Les douze responsables du Département d’Etat américain qui ont démissionné, il y a plus d’un mois, estiment que la politique américaine à l’égard de Ghaza constitue un «échec» et est «une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis».
Dans une déclaration commune, diffusée hier, les douze fonctionnaires de l’administration américaine qui avaient démissionné, il y a un mois, en signe de protestation contre le soutien de leur gouvernement à la guerre que mène Israël contre Ghaza, depuis neuf mois, ont qualifié la politique américaine du président Joe Biden, d’«échec» et de «menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis» et affirmé que «la couverture diplomatique et le flux continu d’armes vers Israël ont assuré notre indéniable complicité dans les meurtres et la famine forcée d’une population palestinienne assiégée à Ghaza».
Dans cette déclaration de deux pages, les signataires commencent par se désigner comme «experts représentant l’inter-agence» qui «constituent une communauté multiconfessionnelle et multiethnique de professionnels et patriotes dévoués au service des Etats-Unis d’Amérique, de son peuple et ses valeurs.
Que ce soit dans la fonction publique, le service extérieur, les forces armées ou en tant que politiques nommés, chacun de nous a prêté serment de protéger et de défendre la Constitution des Etats-Unis», avant de rappeler avoir démissionné «en raison de nos graves inquiétudes concernant la politique actuelle des Etats-Unis face à la crise à Ghaza, et plus largement les politiques et pratiques américaines à l’égard de la Palestine et d’Israël.
Et alors que notre nation célèbre son jour d’Indépendance, chacun de nous se voit rappeler à démissionner du gouvernement non pas pour mettre fin à ce serment, mais pour continuer à le respecter ; ne pas finir notre engagement de service, mais de le prolonger. Seuls, nous avons chacun pris la sombre et difficile décision de démissionner en fonction de nos besoins individuels (…) Mais aujourd’hui, nous sommes unis dans la conviction commune que c’est notre responsabilité collective».
Pour les signataires, «nous sommes unis dans la conviction commune que c’est notre responsabilité collective de prendre la parole». Ils estiment que la politique américaine à l’égard de Ghaza constitue un «échec» et est «une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis». Ils soulignent que «la couverture diplomatique et le flux continu d’armes vers Israël ont assuré notre indéniable complicité dans les meurtres et la famine forcée d’une population palestinienne assiégée à Ghaza.
Ce qui est non seulement moralement répréhensible et constitue une violation flagrante du droit international humanitaire et les lois américaines, mais cela a également mis une cible dans le dos de l’Amérique.
Cette politique intransigeante met en danger les Etats-Unis, la sécurité nationale et la vie de nos militaires et diplomates, comme cela a déjà été fait avec le meurtre de trois militaires américains en Jordanie en janvier et les évacuations des installations diplomatiques au Moyen-Orient (…) et pose également un risque pour la sécurité des citoyens américains au Moyen-Orient».
S’adressant aux «milliers de personnalités honorables encore au gouvernement qui sont quotidiennement face à des choix moraux et personnels difficiles» en soulignant que «les choix politiques américains ont engendré un désastre».
«Famine fabriquée»
Ils rappellent qu’à ce jour, «plus de 37 000 Palestiniens ont été tués, la majorité des infrastructures civiles et humanitaires ont été détruites, des milliers d’innocentes personnes restent portées disparues sous les décombres et des millions d’autres continuent d’être confrontées à une famine fabriquée de toutes pièces en raison des restrictions arbitraires imposées par Israël sur la nourriture, l’eau, les médicaments et d’autres aides humanitaires essentielles».
Pourtant, font-ils savoir, «plutôt que de tenir le gouvernement israélien pour responsable de son rôle, entravant l’aide humanitaire, les Etats-Unis ont coupé le financement du plus grand fournisseur d’aide humanitaire à Ghaza : l'Unrwa, l’agence des Nations unies pour les Palestiniens.
Nous notons avec davantage d’inquiétude et de tristesse que la politique américaine depuis de nombreuses années, mais en particulier depuis octobre 2023, a non seulement contribué à d’immenses dégâts humanitaires, mais a échoué par rapport à sa propre intention déclarée : contribuer à la paix et à la sécurité au Moyen-Orient, et particulièrement celui d’Israël.
Plutôt que d’utiliser notre immense levier pour établir des garde-fous qui peuvent guider Israël vers une paix durable et juste, nous avons facilité ses actions autodestructrices qui ont approfondi son bourbier politique, contribué à sa persistance et son isolement mondial».
Les signataires estiment que «la politique de soutien à Israël a incité un certain nombre de responsables de son administration à démissionner, exprimant leur opposition à sa politique et l’accusant d’ignorer les atrocités israéliennes dans la bande de Ghaza».
