Ecrivaine algérienne Assia Djebar : L’éclectique génie d’une femme algérienne

09/07/2024 mis à jour: 05:03
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Assia Djebar, s’est distinguée à travers ses œuvres littéraires - Photo : D. R.

Arezki Hatem

«J’écris pour me frayer mon chemin secret.» C’est dans la langue dite «étrangère» que je deviens de plus en plus transfuge. «De trop me savoir fugitive, je me tairais et l’encre de mon écriture, trop vite, sécherait.»  «Sitôt libérées du passé, où sommes-nous ?»

Quel secret les chants de la femme algérienne, rurale dans sa majorité et prisonnière dans un fort aux sentinelles jalousement à l’affût du moindre mouvement de l’ âme féminine quêtant la plus infime des fêlures pour dire ses joies et ses peines d’une société patriarcale aux murs infranchissables telle une cité interdite à l’expression du for intérieur bouillonnant d’une gent féminine au regard perpétuellement posé sur le sol d’une terre pourtant féconde de ses sources au verbe ailé comme un épervier dans les cimes de sa gloire, peut dévoiler le ressenti de la femme algérienne dans sa pudeur proverbiale et ses espérances à l’intarissable verbe  ?

La réponse à cette question voilée du voile de la pudeur n’est pas une sinécure tant elle est hermétiquement cernée par une tenace herse de codes, mais dont les mots s’échappent sous des formes allégoriques peu compréhensibles aux mortels du commun, cependant compréhensibles pour la femme algérienne.

Et comme dans l’une des œuvres d’Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, la rencontre entre le verbe et la peinture dans une quête de déchiffrage de codes en dévoilant subtilement la femme dans l’intimité de ses appartements.

Assia Djebar a choisi une langue étrangère, comme l’étrange vie de la femme algérienne vivant dans un monde si proche physiquement, mais si étranger à leur aspiration et geôlier de leur liberté, pour détourner le fleuve en furie et débordant sur tout ce qui est étranger à l’ordre établi. Une langue étrangère étrangement analogue dans son étymologie à cette société étrangère à elle-même de par sa volonté de tout contrôler et tout opprimer.

Assia, la voix audible de la femme maghrébine

Assia Djebar s’est distinguée à travers ses œuvres littéraires, ses productions cinématographiques par cette volonté téméraire de briser le mur du silence cernant la femme algérienne, lui ôtant la vision de l’horizon où survolent déjà par ses infatigables ailes les femmes de l’autre rive de la Méditerranée, alors que la sienne, bien qu’elle soit féconde dans sa production orale reste inaudible au-delà de l’intimité des agoras féminine.

Dans son œuvre Vaste est la prison, Assia Djebar inscrit son roman dans cette quête des mots sur des sépultures sans épitaphes, dans une région du Sud tunisien. Une recherche d’un legs ancestral porté jadis par la parole, une langue qui s’est perdue dans le déroulement irréversible des ans et leur pouvoir de semer l’amnésie sur un passé pourtant arable dans sa production ethnographique.

Cette production éclectique qui ne se perpétue que dans les chants des femmes maghrébine et dans la poésie captée par des chanteurs populaires avant son tarissement sur le fleuve de l’oubli. Vaste est la prison est à la fois une image et un fait tangible : une réalité tangible, car une prison n’est jamais vaste quelque que soit sa grandeur physique et tout ce qui d’enfante entre ses murs est voué à disparaître comme une aube hiémale dans un réveil hivernal.

Et une image, car l’autrice est au-delà de la métaphore de la prison vaste, nous renvoie à la condition précaire de la langue maternelle dans son vaste champ maghrébin qu’elle représente comme une vaste prison où tout se meurt dans un silence assourdissant. Vaste est la prison est une œuvre rebelle, un cri de détresse pour redorer le blason d’une langue qui se perd et avec, la mémoire de tout un peuple.

Dans son premier roman, La Soif et les impatients, Assia Djebar va à l’encontre du creuset idéologique de son peuple qui n’a pas vu d’un bon œil cette transgression au corpus idéologique bien fortifié dans une Algérie où parler de l’amour est un tabou épineux et quiconque s’approchant de lui se voit les cerbère de la morale se soulever pour le museler sévèrement.

Déjà ce premier roman d’Assia Djebar trace distinctement le choix philosophique de l’écrivaine qui s’inscrit dans le champ d’une lutte féroce par le verbe afin de libérer la pensée des méandres de l’obscurantisme.  Dans son roman, Les enfants du nouveau monde, les personnages féminins établissent entre eux un rapport très étroit, où les femmes sont les seuls protagonistes du roman. Assia Dejbar a cherché à tisser un lien puissant entre les femmes dans une sorte d’une alliance sexuée qui permet à ces dernières de durer par la solidarité et de porter leur voix vers un univers sonore audibles par leurs congénères.

Dans son roman, La femme sans sépulture, les protagonistes du roman constituent des figures idéales de conteuses sont chargées, dans ce récit, de la mission de raconter l’histoire d’un passé à la fois assez proche, mais lointain, du fait de la chape de silence sous lequel il a été enterré par les politiques. Celles-ci représentent ainsi toutes deux la culture du harem et la tradition orale, à travers une double focalisation ; chacune d’elles complète par son témoignage une partie de la légende de la femme algérienne.

La romancière, dans L’amour, la fantasia, montre également comment, la fillette acquiert grâce aux connaissances acquises à l’école, une légitimité qui l’inscrit dans la lignée des aïeules. Elle devient alors, de manière précoce, un des chaînons qui permet à la tradition féminine de s’enrichir et de se perpétuer.

En somme toute l’œuvre de Assia Djebar est un hymne pour la femme, la solive centrale de toute société humaine, le socle de toute renouveau positif est reposé sur l’apport de la femme à la société où elle vit : une société qui émancipe la femme et la hisse au même rang que l’homme est indéniablement sera projetée vers la modernité et le progrès et une société qui confine la femme dans un rôle primaire se verra son avenir incertain et le socle de sa société empêtré dans les méandres du sous développement.

Parler de toute l’œuvre d’Assia Djebar n’est pas une sinécure, mais le choix de quelques de ses œuvres est déjà en soi une lumière posée généreusement sur cette écrivaine de génie, une militante à la pluralité féminine et à la dimension universelle.

Biographie d’Assia Djebar

Assia Djebar (pseudonyme de Fatma Zohra Imalayene) est née le 30 juin 1936 à Cherchell, une ville côtière cossue distante d’une centaine de kilomètres à l’ouest de la capitale Alger. Elle s’est éteinte le 6 février 2015 à Paris, en France. Elle grandit dans une famille de petite bourgeoisie traditionnelle algérienne.

Son père était instituteur issu de l’École normale de Bouzaréah, ce qui était rare à l’époque. Elle passa son enfance à Mouzaïaville (Mitidja) étudia à l’école française, puis dans une école coranique privée.

A partir de l’âge de 10 ans, elle étudia au collège de Blida, en section classique (grec, latin, anglais) et obtient son baccalauréat en 1953. En 1955, elle rejoint l’Ecole normale supérieure de Sèvres (France). Elle est la première femme musulmane et la première Algérienne à être admise.
 

 

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