Abdelkader Drif est né au mois de mars 1937 à Vialar (Tissemsilt), issu d’une famille de notables respectés. Il passa sa jeunesse dans sa ville natale où il entama ses études pour les poursuivre à Alger en 1950, date à laquelle sa famille s’installa dans la capitale. Drif Abdelkader est le premier président qui permit à un club algérien, le populaire Mouloudia d’Alger, de remporter la Coupe d’Afrique des clubs champions face à Hafia Conackry en 1976 au stade du 5 Juillet dans un match (épique) retour remporté 3-0 et séance des tirs au but, après avoir enregistré le même score à ses dépens à l’aller.
Après avoir dirigé la section foot du Doyen, Drif s’est retiré non sans suivre de loin le football algérien et étranger, qui lui collent à la peau. Abdelkader est marié à la moudjahida Belgaïd Ghania. Le couple a eu deux garçons et une fille.
«La politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, c’est de faire taire ceux qui les posent.» (Henri Queuille)
Abdelkader sait toujours se montrer accueillant et disponible. Lorsque nous sommes allés à sa rencontre, mon collègue Yazid Ouahib et moi, il venait de rentrer de Tissemsilt où il était invité, au même titre que les anciens internationaux menés par Ali Fergani, à un tournoi en salle. Si pour ces derniers, l’événement sportif auquel ils étaient conviés était le clou de leur voyage, il en était autrement pour Si Abdelkader qui est allé se ressourcer, dans ces terres, qui l’ont vu naître qui, de bourg sans relief, sont devenues une ville, chef-lieu de wilaya métamorphosée. Abdelkader pousse plus loin son «pèlerinage» en se rendant au piémont du majestueux Ouarsenis, haut lieu de la résistance qu’il a bien connu dans sa jeunesse. Si la nature est restée la même, luxuriante et attachante, celle des hommes l’est nettement moins, car Abdelkader y a décelé les comportements condamnables «de certains potentats bien établis ici qui sévissent depuis des années du haut de leur posture dans les institutions, rétifs à toute évolution et qui menacent de muter le wali en place. Celui-ci a pourtant fait un travail appréciable. Ce lien solide entre l’administré et le commis de l’Etat a créé une symbiose où le dialogue et la confiance sont permanents. Pourquoi donc parasiter cette communion si ce n’est pour des intérêts égoïstes et étroits ?», s’est interrogé notre interlocuteur, qui tenait absolument à livrer ce message dans son carnet de voyage. Nous avons demandé à M. Drif, qui a signé un long bail avec le sport, notamment au MCA, pourquoi a-t-il refusé de diriger la FAF par le passé, alors que les portes de celle-ci lui étaient grandes ouvertes. Il s’en explique en convoquant aussi sa mémoire pour nous relater les péripéties qui ont présidé à la conquête du premier sacre africain d’après indépendance. Bien évidemment, en fin critique, il n’omet pas de nous entretenir sur l’actualité brûlante, tumultueuse, parfois ubuesque du ballon rond. A propos de son refus de diriger la FAF, il donne son avis : «Moi, je ne crois pas à l’homme providentiel. Pourquoi ça a bien marché sous la présidence de Bekka ? Il est venu avec une équipe soudée pour exécuter un programme en s’entourant, d’hommes compétents, intègres, désintéressés tels que Kezzal, Moulay, Amrani, Brahiti, Belfadel notamment. Moi, je crois profondément au travail collégial en ayant la confiance totale de la famille du football. Imposer quelqu’un aux autres est contraire à ma culture», résume-t-il. Pour étayer ses propos, Abdelkader nous raconte ce fait : «Lorsque Bouteflika a inauguré la place de l’équipe du FLN à la Grande Poste, j’y étais. Et lorsque la cérémonie allait s’achever, le président a pris en aparté Mekhloufi, pour lui dire que le football doit revenir aux footballeurs. Tout le monde avait interprété cela comme une caution. D’où le concept de candidat du pouvoir accolé à Mekhloufi qui a même été reçu par Sellal, alors MJS, qui lui a suggéré le poste de président de la FAF. J’ai contacté Kezzal pour nous y opposer, car on était contre ce procédé autoritaire. Je l’ai dit à Sellal qui m’avait reçu et m’avait interpellé sur une supposée animosité avec Mekhloufi. J’ai dit qu’il n’en était rien et que je n’avais rien contre l’homme. Je n’admettais pas l’habillage «candidat du pouvoir» avec qui du reste je ne partageais pas la même approche du développement du football. Pas de parachutage, mais des élections libres qui permettent aux meilleurs d’émerger. La suite nous a donné raison puisque le scrutin a été largement en faveur de Kezzal. Quelques années avant, lorsque j’avais été sollicité par le MJS Kamel Bouchama, il n’ avait pas de candidat pour la présidence. Le conseiller Noureddine Youb s’est démené comme un diable pour me convaincre. Je lui ai dit que je pouvais accompagner le futur élu (Lacarne), car je n’avais aucune prétention... Le ministre Lebib, que j’ai connu en tant que judoka au MCA, m’avait aussi proposé le poste de président de la FAF. Il a longuement tenté de me rallier à sa thèse, mais sans résultat. Excédé, il s’est emparé de l’étendard national qui trônait dans son bureau pour me le remettre : «On me l’a confié, je te le confie