1) Le 24 février 1956 : création de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens)
L’histoire du syndicalisme algérien antérieur à l’indépendance est peu connu et souvent écrite et véhiculée avec les méthodes et dans les perspectives du mouvement ouvrier français. La connaissance de l’histoire du syndicalisme algérien durant la période coloniale est fondamentale pour la compréhension de ce mouvement et comment a-t-il évolué depuis sa naissance jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. Les premiers syndicats ont été formés par des Européens en 1890 dans le Constantinois avec les groupements des plâtriers, des forgerons, des travailleurs du livre… Ces syndicats faisaient partie de la Confédération générale du travail (CGT) créée en 1895. L’Algérie a vu : «Son statut de peuplement de territoire intégré à la métropole contribue à la circulation des idées et des personnes. Avec l’affluence migratoire, l’action syndicale coloniale se développe, au tournant du XXe sous la prégnance des courants idéologiques du syndicalisme français». Le contexte des années 1920 était marqué par de grands mouvements de grève, consécutifs aux bouleversements nés de la Première Guerre mondiale et de la révolution en Russie. Les grands mouvements de grève de 1936 ont été suivis en Algérie par les dockers, les traminots, les cheminots, les postiers et les instituteurs qui avaient imposé le droit d’adhérer et de diriger des syndicats sans encourir les foudres du code de l’Indigénat. Dès septembre 1939, fut prononcée par décret l’interdiction de la CGT, du PCA (Parti communiste algérien) et de l’Association des Oulémas algériens de cheikh Ben Badis. Les militants furent alors jetés dans des camps dans le désert du Sud algérien.
Le 8 novembre 1942, le mouvement syndical est reconstitué dès le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord
L’ordonnance du 7 mars 1944 qui accordait le droit d’association favorisa l’essor du mouvement syndical. Les massacres du 8 Mai 1945 en Algérie avec 45 000 victimes vont renforcer les militants à s’aguerrir et consolider l’expérience sur leurs lieux de travail et dans ce contexte de lutte syndicale, de nombreuses revendications furent satisfaites. Mais à cette période, la représentation de militants musulmans algériens adhérents au sein des organisations syndicales et de leurs directions était dérisoire. Par exemple, on dénombrait 500 instituteurs musulmans algériens sur 12 000 d’origine européenne, 500 cheminots sur un total de 14 000 et quelques centaines de titulaires sur plus de 100 000 fonctionnaires.
Dès 1944, le PPA (Parti du peuple algérien) de Messali Hadj commença à organiser des embryons de syndicats chez les commerçants et artisans. A partir de 1947, furent créés de véritables syndicats, ceux des boulangers, des marchands de légumes, des bouchers, des restaurateurs animés par Ahmed Rihani dit Saddok, considéré comme le créateur des syndicats patronaux. Ce Rihani est en réalité le chef messaliste du MNA (Mouvement national algérien), responsable de la région d’Alger. En 1948, le PPA-MTLD, s’enorgueillissait d’avoir mis sur pied neuf syndicats clandestins uniquement composés d’adhérents algériens.
L’idée de la création de l’UGTA, répond aussi à un autre souci du FLN : celui de riposter à l’action du MNA dont l’influence est encore grande chez les ouvriers algériens émigrés. Le 14 février 1956, l’USTA (Union syndicale des travailleurs algériens) est constituée à Alger par des messalistes du MNA et une demande d’adhérer à la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) est aussitôt faite. Le CISL refuse l’adhésion de l’USTA, sous l’influence des communistes et des Etats-Unis. Dix jours plus tard, le FLN est amené à précipiter la création de sa propre syndicale le 24 Février 1956.
