Le Musée des arts et métiers à Paris organise jusqu’au mois de mai 2022 une exposition sur la musique de l’exil et les cultures urbaines. C’est aussi une occasion pour rendre hommage à Rachid Taha, l’inventeur du «Rock arabe» et artiste engagé contre le racisme et les discriminations. Vidéos, portraits, sons, photos tentent de cerner la personnalité de l’enfant de Sig qui a brillé dans le monde entier.
En hommage aux sillons musicaux et culturels que Rachid Taha, rocker algérien disparu en septembre 2018, a creusés en France, notamment au sein de la population immigrée, le Musée des arts et métiers à Paris lui rend hommage à travers une exposition inédite. Elle retrace sa vie et rappelle, chemin faisant, le contexte historique et politique dans lequel vivaient les émigrés algériens en France.
Intitulée «Douce France, le pays de mon enfance», en référence à Charles Trenet, que Rachid Taha a repris à sa «sauce» avec son groupe Carte de séjour, l’exposition donne à voir les différentes facettes de l’enfant de Sig près d’Oran. Elle met aussi en lumière le bouillonnement de la musique algérienne après la guerre d’indépendance dans certains quartiers de Paris, tels que le quartier Latin dans le 6e arrondissement ou le Barbès populaire dans le 18e.
«karaoké du bled»
A travers la trajectoire singulière de Rachid Taha, l’exposition revisite aussi l’émergence artistique de la génération magrébine dite «beur», symbole de l’intégration métissée, tantôt joyeuse, tantôt difficile d’une jeunesse issue de l’immigration. Pionnier et figure tutélaire par ses engagements dans la lutte contre le racisme et les discriminations, mais aussi par la richesse de ses expériences musicales, Rachid Taha a ouvert la voie à de nombreux artistes qui incarnent aujourd’hui le talent et la créativité française. Il a également exhumé des chansons restées dans l’oubli pour en faire des «tubes» internationaux sur lesquels la jeunesse du monde entier danse.
On peut citer notamment Ya rayeh, (Ôh toi le partant) de Dahmane El Harrachi et Al menfi (l’Exilé) d’Akli Yahiatène. Sous la direction vigilante de Zahia Yahi et Myriam Chopin, l’exposition évoque l’histoire de l’immigration et les enjeux de l’interculturalité. Mêlant vidéo, photos, affiches, archives publiques et privées, le parcours de l’exposition s’achève par un « karaoké du bled» où les visiteurs sont invités à chanter en français, en arabe ou en kabyle, les succès du patrimoine musical algérien. L’exposition s’intéresse aux différentes périodes de l’immigration algérienne en France.
De la bourgade de Sig en Alsace
D’abord les années 60, au sortir de la guerre d’Algérie. De nombreux cabarets orientaux ont vu le jour à Paris. A cette époque, la musique servait à atténuer les affres de l’exil et de l’éloignement. Ainsi, à chaque fin de semaine, des cafés arabes organisent des spectacles où l’on peut danser et boire un verre après une semaine de labeur. Débute ensuite dans les années 70 le combat pour les droits sociaux et contre la discrimination.
Les manifestations pour réclamer la dignité et le respect connaîtront leur apogée en 80 avec la marche des «beurs» ou marche de l’égalité et l’apparition du slogan «ne touche pas à mon pote». C’est durant cette décennie que les Algériens ont commencé à devenir visibles en France et à avoir leur place. Les années 80 ont vu également l’éclosion des artistes algériens et maghrébins et l’émergence de la culture des banlieues.
Rachid Taha a vécu cette période. Arrivé directement d’Algérie, il avait rejoint son père qui travaillait dans la région de l’Alsace, à l’est de la France. Puis il partira vivre à Lyon. C’est là qu’il commence à taquiner la muse et à faire ses débuts dans la musique tout en «bricolant» dans une radio communautaire de la région. Sensible au sort des émigrés algériens, engagé dans la vie sociale et démocratique de la cité, Rachid Taha exprimera ses opinions à travers sa musique, avec son groupe Carte de Séjour puis en solo.
Issu des deux mélanges (Arabe et Français), il donnera naissance à un nouveau style qu’il surnomme le Rock Arabe. Des chansons dans lesquelles se mélangent le dialecte arabe et la langue française. Sa voix grave et rocailleuse a fini de lui donner un style «Rock». Si «Douce France» est une exposition qui rend hommage à un grand artiste et humaniste qu’est Rachid Taha, elle constitue aussi un voyage enthousiasmant dans les trésors musicaux et culturels de l’immigration algérienne de l’après-guerre d’Algérie. Yacine Farah