et en tant qu’aîné tu ne dois pas refuser», m’avait-il suggéré. Je suis resté de marbre. De guerre lasse, il a compris ma position. Je lui ai soufflé le nom de Aïssaoui, ancien footballeur, dentiste, avec la ferme intention de l’aider. C’est ainsi que je me suis retrouvé au sein d’un bureau fédéral, présidé par Aïssaoui, dont je ne connaissais que deux membres. ll n’y avait pas de programme. On en a préparé un dans mon domicile après 15 jours de laborieux travaux, qu’on a soumis au président, mais la manière d’appréhender notre travail nous a profondément déçus. Son incorrection nous a choqués. Il était évident que nous ne pouvions faire le même chemin. C’est là où j’ai dit que le football national allait avoir un enterrement de première classe.» Retour en arrière. 1976. Première consécration continentale pour un club algérien. Le Mouloudia est champion d’Afrique. Abdelkader en était président. «J’avais pris le club à mon corps défendant quelques mois auparavant, on avait joué une coupe du Maghreb à Tunis, en éliminant l’Espérance et en livrant un match épique en finale face au Club africain, perdu aux tirs au but. Notre ambassadeur à Tunis, Ali Kafi, était ravi par notre prestation et nous a soutenus jusqu’au bout. Dans le bus qui nous ramenait à l’hôtel, il y avait une ambiance d’enterrement. J’ai appelé Bachi, capitaine, aussi bien sur le terrain qu’en dehors, pour l’informer qu’on allait faire la fête pour décompresser. Le groupe adhéra, et le soir la bonne humeur était de retour. Dans l’avion qui nous ramenait à Alger, Zenir m’accosta pour me signifier qu’il fallait viser plus haut que le championnat national. C’est là que l’idée de prendre part à la Coupe d’Afrique a germé. A la FAF, on a demandé notre engagement à un Bekka interloqué par notre proposition. Les joueurs étaient unanimes. Ils voulaient seulement se frotter à l’Afrique. C’est de là que tout est parti pour aboutir à la conquête de la Coupe en 1976 dans une atmosphère de liesse indescriptible.»
La coupe d’Afrique : Un rêve
«Pour en arriver là, on a convenu avec le MJS de partager les charges, d’autant que durant la même saison, outre la place de finaliste dans le tournoi maghrébin, on a obtenu le championnat, remporté la coupe d’Algérie et, cerise sur le gâteau, la Coupe d’Afrique. Cette dernière compétition a été un long fleuve loin d’être tranquille. A Conakry, face au Hafia, l’arbitre gambien a officié à sens unique. Il a même arrêté sans raison la partie pour aller consulter à la tribune officielle son ministre des Sports ,qui lui a intimé l’ordre de sortir Bencheikh. A son retour sur le terrain, il a brandi le carton rouge à la face d’Ali sans aucune explication. On a compris qu’il était quasi impossible de s’imposer dans de telles conditions. On a perdu 3 à 0. On a commencé la préparation du match retour dans les jardins de l’ambassadeur Messaoudi, que Dieu ait son âme. A l’aéroport, des militaires sont venus chercher notre chef de délégation, M. Kezzal, au motif qu’il devait être reçu par le chef de l’Etat, M. Sekou Touré, qui lui signifia qu’il était passible du tribunal militaire en raison de l’affront subi par l’Etat guinéen qui avait mal digéré l’absence de la délégation algérienne aux festivités suivant le match. L’attente fut longue et seule la peur d’un incident diplomatique a pu dénouer cette mini crise.» L’expulsion de Bencheikh, même à tort, valait au moins un match automatique. Comment a-t-il pu être amnistié ? La CAF devait se réunir à Alger en marge du match retour et il fallait faire quelque chose pour Bencheikh.
«Tessema, ancien ministre des Affaires étrangères d’Ethiopie, présidait la CAF et était l’ami de son homologue algérien Bouteflika. Il y avait un Algérien à la CAF en la personne de Mihoub Guidouche et les trois Egyptiens du comité exécutif de la CAF nous étaient favorables. Ils avaient été ‘‘excellemment’’ reçus à l’hôtel El Aurassi, en plus d’une soirée organisée à son domicile par Bouteflika et animée par Cheikh El Ghafour. Même Boumediène n’avait pas apprécié le sort qui nous a été réservé dans la capitale guinéenne.» La réunion de la CAF, qui a duré de 9h à 22h, s’est tenue à l’hôtel Aletti et nous l’avions suivie presque à la minute en tant que jeunes journalistes à El Moudjahid, à un jet de pierre de l’hôtel. «C’est comme cela qu’on a réhabilité Bencheikh et l’écart psychologique de 3 buts a été presque comblé.» Quant aux feux follets, Petit Sory et Cherif Soulimane, ils avaient été «corrigés» déjà dans le tunnel, révèle M. Drif. «A la mi-temps, on ne menait que par 1 à 0 et un incident est survenu dans les vestiaires où une altercation verbale a mis aux prises Zouba et Draoui. Le premier déniant au second de n’être pas un ‘vrai’ Skikdi. Fou de rage, Aïssa était dans tous ses états. Mais sur le terrain, il s’est brusquement métamorphosé. Son génie a explosé lors du second half.» «Zouba tient sûrement cette façon de ‘‘secouer’’ ses éléments de son coach Kader Firoud», précise Drif. Lorsque le match s’est terminé dans l’apothéose, le premier à féliciter Zouba a été... Draoui qui ne pouvait être qu’un vrai Skikdi, l’ayant au demeurant toujours été.
