A 89 ans, raide, grand et élégant avec un regard, qui en impose à la fois détaché mais attentif, Si Nouredine garde toujours sa verve d’antan, en dépit des ennuis de santé, propres à l’âge, qu’il essaie, tant bien que mal, de surmonter. Détenteur d’une licence de lettres françaises et d’anglais à Montpellier au début des années cinquante, où il a connu ses amis Djennas, Khemisti, Benadouda, Toumi, etc., le sort a voulu qu’il effectue son stage de langues à Londres en 1953. C’est là qu’il a pris contact avec l’Association des étudiants arabes, en y rencontrant le seul adhérent algérien, Cherif Guellal, «un homme formidable, d’une grande trempe intellectuelle et d’une compétence indéniable». Au déclenchement de la lutte de libération, Debaghine missionne Si Noureddine de représenter le FLN à Londres. Là avec la complicité de parlementaires anglais, il s’attachera à lutter contre l’influence des éléments du MNA, en investissant le monde médiatique, en usant de sa maîtrise parfaite de la langue de Shekspeare. Cela a obligé le bras droit de Messali, en l’occurrence Moulay Merbah, à faire le déplacement londonien, pour revigorer ses troupes en 1954. Face à l’activité de si Nouredine, les autorités françaises avaient demandé son extradition. Il part clandestinement aux Etats-Unis où il prend contact avec Abdelkader Chanderli, en activant durant deux ans, sous les ordres du FLN. Il rejoint le Maroc où il intègre l’ALN, comme djoundi, activant au commissariat politique, compte tenu de ses compétences. Au cessez-le-feu, il est promu au bureau militaire en remplacement de Tayebi Larbi pour rapatrier tout le matériel du MALG, dont 3 hélicoptères. «En février, on reçoit deux visiteurs africains accueillis par Kaïd Ahmed. Pour régler le problème de la barrière linguistique, on me fit appel en recevant l’ordre de veiller au strict secret de la présence de ces «visiteurs» spéciaux. C’est mon commandant Omar Benmahdjoub qui a soufflé mon nom à Cherif Belkacem. C’est comme ça que je suis devenu l’interprète de Mandela accompagné de Reisha, tous deux membres de l’ANC, venus pour l’instruction militaire. Le second nommé restera en Algérie, à l’indépendance, pour y représenter son mouvement. Le secret absolu était de rigueur. D’une manière générale, Mandela est venu chez nous pour être formé comme un grand responsable politique et militaire et non en tant que simple soldat. Il ne faut pas oublier aussi que l’ANC devait supplanter son rival le Panafrican Congres qui, contrairement au premier, n’était ouvert qu’aux Noirs, ce qui en faisait un apartheid à l’envers.
DE L’ANC A LA TÊTE DE L’AFRIQUE DU SUD
Il faut noter qu’après son départ d’Algérie, Mandela a visité de nombreux pays, seule l’Algérie a consenti à soutenir son combat. Chez nous, il ne cessait de répéter : «I have come to get ,inspiration.» «Ici je suis venu m’inspirer», car la future icone s’était imprégnée des paroles de Chawki Mostefai, représentant du GPRA à Rabat, qui lui avait expliqué les luttes incessantes algériennes et notamment la résistance de l’Emir Abdelkader dans des conditions similaires ou presque, entre l’Algérie et l’Afrique du Sud, colonisation de peuplement, considérant les populations autochtones comme indigènes, climat similaire. C’est là qu’on a lancé la diplomatie de guerre pour faire connaître les méfaits de l’apartheid et s’attirer les sympathies des pays progressistes. Ainsi Tombo, autre dirigeant emblématique de l’ANC, basé à Londres, était souvent à Alger. En 1962, à 44 ans, Mandela est arrêté, emprisonné et condamné à la prison à vie, subissant les affres de la détention même au bagne de Robber Island dans la baie du Cap durant 20 ans. Assumant sa propre défense, il crie une dernière fois à ses juges blancs le sens de son combat. «Je hais intensément la discrimination raciale, sous toutes ses formes, je l’ai combattue pendant toute ma vie, je le ferai jusqu’à la fin de mes jours.»
QUI EST NELSON MANDELA ?
