ne l’emporte dans les abîmes de la déchéance sociale et politique. Existentielle. Même le Hollandais Volant ne s’y frotte pas, encore moins le terrible Kraken. La Baraka divine ? Peut-être que oui.
Ce pays a été tellement torturé, depuis la prise d’Alger vers 1550 par des Corsaires sous la bannière turque venue pourtant en ‘’amis’’ jusqu’à l’invasion de la France, et sa colonisation. Tant de temps vécu sous le joug de colons de tous les horizons, depuis les Phéniciens et les Carthaginois, les Romains, peut-il engendrer un «Homo Algérianus» encore inconnu des paléontologues, des archéologues ? A savoir ! Comment cela pourrait-il se produire dans un pays où les boutades et les moqueries sur la gouvernance locale frisent l’irrespect ? Sinon l’évitent sur une terrifiante vérité : le pays n’avance pas. Pis, il recule. Ce que la formule des receveurs d’autocars privés, nés par la grâce d’une politique sociale d’insertion des jeunes en leur octroyant des prêts pour l’achat de bus afin d’endiguer le chômage, résume si bien : Khaouty (mes frères) avancez à l’arrière.
Qui n’avance pas, recule, dit le vieil adage. Le drame de l’Algérie des troisième et quatrième mandats du président Abdelaziz Bouteflika (1999-2019) est qu’elle n’avance pas, ne recule pas, ne fait pas de surplace. Les plus futés ou les plus intelligents de la société civile disent volontiers, de cette situation ubuesque de l’Algérie, qu’il y a pédalage dans le vide, ce néant imparfait, incertain, qui s’est installé dans le pays depuis l’arrivée de Bouteflika. Un flamboyant journaliste, Kheireddine Ameyar, avec sa dégaine à la John Lennon, qui désespérait de voir son Algérie retrouver le cap de ‘’’Bonne espérance’’, n’a pas survécu à sa démence soudaine. Parfois, cependant, ‘’l’arme fatale’’ n’est pas ‘’l’arme à gauche’, quand il faut combattre contre les forces de l’inertie, de la décadence… ».
Les Algériens n’ont pas raté la marche du siècle, le Hirak
En clair, l’Algérie, au plus fort des années à 140 dollars le baril de pétrole, juste après la fin de la crise économique de 2008, n’a pas saisi au vol sa chance de relancer sa reprise, remettre les gaz de la croissance, et résoudre certains problèmes sociaux récurrents, comme le logement, le chômage, l’éducation,… De cette situation de gabegie économique au moment des courbes ascendantes des cours de l’or noir, les Algériens, devenus nombreux et ne bénéficiant pas d’une vraie politique sociale d’insertion dans les grands rouages de la vie institutionnelle et économique, regardaient d’un œil moqueur, parfois avec des sourires narquois, les frétillements de la classe politique, en particulier les deux partis du pouvoir, le FLN et le RND, qui agitaient la queue pour être dans les bonnes grâces du pouvoir… Le Hirak est donc passé par là, un mouvement de contestation qui a réuni une belle Algérie, qui a manifesté et défilé une année durant pour faire changer pacifiquement les choses dans le pays.
Pour le départ de tous les profiteurs de la république, des incompétents et d’une politique nationale de gestion du pays qui ne faisait que donner la main aux seuls amis, les proches du pouvoir et leurs parents, pour diriger les grandes franchises économiques du pays. Les manifestants de la révolution du 22 février 2019 voulaient que les choses changent. Radicalement. ‘’Yetnahaw Gaa’’, qu’ils soient tous chassés, est pourtant un leitmotiv, scandé par des millions de manifestants durant plus d’une année, qui ne s’est pas totalement réalisé. Retour à la case de départ ? L’Algérien est-il un affreux symbole du mythe de Sisyphe ? Un Néandertalien surgi des temps préhistoriques ?
« Hada raïkom »
Khaouty, avancez l’arrière, est donc un recueil de chroniques parues entre 2015 et 2018 dans le Quotidien d’Oran, la grande ville de l’ouest du pays connue pour son ton frondeur, sa passion pour la vie, simple, les pieds dans l’eau. Parues dans la rubrique ‘’Raina Raïkom’’, un espace éditorial où les chroniques palpent la réalité du pays sous toutes ses formes, avec moquerie, souvent avec dérision, mais sans aller vers les ‘’sentiers qui fâchent’’, ces chroniques ont évidemment abordé tous les aspects de la vie en Algérie, durant cette période. Une Algérie peinte en kaléidoscope des envies, des prétentions des uns et des autres, des sentiments ici et là violemment exprimés, ou de ces états sociologiques d’extase devant un cosmique désordre social à l’infini. A relever le seul trait commun pour les Algériens d’en bas : pas de folie des grandeurs ; juste un peu de pain, de l’eau et ‘’la paix des braves’’, les pieds dans la Mare Nostrum, du côté de la plage de Bab El Oued, la mythique R’milett Laouded (la plage aux chevaux des années 1880).
Ce recueil revient sur les grandes questions existentielles des Algériens à une époque où l’argent coulait à flot, mais que les dirigeants du moment, entre 2010 et 2019, n’avaient pas su utiliser à bon escient, vautrés dans leur confortable incompétence, leur égo insatiable. L’écrivain prolixe, Mahdi Boukhalfa, invite le lecteur à positiver malgré tout : «Bonne lecture, prenez le temps de prendre les choses du bon côté, ne stressez pas et prenez soin de vous. Et, surtout, pas de sinistrose, à la fin de ce recueil.
Ce n’est que de la lecture du temps qui passe dans un pays où le temps semble s’être arrêté. La pendule grippée, les horloges silencieuses… ». On espère que Khaouty avancez l’arrière (Bons baisers d’Algérie) sera édité bientôt en Algérie. Impatience !
« Khaouty avancez l’arrière (Bons baisers d’Algérie) »
Mahdi Boukhalfa
Les Editions du Net
Bio express
Mahdi Boukhalfa, journaliste et reporter, sociologue et urbaniste de formation ayant exercé à l’Agence de presse nationale algérienne, APS (Agence Presse Service), notamment en 2003, à Rabat (Maroc) en tant que chef de bureau de l’APS et au sein de médias étrangers britanniques et français, Mahdi Boukhalfa, 66 ans, au vu de la fréquence de ses productions, prouve qu’il est disert. Coup sur coup, consécutivement, une profusion d’ouvrages. Mama Binette, naufragée en barbarie, aux éditions du Net (2019), La Révolution du 22 Février, chez Chihab Editions (2019), La Marche d’un peuple, les raisons de la colère (EDN, 2020) et Pavillon Covid-19, sept jours en enfer (2021), La Cantera, il était une fois Bab El Oued aux éditions El Qobia (avril 2021).