Mais l’idée d’une organisation syndicale est bien antérieure à la date de la création de l’UGTA. Au 1er congrès du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), à la suite de la dissolution du PPA, Hocine Lahouel, en 1947, chargea Aïssat Idir de préparer un rapport sur la création d’une section syndicale d’obédience nationaliste. Dans son excellent livre sur le syndicalisme algérien, Farès Mohamed cite les propos de Djermane Rabah, proche de Aïssat Idir : «Réunis avec Abane Ramdane et Ben Khedda, il fallait préparer la riposte… Il faut lancer l’UGTA… C’est à Saint Eugène (aujourd’hui Bologhine), à la maison de Bourouiba Boualem, où se sont réunis Abane Ramdane, Benyoucef Ben Khedda, Drareni Mohamed et le docteur Pierre Chaulet qui devait consacrer la création de l’UGTA». De cette réunion entre le 5 et le 7 février 1956 qu’est officieusement née l’UGTA. Benyoucef Ben Khedda précise l’événement : «Une seconde réunion, le 16 février 1956, a lieu dans la limonaderie de Melaine Mouloud à Belcourt pour faire le point ; outre les militants concernés, il y avait : Bourouiba Boualem, Aïssat Idir, Attalah Benaissa, Djermane Rabah qui proposent de coopter Ali Yahia Abdelmadjid. La commission exécutive doit comprendre 21 membres dont cinq feront partie du secrétariat national. Aïssat Idir, sera proposé comme secrétaire national. La date de l’assemblée nationale est de nouveau confirmée : le 24 février 1956. La liaison clandestine avec Ben Khedda sera assurée par Drareni Mohamed militant non repéré par la police». Dès sa création, l’UGTA enregistre l’adhésion de 50 syndicats et compte 3 unions régionales : Alger, Oran et Constantine. Elle éclipse l’USTA (Union syndicale des travailleurs algériens) des partisans de Messali Hadj et l’UGSA (Union générale des syndicats algériens) de la CGT française. Des milliers de travailleurs algériens quittent ces deux centrales syndicales pour adhérer à l’UGTA, dont le journal L’Ouvrier algérien tirait à plus de 30 000 exemplaires.
Pour l’historien Charles-Robert-Ageron : «Les syndicats ne furent-ils pas avant tout au Maghreb, comme en Afrique noire, les porte-parole des nationalismes ? Certes, le cas de l’Algérie, colonie de peuplement dotée d’une classe ouvrière française a pu sembler original et faire illusion jusqu’en 1956». On a dit et cru que les salariés algériens étaient parfaitement intégrés dans les organisations syndicales françaises. L’historien du nationalisme algérien, Mahfoud Kaddache, pense que «la partie de la classe ouvrière qui a lutté pour l’idée nationale a combattu au sein du mouvement nationaliste et non dans les organisations syndicales». Mais le même auteur n’ignore pas le rôle des cellules d’entreprise PPA au sein de la CGT algérienne et la présence de militants PPA (Parti du Peuple Algérien), jusque dans les instances supérieures de cette organisation. Tous les syndicats nationaux s’y constituèrent en s’opposant aux organisations ouvrières françaises ; toutes les unions syndicales furent crées ou contrôlés par les militants nationalistes qui entendaient les mettre «au service des intérêts supérieurs de la patrie». Les appels de la CGT à l’union des travailleurs de toutes origines se heurtèrent partout au même refus la «nationalité arabo-islamique» refusait d’être intégrée dans la nation française ou dans l’union française. Elle refusait d’intégrer la minorité européenne, sauf à l’accepter comme une colonie étrangère de «résidents non citoyens bénéficiaires de la dhimma»
Ce n’est donc qu’en pleine Guerre de libération que l’UGTA est fondée le 24 Février 1956, «un jalon du processus de lutte et de maturation de la conscience politique et sociale des travailleurs algériens aux prises avec l’oppression politique et l’exploitation économique de la colonisation ».