A vingt ans, remarqué par les pasteurs méthodistes, il doit au privilège de son rang d’aller faire son droit à l’université de Fort Hare, la seule université noire à l’époque. Il y rencontre Olivier Tambo qui sera longtemps le président de l’ANC. Il s’en fait exclure pour activisme, refuse un mariage arrangé par sa tribu et, à vingt-trois ans, s’enfuit à Johannesburg, la ville de l’or et des Blancs. C’est là qu’il découvre, dans les humiliations de l’apartheid, en même temps que Walter Sizulu, son mentor et frère d’armes. Il en épouse la cousine, dont il aura trois enfants, et entre dans un cabinet d’avocats blancs, juifs et libéraux qui s’opposent à la ségrégation raciale. Dès 1944, il rejoint l’ANC, organisation ancienne et timide qu’il va galvaniser par ses talents de tribun et son charisme. Haute stature, carrure d’athlète, boxeur amateur, grand séducteur, élégant dans ses costumes marron ou blanc, Mandela ouvre, en 1952, le premier cabinet d’avocats noirs du pays. Partisan convaincu de la non-violence, disciple de Gandhi, plaidant pour le dialogue et le suffrage universel, rédigeant en 1955 la Charte de la liberté, qui reste à ce jour la bible de son mouvement, Mandela est plusieurs fois emprisonné, banni et interdit.Après le massacre de Sharpeville en 1960, il va basculer dans la lutte armée et la clandestinité. Il change de vie et de femme, il épouse Winnie, une jeune et flamboyante assistante sociale et pendant dix-huit mois, de cachettes en déguisements divers, il dirige la branche armée de l’ANC, voyage en Afrique et en Europe et ira même en Algérie à la fin des années 1960 suivre un stage de préparation militaire sous l’égide de l’ALN.La mort de Nelson Mandela est survenue le 5 décembre 2013 à son domicile de Houghton, à Johannesburg, en Afrique du Sud. Âgé de 95 ans, Nelson Mandela, le premier président noir de l’Afrique du Sud, élu à la suite des premières élections parlementaires non raciales au suffrage universel, est mort des suites d’une longue infection respiratoire. Sa mort provoque de nombreuses réactions à travers le monde de la part des gouvernements, des organisations internationales et de diverses personnalités.
L’ALGÉRIE ET L’INSÉPARABLE PROFONDEUR AFRICAINE
Bien après Si Nourredine a été ambassadeur en Afrique du Sud où il a eu la latitude de raffermir les liens avec ce grand pays libéré de ses pesanteurs racistes et occupé le poste de SG adjoint de l’OUA où il a effectué un travail appréciable. Ainsi à l’occasion du 50e anniversaire de cette organisation, il a eu à rencontrer deux chefs d’Etat, Obasanjo (Nigeria), Zuma (Afrique du Sud) et Edem Kojo SG de l’OUA , qui lui ont signifié leur regret de voir le désintérêt de l’Algérie, ces dernières décennies vis-à-vis de l’Afrique. «Comment se fait-il que l’Algérie, qui a été le flambeau de la libération du continent, du moins une grande parti, lui tourne le dos aujourd’hui. C’est vraiment un grand dommage.» Lorsqu’il reçut le prix Nobel, conjointement, avec son pire ennemi, De Klerk, héros de l’apartheid, Mandela eût ces mots : «Ce prix est un hommage à tous les Sud- Africains, Noirs et Blancs, qui ont tant souffert et je félicite chaleureusement, le président De Klerk», avait lancé Nelson, avant de le «descendre», pour sa responsabilité, dans un raid meurtrier de l’armée sud-africaine, au Transkei, ajoutant : «Avec un nouveau gouvernement, l’an prochain, nous n’aurons plus à nous soucier de ce que fabrique De Klerk.» Imbu de son prochain rôle, Mandela, politique impénitent, scrutait déjà son rôle de futur Président de la nouvelle Afrique du Sud, étant sûr du sort favorable des premières élections multiraciales au pays de l’apartheid. Indéniablement, Mandela poursuivait son œuvre en réussissant à transformer un parcours en destin, un destin en martyr et un martyr en métier politique. Le seul qu’il redoutait, parce que périlleux, car le transformant en… mortel. Le classant dans le rang des mortels avec leurs calculs vulgaires et leurs ambitions contrariées. Mais étonnamment, c’est là qu’il a surpris, cet homme, qui a passé 27 ans de sa vie cloîtré entre quatre murs, mais qui savait en son for intérieur que sa légende courait déjà sur la planète et servait de bannière aux peuples en colère. Suffisant pour l’engager à 71 ans dans un chemin qui faisait sa fierté depuis sa sortie de prison en février 1990. Il eut le courage de refuser l’engrenage de la violence raciste, au nom de son prestige international, en ayant la main sur ses fougueux militants de l’ANC, comme sur les masses noires poussées à bout par la misère, le chômage et la frustration, de ne pas bénéficier encore de cette aubaine de l’émancipation politique.
LE NOM DE MANDELA AU STADE DE BARAKI, PLUS QU’UN SYMBOLE
On sait que la baptisation du stade de Baraki, du nom de l’icône africaine, a soulevé certaines incompréhensions et controverse. Pour Si Nouredine, donner le nom d’Algériens à ce bijou de stade, quelque soient leur audience et leur statut, pose problème et fera toujours des mécontents. En revanche, le choix fait, pour moi, est une opération politique extraordinaire à laquelle tous les Africains ont été très sensibles. Imaginez un stade d’Algérie portant le nom d’un grand patriote africain. La sensibilité des Africains a été très touchée, car à travers l’icône c’est tout le continent qui est honoré. Cette opération permettra, on l’espère la reprise en main de nos liens avec notre profondeur africaine, pour laquelle on n’a pas bien agi ces dernières décennies. Heureusement, il y a un regain prometteur ces derniers temps, car la diplomatie algérienne, fidèle aux principes du 1er Novembre, fondée sur le soutien aux causes justes et au droit des peuples à l’autodétermination a marqué un retour en force, sur la scène internationale en contribuant au règlement des crises et l’instauration de la paix, grâce à un engagement ferme de l’Algérie, en faveur des mouvements de libération en tant que «devoir sacré».