Dr Khelifa Slama. Premier vice-président du Syndicat national des pharmaciens d'officine (Snapo) : «La mise en service rapide de la plateforme numérique de gestion des ordonnances s’impose»

29/07/2024 mis à jour: 19:50
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Pouvez-vous nous raconter comment vous avez pris connaissance de cet incident choquant ?

Nous avons appris avec stupeur et effroi que la pharmacie de notre confrère, M. Tabti, située dans la commune de Bab Ezzouar, a été le théâtre d’une abjecte agression à l’arme blanche. Des individus, probablement sous l’emprise de psychotropes, se sont attaqués à l’équipe officinale, causant une blessure très grave à l’un des employés. Cette lâche attaque, perpétrée à l’aide d’épées, s’est déroulée devant la fille de notre confrère. En tant que syndicat, nous exprimons notre solidarité totale à M. Tabti, et restons à ses côtés pour le soutenir moralement et confraternellement. Cet incident est d’autant plus choquant qu’il illustre la vulnérabilité des pharmaciens dans l’exercice de leurs fonctions quotidiennes.


Pensez-vous que les mesures législatives actuelles sont suffisantes pour garantir la sécurité des pharmaciens ?

Bien que l’arsenal juridique et réglementaire mis en place ait permis une certaine protection des pharmaciens d’officine dans leur exercice quotidien, la sécurité des pharmaciens, de leurs équipes et de leurs espaces de santé continue de poser un problème aigu. Si les hautes autorités du pays ont légiféré pour protéger les professionnels de santé, il apparaît que le maillon faible reste le pharmacien. Les prestations et le service public qu’il assure envers la population nécessitent des mesures complémentaires pour assurer sa protection. Le problème réside non seulement dans l’insuffisance des mesures existantes, mais aussi dans leur application concrète sur le terrain.

Quelles sont, selon vous, les mesures les plus urgentes à mettre en place pour protéger les pharmaciens et leurs employés ?

Devant la gravité de cette situation, nous sollicitons la mise en service rapide de la plateforme numérique de gestion des ordonnances, notamment celles où les prescriptions sont des psychotropes. Cette plateforme permettra une traçabilité des prescriptions et facilitera l’identification des individus impliqués dans des trafics ou des agressions, même en l’absence de caméras de surveillance. Une telle mesure apporterait une couche supplémentaire de sécurité et de contrôle, rendant plus difficile l’accès frauduleux à ces substances. Nous proposons également de créer un numéro vert dédié aux pharmacies pour signaler les agressions physiques, même si celles verbales sont les plus fréquentes. 

Cette ligne directe permettrait une réponse rapide et adaptée des forces de l’ordre en cas d’incident. Il est également crucial de faciliter la lourde procédure administrative nécessaire à l’installation de caméras de surveillance dans les officines. Actuellement, les démarches sont complexes et dissuasives, alors que ces dispositifs sont essentiels pour dissuader les actes malveillants et pour apporter des preuves en cas d’agression. Le cas de l’officine de M. Tabti est édifiant. Nous demandons aussi une augmentation des rondes des services de sécurité dans les zones où sont implantées les officines, car elles sont les seules à commercialiser des psychotropes. Une présence accrue des services de sécurité, selon la compétence des territoires, agirait comme un puissant moyen de dissuasion contre les agresseurs potentiels.


Pouvez-vous nous donner un aperçu de l’ampleur des agressions contre les pharmaciens d’officine ? 

La profession de pharmacien d’officine est, depuis quelques années, la cible de délinquants consommateurs et trafiquants de drogues et de produits psychotropes. Malheureusement, nous ne comptons pas exactement le nombre d’agressions qui ont déjà conduit à des décès et des traumatismes indélébiles. A titre indicatif, en 2023, nous avons déploré au moins trois morts dans des pharmacies d’officine situées à Ain Fakroun (Oum El Bouaghi), Batna et Mascara. Ces décès tragiques sont le résultat de violences perpétrées par des individus en quête de substances contrôlées. Quant aux agressions physiques, elles se comptent par centaines. Chaque victime a subi au moins 21 jours d’incapacité physique, des blessures parfois graves nécessitant des soins prolongés. Ces chiffres alarmants soulignent l’urgence de prendre des mesures robustes pour assurer la sécurité des pharmaciens et de leurs employés.


Quelles conclusions tirez-vous de cette situation et quelles actions souhaitez-vous voir mises en œuvre ?

Il est impératif que les autorités prennent conscience de la gravité de la situation et agissent en conséquence. Les pharmaciens jouent un rôle crucial dans le système de santé et leur sécurité ne peut être compromise. Nous appelons à une action rapide et décisive pour renforcer les mesures de sécurité autour des officines. La sécurité des pharmaciens ne doit plus être un maillon faible dans notre système de santé. C’est une responsabilité collective qui incombe non seulement aux autorités, mais aussi aux citoyens, qui doivent comprendre l’importance de protéger ceux qui veillent sur leur santé. 

Le SNAPO continuera de plaider pour des solutions concrètes et immédiates pour protéger les professionnels de santé essentiels que sont les pharmaciens. Nous espérons que ce déplorable incident sensibilisera davantage les décideurs et le public à la nécessité de prendre des mesures urgentes pour assurer un environnement de travail sûr pour tous les pharmaciens

Entretien réalisé par M.-F. Gaidi

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