L’histoire de l’UGTA «est fondée par Aïssat Idir, Mohamed Flissi (frère de Laadi Flici, son nom a été modifié pendant la guerre d’Algérie), Benyoucef Benkhedda, Sid Ali Abderrahmani, Benaissa Atallah, Abane Ramdane, Boualem Bourouiba, Hassen Bourouiba, Hannachi Mayouf dit ‘’Abdellah’’ et Tahar Gaïd, dans la mouvance du FLN» (1). L’Ouvrier algérien, numéro du 6 mars 1956 donne la composition des premiers syndicats algériens : Fonctionnaires et assimilés : syndicat des enseignants (trésorier général : Flissi Mohamed), Ports et docks (secrétaire général : Djermane Rabah), Halles centrales (secrétaire général : Balamane Baghdadi dit Ferhat), Métallurgie, syndicat des PTT (fondée par Drareni Mohamed dit Si Khaled), Ets Durafour, Habillement, Cheminots d’Algérie, Tabacs, Postiers d’Alger, EGA, Municipaux d’Alger, Hospitaliers (Hôpital Mustapha, Hôpital Parnet), Traminots, Tabacs, Liège, Bois et Bâtiments, Employés de bureau, Assurances sociales, Employés de la Casida… Aïssat Idir dirige la rédaction de L’Ouvrier algérien avec Bourouiba Boualem, Hassen Bourouiba, Flissi Mohamed etc. Le premier secrétaire de la centrale syndicale à l’indépendance le défunt Rabah Djermane rapporte : «… On travaillait en contact permanent avec le FLN, mais la nature de nos activités nous obligeait à nous exposer, à mener un combat ouvert, non clandestin. Le syndicat était ‘’le parti’’ au niveau des travailleurs. La plupart des responsables étaient en fait des militants FLN». Mon frère était syndicaliste et en même temps chef d’un secteur FLN. La création de l’UGTA est la réponse de militants du courant nationaliste indépendantiste, aguerris par une longue expérience de combat sur les lieux de travail contre les formes de discrimination, d’injustice et d’exploitation par le colonialisme français. La mission primordiale était de faire participer les travailleurs au combat libérateur pour l’indépendance du pays. En septembre 1953, à Vienne, en Autriche, la Fédération syndicale mondiale (FSM) reconnaît l’autonomie du mouvement syndical algérien. L’UGTA va adhérer au CISL (Confédération internationale des syndicats libres), siégeant à Bruxelles et dès 1956 les principaux responsables syndicaux sont arrêtés et torturés. L’AGTA (Amicale générale des travailleurs algériens) est créée le 16 avril 1957 à Paris.
2) Témoignages de prisonniers du camp de Bossuet
C’est grâce à l’inlassable travail de sensibilisation et de mobilisation entrepris par ces dirigeants fondateurs de l’UGTA que l’organisation a pris un essor fulgurant. Les succès sont incontestables, malgré les conditions de semi-clandestinité. L’UGTA aurait rassemblé 72 syndicats de toutes les branches d’activité. Quelque 110 000 adhérents dès les premières années. L’UGTA remporte un vrai succès, en participant à la grève des Huit-Jours, lors d’élections de délégués du personnel et en adhérant à la CISL.
Vu le succès de la centrale syndicale, le très socialiste Robert Lacoste va s’acharner sur les syndicalistes. La répression ne se fait pas attendre. Dans la nuit du 23 au 24 mai 1956, 250 dirigeants syndicaux sont arrêtés de façon brutale et les militants pourchassés. Aïssat Idir est interné successivement à Berrouaghia, Saint Leu, Aflou et Bossuet .
Les témoignages des compagnons de détention dans les prisons et les camps situent le degré de la répression et les nouvelles formes de résistance des internés syndicalistes. L’UGTA poursuit la résistance dans la clandestinité. Un nouveau siège est créé à Tunis avec le syndicaliste Mouloud Gaïd à sa tête et des comités de soutien dans les principales villes du Maroc (Casablanca, Rabat, Oujda et Meknès) et l’aide de syndicalistes marocains de l’UMT (Union marocaine du travail). L’UGTA est présente en juillet 1957 au congrès du CISL à Tunis. Elle se montre à travers divers organismes de l’ONU, le BIT (Bureau international du travail) et d’autres syndicats, les durs combats des travailleurs menés sur leurs lieux de travail et la lutte pour que le peuple algérien accède à l’indépendance, mais aussi par les armes sans les larmes des travailleurs.