Ils pensent que leur gouvernement «devrait utiliser tous les leviers nécessaires et disponibles pour mettre un terme immédiat au conflit et obtenir la libération de tous les otages, les Israéliens kidnappés le 7 octobre, ou les milliers de Palestiniens, dont beaucoup d'enfants, maintenus sans inculpation en détention administrative dans les prisons israéliennes».
Ils pensent aussi que «les Etats-Unis devraient engager le financement et le soutien nécessaires pour garantir une expansion immédiate de l’aide humanitaire à la population de Ghaza, et la reconstruction de ce territoire qui est une obligation morale, étant donné que jusqu’à présent, les destructions ont été largement causées par les armes américaines».
Les auteurs estiment aussi que «les Etats-Unis devraient immédiatement annoncer le soutien à l’autodétermination du peuple palestinien et la fin de l’occupation militaire et des colonies, notamment en Cisjordanie et Jérusalem-Est (…)».
Ils s’engagent à «travailler avec les pouvoirs exécutif et législatif pour détailler et poursuivre ces réformes» et préviennent que «la liberté d’expression est menacée dans ce pays», en raison «des pressions politiques sur les collèges et les universités en particulier, qui ont conduit à une militarisation de la réponse de la police aux manifestations pacifiques».
«Netanyahu défie son allié»
S’adressant à leurs anciens collègues encore en poste, ils les exhortent à utiliser leurs «positions pour amplifier les appels pour la paix» et à tenir «vos institutions respectives responsables de la violence qui se déroule en Palestine». Ils les interpellent en leur demandant de ne pas «être complice» et les encouragent «à consulter vos inspecteurs généraux, vos conseillers juridiques, avec les membres appropriés du Congrès, et via d’autres canaux protégés, pour remettre en question la véracité et/ou la légalité d’actions ou de politiques spécifiques».
Parmi les signataires de cette lettre, Mohammed Abu Hashem, officier du 316e Escadron de génie civil, du Département de l’armée de l’air, Anna Del Castillo, ancien homme politique et directeur adjoint du Bureau de gestion et d’administration à la Maison-Blanche, Tariq Habash, ancien conseiller politique du Bureau de la planification, de l’évaluation et de l’élaboration des politiques du Département américain de l’Education, Maj Riley Livermore, ancien commandant de bord du Futures Flight du 413e Escadron d’essais en vol, du Département de l’armée de l’air des Etats-Unis, Josh Paul, ancien directeur du Bureau des affaires politico-militaires du Département d’Etat, Annelle Sheline, ancien officier des Affaires étrangères, du Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail, au Département d’Etat, Lily Greenberg, ancien responsable politique, assistante spéciale du chef de cabinet du Bureau du secrétaire au Département américain de l’Intérieur, Stacy Gilbert, ancien conseiller civilo-militaire principal du Bureau de la population, des réfugiés et des migrations au Département d’Etat, Maryam Hassanein, ancienne assistante spéciale, au Bureau du secrétaire adjoint pour la Gestion des terres et des minéraux, du Département américain de l’Intérieur, Harrison Mann, ancien officier de l’armée et officier supérieur du Centre régional Moyen-Orient/Afrique de l’Agence de renseignement de défense, Hala Rharrit, ancienne diplomate au Département d'Etat, porte-parole pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Alexandre Smith, ancien conseiller principal, au Bureau de la Santé mondiale.
Cette lettre a été publiée alors que le journal britannique The Guardian publiait un rapport qui affirme que le Président a «échoué politiquement et moralement dans sa gestion de la guerre israélienne contre Ghaza» et «a fait preuve d’une faiblesse déconcertante face au Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu.
Elaboré par le Centre Hagop Kevorkian pour les études sur le Proche-Orient à l’Université de New York, le rapport affirme que Biden a montré, depuis le 7 octobre dernier, «un soutien absolu à Israël et à ses dirigeants, représenté par la fourniture d’armes à Tel-Aviv, le blocage des résolutions de l’Onu, au Conseil de sécurité, contre la tentative de saper la légitimité de la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI), en raison de leurs critiques des actions israéliennes».
Cependant, ajoute le rapport, cité par le journal britannique, Biden «n’a reçu aucune gratitude de la part de Netanyahu, qui a constamment défié l’allié le plus important d’Israël et n’en a pas payé le prix. Au contraire, il a commencé à se moquer ouvertement de Biden et de son administration, et s’efforce de le faire, pour détruire la capacité de Biden à utiliser les armes américaines comme moyen de pression sur Israël».