Drif pourrait nous raconter à satiété les différentes étapes de sa présence au MCA et les anecdotes parfois croustillantes qui les accompagnent. «Drif a vraiment tenu en main les rênes du club, malgré les ruades des uns, les dérobades des autres, ou les piaffements des impatients», témoigne l’ancien trésorier du club notre ami, le banquier Abderrahmane Maloufi. Drif regarde le cheminement du football actuel avec un étonnement amusé. Pêle-mêle quelques griefs : «Les jeunes sont sélectionnés en fonction du statut social de leurs parents, même s’ils n’ont pas de talent. Je trouve cette manière d’agir inadmissible. Si le jeune a sa place, s’il la mérite, on ne doit pas tenir compte d’où il vient. Ainsi, les gosses issus des couches modestes sont exclus de facto. C’est inacceptable. En 1990, après l’ouverture ‘‘démocratique’’, l’Etat a jeté les clubs à la rue. A Sonatrach, j’ai connu un président sensé qui avait envie de réussir, j’ai nommé M. Boumdal que j’ai aidé. Un jour, le premier responsable de l’entreprise m’a dit : ‘‘Nous sommes un établissement public. On ne peut traiter avec des individus, mais avec des organismes’’. Je suis sorti de son bureau en battant le rappel des Mouloudéens pour créer El Mouloudia, association présidée par Rachid Marif, mais qui devait mourir de sa belle mort. Aujourd’hui, ce n’est guère mieux. Il y a deux intrusions malheureuses dans le football en laissant la rue s’ingérer directement dans la gestion. Secundo, il y a l’incapacité des dirigeants à juguler les crises ou les dérives, sans compter les faillites financières. L’économie informelle a supplanté l’économie officielle. L’argent qui circule provient de l’argent brassé au noir et qui est ainsi recyclé.
Le foot... le camp
Les clubs sont devenus des lessiveuses. Le malheur, c’est que les institutions de l’Etat acceptent de jouer ce jeu malsain. Je pose la question à un PDG de Sonatrach : vous avez les destinées de la vache laitière de l’Algérie. Votre mission est noble et périlleuse. Vous avez décidé de vous intéresser au sport. Soit. Comment une filiale de foot peut payer un joueur avec un salaire mensuel de 300 millions, alors que des ingénieurs, dont les études ont été chèrement et laborieusement payées par des parents aux revenus modestes sont payés 20 fois moins ? Certes, les deux ont chacun son apport, mais le déséquilibre est flagrant !» Ces temps-ci, hélas, pour le foot comme pour le reste, il y a pénurie d’avenir ! La crise sociale, sociétale qui affecte tout le peuple, celle de civilisation qui ébranle tout le monde, ne peuvent engendrer qu’une détresse morale qui a tendance à tout engloutir, y compris le souci national.
Même le football n’est pas épargné par le monde des corrupteurs et des corrompus. Pour ceux qui le tiennent encore pour un des derniers espaces de loyauté, le constat est douloureux. Mais peut-il en être autrement lorsque le business s’invite dans une jungle mercantile, où le seul baromètre de mesure est le Dieu argent ! Aussi, quand on évoque avec Drif le «professionnalisme» à l’algérienne, il esquisse une moue significative : «Quel professionnalisme ?
Cela fait partie des arnaques algériennes. C’est un tour de passe-passe. Soyons sérieux. N’est-il pas honteux que l’équipe nationale soit importée à presque 100% ? Qu’a-t-on fait pour faire émerger une élite respectée et respectable ? A quoi servent donc ces clubs dits professionnels budgétivores. Il y a une crise profonde. Faut-il s’interroger sur le départ énigmatique et voulu de Halilhodzic qui a refusé de rester parce qu’il ne veut pas tricher ? ll était écœuré par le comportement du premier responsable de la FAF. Il n’a même pas été sensible à l’appel du président de la République.» Quant au nouvel entraîneur national, l’Espagnol Alcaraz, celui-ci ne semble pas avoir les faveurs de Drif. «D’après mes lectures, ce ne serait pas un lion. Son dernier club, c’est Grenade qui pointe aux dernières loges de la Liga. Peut-être que Zetchi a eu la main heureuse en le recrutant. Mais on aurait souhaité une grosse pointure avec les 700 milliards qui dorment dans les caisses de la FAF...»
20.04.17 EL WATAN