Mon défunt frère Flissi Mohamed (1925-1990) fut l’un des principaux animateurs du mouvement syndical national algérien, responsable du syndicat des enseignants, membre de la Commission exécutive nationale (CEN), Coordinateur lors de l’arrestation de Hassen Bourouiba puis secrétaire général en 1956. Mon frère, instituteur, enseignait le français à l’école du Divan à la Basse Casbah d’Alger. L’ORAF (Organisation de renaissance de l’Algérie française), proche de Jacques Soustelle, attaque dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1956, le siège de l’UGTA, place de Lavigerie à Alger, en plaçant une bombe qui blesse grièvement 17 travailleurs algériens dont deux syndicalistes sont amputés des jambes. Les locaux ravagés par l’explosion sont occupés par la police qui saisit des documents et du matériel. Mon frère est arrêté ce jour à proximité de la mosquée Ketchaoua, ainsi qu’une partie de la Commission exécutive nationale (CEN) de l’UGTA. Au total une quarantaine de syndicalistes iront rejoindre les camps de concentration d’Algérie. Mon frère sera condamné à mort, condamnation qui, heureusement, n’eut pas lieu, car il se fit passer pour un déséquilibré mental. Il sera interné à la prison de Serkadji puis aux camps de Paul Gazelles, Lodi, Hassi Bahbah et de Bossuet. Une excellente biographie bien documentée sur le syndicalisme algérien de Farès Mohamed rapporte le témoignage d’un prisonnier sur les activités de mon frère au sein du camp de Bossuet durant son internement : «En mai 1956, le secrétaire général de l’UGTA Aïssat Idir est arrêté puis transféré de camp à camp. Interné d’abord à Berrouaghia, il est successivement transféré à St Leu, puis à Aflou et en dernier à Bossuet. C’est de ce centre qu’il est extrait en février 1957 par les parachutistes et dirigé par avion militaire sur Alger. Il subit divers interrogatoires au cours desquels ne lui sont ménagés ni la torture à l’électricité, ni celles des baignoires et du tuyau. Ses tortionnaires, assistés d’inspecteurs de la DST, ne lui ont arraché aucune information. Il est ramené au camp d’Arcole où un accueil particulièrement brutal lui est réservé à son arrivée. Puis il est transféré en août vers le camp de Bossuet avec plusieurs de ses camarades, dont Flissi Mohamed, Bourouiba Boualem, Lassel Mustapha, Gaïd Tahar, Bourouiba Hassen, Ali Yahia Abdelmadjid, etc. Il partage avec eux la dure vie qui est celle des «irrécupérables» du camp zéro. Le général de Gaulle voulait récupérer ces intellectuels et cadres, créer la division pour constituer la troisième force et l’opposer au FLN/GPRA. Les internés sont exposés à des traitements dégradants pouvant aller jusqu’aux sévices ou à la mort : obliger de saluer le drapeau français, tu n’es pas un docteur moins qu’un cireur, le café pris dans des bidons, à genoux battus… Les courriers sont les seuls liens pour communiquer avec l’extérieur et surtout leur famille avec des codes. Les joies et les peines étaient partagées. La solidarité était effective, partager sa chemise, un front uni pour s’opposer à l’administration coloniale. Puis la plupart des prisonniers seront transférer juste avant l’indépendance au camp de Douéra Château Holden avec comme accueil à l’entrée un écriteau : «Bouche cousue, tombe ouverte». Le journal de l’UGTA édité à Tunis cite le témoignage des membres français du CICRC (Commission internationale contre le régime concentrationnaire) : «Ils déclarent que les camps d’Algérie n’ont rien à envier aux camps nazis… Le capitaine Serra, véritable tortionnaire en uniforme, réserva une réception brutale aux arrivants qualifiés de durs à mater. A leur arrivée, ils sont forcés de descendre rapidement des camions à coups de fouet et de crosses de fusils, puis contraints à se mettre à genoux. Ils doivent demeurer pendant plusieurs heures en plein soleil dans cette position humiliante. Pendant ce temps, des gardiens armés de gourdin les battent sauvagement aux cris de : à genoux chiens ! Ils séjournent plusieurs semaines dans un enclos entouré de barbelés, au milieu d’une nuée de mouches… sous un soleil de plomb. Les scorpions pullulent dans cette région et constituent un danger permanent». Après la bastonnade, chaque interné dut subir le supplice de la flagellation durant un trajet de 100 mètres, à l’aide de lanières de caoutchouc. Le camarade Flissi osa protester. Il fut placé en cellule isolée durant 15 jours. Réduit à un rationnement minimum, il reçut aussi 3 bastonnades par jour : le matin, le midi, le soir. Aïssat Idir, Bourouiba Boualem, Ali Yahia Abdelmadjid, Bourouiba Mahieddine, Flissi Mohamed ... furent souvent jetés dans des cellules exiguës d’un mètre sur trois, infestées de rats. Bossuet fut un ancien camp disciplinaire des premiers temps de la colonisation militaire sommairement aménagé et connaissant un climat rigoureux toute l’année. L’humiliation et les coups que tu sois médecins ou simples détenus : tu devais être humilié, humilié…. «Nachid El Oumal», le chant des travailleurs écrit par le docteur Ahmed Aroua, mon futur chef de service en Médecine interne à l’hôpital Mustapha. L’hymne est composé par le musicien Haroun Rachid au camp de Bossuet sous l’impulsion et la direction de Aïssat Idir et de ses compagnons qui se trouvaient dans le camp.
Le tortionnaire Serrat, responsable du camp de Bossuet, va séparer les détenus, les mettre dans des chalets suivant leur appartenance politique avant la Révolution. Dans ces camps, les têtes pensantes formant des groupes soudés, sans notion de régionalisme et avec un bon niveau scolaire, dont les docteurs Messaoud Djennas, Fethi Hamidou, Rabah Kerbouche, les avocats maîtres Amar Bentoumi, Mokrane Amara, Mahmoud Zertal, les syndicalistes les trois frères Bourouiba, Tahar Gaid, l’artiste comédien Hassan Hassani, les Chouyoukhs Ahmed Sahnoune et Mohammed Saïd Salhi, les instituteurs Roula Larbi et mon frère Flissi Mohamed vont pouvoir donner des cours de français et d’arabe à leurs frères, les éduquer politiquement, les former au combat et aux tactiques de guerre et de la guérilla. Il n’y avait pas de différence entre l’intellectuel et l’analphabète.
Un autre témoignage de Ahmed Marouf-Araibi, le politico-militaire de Saoula, sur mon frère Mohamed et de Amara Ouali, internés au camp de Paul Cazelles : «Quatre blocs A, B, C, D, où plus de 1000 détenus sont entassés au niveau de chacun de ces blocs… C’était entre février et mars 1959 ; 27 détenus sont alors mis en accusations et transférés dans l’attente de leurs procès dans différentes prisons. Une grande solidarité entre eux face à l’adversité, face aux séances de tortures, d’humiliations et tout ce qui passait par l’esprit des geôliers et tortionnaires… Avec, Flissi Mohamed, Sahraoui Mohamed et Amara Ouali Omar de Ain El Hammam… »(3) Les camps en Algérie, soi-disant camps d’internement, d’hébergement ou camps de regroupement (un euphémisme pour désigner les camps de concentration, terme utilisé par Jacques Attali pour les prisonniers juifs au cours de la Guerre mondiale en Algérie et par maître Vergès), ce sont des camps de la honte, de la mort, de véritables camps de concentration, sans avoir honte ni le courage de le dire. En septembre 1958, Aïssat Idir est de nouveau extrait du camp de Bossuet et dirigé sur la prison Barberousse à Alger. Il comparait au tribunal avec ses camarades (Allal Abdelkader, Skander Nourredine, Charikhi Abdelhamid, Remili Ali…) dans «Le fameux procès de l’UGTA» qui se déroule en janvier 1959 devant les forces armées d’Alger, où il est inculpé d’«atteinte à la sûreté externe» de l’Etat français. Aïssat Idir est défendu par maître Henri Rolin, sénateur, ancien ministre du gouvernement belge, choisi par le CISL et par maître Jean Gallot. Aïssat Idir au cours de l’audience rétorque au président du tribunal : «Cinq secrétariats se sont succédé à la suite d’arrestations de mai 1956 à juin 1957. Notre émancipation politique et sociale n’est possible que dans une Algérie indépendante. Nous nous sommes prononcés clairement, depuis avant 1954.» Le sénateur belge maître Rollin : «Aïssat Idir était un homme doux et juste et s’exprimait devant les magistrats français avec franchise et courage. Il revendique l’honneur d’avoir été l’un des fondateurs de l’UGTA.»(3) Le 13 janvier 1959, le complot ourdi contre lui s’effondre et il est acquitté et ses camarades sont de nouveaux assignés à résidence dans les soi-disant camps d’hébergement plutôt camps de concentrations. A sa sortie du tribunal, Aïssat Idir est «cueilli» par les parachutistes du colonel Godard sous les ordres du sinistre spécialiste des vols de la mort le colonel alias les «crevettes Bigeard». Il est torturé par ses tortionnaires au célèbre et sinistre centre de tortures de Birtraria. Deux mois plus tard, Aïssat Idir est transféré à l’hôpital Maillot (Alger) où il va subir 6 greffes de peau, 22 anesthésies, des transfusions de sang et de sérums. Durant deux mois, nul ne put connaître le lieu de sa détention. Grâce aux multiples démarches des deux syndicats le CISL et l’UGTA, maître Garrigues d’Alger peut enfin avoir de ses nouvelles et lui rendre visite. Aïssat Idir décède le 27 juillet 1959 des suites de brûlures graves, profondes et étendues… il semble que l’on ait plaqué un fer à repasser brûlant sur son visage. Paul Delouvrier, nouveau gouverneur général, remplaçant de Robert Lacoste, continuant la ligne dure et répressive de ce dernier, refuse catégoriquement son transfert en Suisse dans un centre pour brûlés adultes. Aïssat Idir va subir 6 mois de calvaire et toutes sortes de tortures. Des vagues de protestations émanent du CISL, des centrales syndicales des plus grands pays et de gouvernements d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique. Le décès de Aïssat Idir suscita en 1959 une solidarité exceptionnelle manifestée à la cause nationale algérienne et une indignation du monde ouvrier international. L’assassinat de Aïssat Idir prend subitement une résonance mondiale qui déconcerte le gouvernement français et l’administration algérienne. Une solidarité exceptionnelle est manifestée à la cause nationale algérienne. L’organe d’information L’Ouvrier algérien consacre un numéro spécial à l’assassinat de Aïssat Idir, diffusé dans le monde entier (3). L’oubli est impossible et les blessures non cicatrisées à ce jour. Le 28 janvier 1957, c’est la grève générale de Huit-Jours dans toute l’Algérie et parmi la population émigrée pour que la cause algérienne soit débattue à l’ONU, lors de la douzième session plénière des Nations unies qui doit se tenir le 17 septembre 1957 à New York mais aussi d’augmenter le «potentiel révolutionnaire» du FLN en entraînant «dans la lutte active de nouvelles couches sociales» qui procéderont ainsi à «la première et véritable répétition de la nécessaire expérience pour l’insurrection générale». Les représailles s’abattent sur les travailleurs : 80% des cheminots suspendus, 50% des employés des professions libérales et des commerces sont licenciés, 240 agents hospitaliers suspendus, 2000 ouvriers de l’industrie licenciés, 185 fonctionnaires sont condamnés à des peines de 8 à 15 jours de suspensions.
Rabah Djermane est désigné le 24 novembre 1962, premier secrétaire de la centrale syndicale. Le premier congrès dans l’histoire de l’UGTA ouvrit ses travaux le 17 janvier 1963 à Alger, au Foyer civique (place du Champ de manœuvres). Les anciens dirigeants de la syndicale (Bourouiba Boualem, Tahar Gaid, Dekkar Rahmoun et Mustapha Lassel) sont évincés et furent accusés de tous les maux, des «gauchistes, selon Mohamed Khider. Le 20 décembre 1963, l’UGTA désigna un nouveau secrétariat. Il est constitué de Rabah Djermane, Mohamed Flissi, Abdelmadjid Ali Yahia, Cheikh Bengazi, Mohamed Tahar Chafai, Safi Boudissa, Ali Remli, Arezki Ziani. L’UGTA devient un des acteurs politiques majeurs aux premiers mois de l’indépendance de l’Algérie avec un capital humain et une expérience politique et syndicale bien affirmées. Parmi ses responsables et adhérents, nombreux sont passés par le militantisme politique durant la guerre de Libération nationale. Organisation syndicale bien encadrée par des dirigeants chevronnés et des militants politisés, aguerris et bien formés, dotée d’un effectif important (250 000 adhérents répartis sur 500 sections syndicales au 3 juillet 1962).
3) Le 24 février 1971
Nationalisations des hydrocarbures, une date qui restera à jamais gravée dans l’histoire de l’Algérie indépendante : une Algérie qui, à travers le discours mémorable prononcé par le président Houari Boumediene, a décidé de prendre le contrôle de ses richesses pétrolières et gazières et de consacrer ainsi la souveraineté sur ses richesses naturelles.
Après l’accession à l’indépendance, en 1962, la jeune République algérienne voulait son indépendance économique et parachever la lutte contre l’ancien colonisateur pour assurer sa souveraineté nationale pleine et entière. Dans cette perspective est créée, le 31 décembre 1963, la compagnie nationale des hydrocarbures Sonatrach (acronyme de SOciété NAtionale pour la recherche, la production, le transport, la TRAnsformation et la Commercialisation des Hydrocarbures) et surtout afin de protéger ses ressources naturelles du sol et sous-sol algériens. «La major africaine» devient un fleuron de l’industrie pétrolière, parmi l’une des plus importantes du monde et classée la première entreprise du continent africain. En 1969, l’Algérie adhère à l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et devient un partenaire influent sur les perspectives pétrolières.
La deuxième date mémorable et historique du 24 février 1971, est celle lorsque à La Maison du Peuple (siège de l’UGTA), le président algérien Houari Boumediène annonçait aux cadres syndicaux et au monde entier une véritable bombe : «Kararna ta’emine el mahroukate : nous avons décidé souverainement de nationaliser les hydrocarbures» et qu’il s’agissait «de porter la révolution dans le secteur du pétrole et de concrétiser les options fondamentales du pays en ce domaine». C’est par cette formule que le président algérien annonçait le 24 février 1971, il y a de cela 52 ans, ce «nouveau 1er novembre démocratique» - allusion au 1er Novembre 1954, date du déclenchement de la guerre de Libération algérienne. Cette nationalisation était purement réfléchie par l’existence de deux instituts et écoles d’ingénieurs IAP de Boumerdès créés en 1965 à Dar El Beida (Alger) et de l’école IAP de techniciens supérieurs de Hassi Messaoud devenu par la suite Naftogaz. Tous ensemble techniciens et ingénieurs fraîchement diplômés vont prendre la relève au moment de la nationalisation et vont se retrouver en première ligne à défendre avec réussite et détermination défendre la souveraineté nationale de nos ressources naturelles et à œuvrer dans le sens de l’intérêt national. Le 12 avril 1971, une autre décision importante à savoir que les opérations dans tous les champs de gaz et pétrole seront désormais réalisés par la Société Nationale Sonatrach. Cette nationalisation prend de cours les sociétés concessionnaires pétrolières françaises (CFPA, SNPA, Petropar…) et d’autres multinationales (BP, Esso, Shell, Mobil …) qui considéraient le pétrole algérien comme leur appartenant de droit après les Accords d’Evian du 19 mars 1962. Cette prise de contrôle par l’Etat algérien de l’infrastructure de transport et de production, ainsi que 51% des actifs des entreprises pétrolières françaises, implique pour la France la perte du monopole sur les gisements sahariens gaz et pétrole. Le 1er mai 1971, de jeunes ingénieurs ne dépassant pas 24 ans sortis de l’IAP (Institut algérien du pétrole), assistés par des éléments du service national civil sont investis d’une mission capitale et historique de prendre en mains la continuité des opérations après le départ massif des cadres étrangers. Le titre de Historia magazine «Sahara : c’était notre pétrole». Cette nationalisation est ressentie par la France comme «une page douloureuse de l’histoire de l’énergie». Cette décision historique de l’Algérie intervenait dans un contexte international hostile pour que notre pays accède à son indépendance politique et économique. La France gaullienne pensait que l’Etat algérien était incapable d’assurer lui-même l’exploitation et la gestion des hydrocarbures. Avec détermination et esprit révolutionnaire, nos ingénieurs et techniciens ont pu relever le défi et les torches des gisements d’hydrocarbures n’ont jamais cessé de brûler. Une victoire de la jeune génération du 24 Février 1971, qui par son courage et son abnégation, a marqué de son sceau l’épopée magnifique de l’industrie pétrolière en Algérie.
Omar Flici
Gynécologue-obstétricien, frère des défunts Mohamed et Laadi Flici