L’acteur Alain Delon, monument du cinéma français, a tiré sa révérence très tôt au milieu de la nuit de samedi, à l’âge de 88 ans, dans sa maison de Douchy Montcorbon (Loiret) en France.
C’est à travers un communiqué de presse commun à l’AFP que les trois enfants d’Alain Delon ont annoncé le décès de leur père. «Alain Fabien, Anouchka, Anthony, ainsi que (son chien) Loubo ont l’immense chagrin d’annoncer le départ de leur père.
Il s’est éteint sereinement dans sa maison de Douchy, entouré de ses trois enfants et des siens. L’acteur de Plein Soleil et du Samouraï s’en est allé rejoindre (la Vierge) Marie parmi ses étoiles si chères à son cœur. Sa famille vous prie de bien vouloir respecter son intimité, dans ce moment de deuil extrêmement douloureux», indiquent-ils via le communiqué.
Icône du cinéma universel, Alain Delon a marqué son époque par son charisme d’acteur, par sa beauté et par son physique avenant. Il était à la fois acteur, réalisateur, chanteur et producteur. Il a partagé la scène aux côtés de grandes figures de proue du cinéma français et étranger.
Son jeu actoral et ses répliques étaient époustouflants. Il est l’un des acteurs ayant enregistré le plus d’entrées en France, soit un total de plus de 136 millions de spectateurs. Un grand nombre de films dans lesquels il s’est distingué sont devenus des classiques du cinéma, parmi lesquels Plein Soleil, Rocco et ses frères, Mélodie en sous-sol, Le Guépard, L’Insoumis, Le Samouraï, La Piscine, Le Clan des Siciliens, Le Cercle rouge, Borsalino, Un flic, Monsieur Klein ou encore Notre histoire.
Si Alain Delon laisse derrière une carrière auréolée de succès, il n’a, cependant, pas souhaité faire une carrière à Hollywood, et ce, malgré les nombreuses propositions et une nomination au Golden Globe de la révélation masculine de l’année.
Il a, aussi, obtenu de nombreuses distinctions, dont le César du meilleur acteur en 1985 pour son rôle dans Notre histoire et une Palme d’honneur lors du Festival de Cannes 2019 pour l’ensemble de sa carrière. Alain Delon est né le 8 novembre 1935 à Sceaux, en France.
Enfance jamais cicatrisée
A l’âge de quatre ans, ses parents divorcent. Le petit garçon est alors confié à une famille d’accueil, ce qui restera pour lui une blessure d’enfance béante jamais cicatrisée. Il est placé dans une pension catholique, où il passe toute sa jeunesse avec un de ses meilleurs amis, Gérard Salomé.
Enfant turbulent, il se fait renvoyer six fois des écoles qu’il fréquente. Il retourne vivre chez sa mère, laquelle a épousé en secondes noces un commerçant. Elle lui ménage une place dans le domicile familial. Alain réussit à décrocher un CAP de charcuterie.
Il travaille alors à la charcuterie de son beau-père qui compte 16 employés. A l’âge de 14 ans, il incarne son premier rôle, celui d’un voyou dans Le Rapt, un court-métrage muet de 22 secondes,, réalisé par Olivier Bourguignon. L’adolescent décide de fuguer pour aller vivre à Chicago, mais il est arrêté à Bordeaux.
A l’âge de 17 ans, il effectue son service militaire dans la Marine nationale. Sortant d’une période au Centre de formation maritime de Pont-Réan, il poursuit son service militaire en 1953 à l’Ecole des transmissions des Formettes.
Après avoir volé du matériel, la Marine nationale lui laisse le choix entre quitter la Marine ou prolonger son engagement de trois à cinq ans. Il décide de rejoindre la compagnie de protection de l’arsenal de Saïgon. Vers la fin de la guerre d’Indochine, il est mis aux arrêts pour avoir volé une jeep. Son brevet de radio lui est retiré et il est exclu de la Marine. Il fête ses 20 ans en cellule.
Période durant laquelle il découvre à la fois la discipline militaire, le sens de l’honneur et du drapeau de la France. Il se prend de passion pour les armes et est subjugué par Jean Gabin dans Touchez pas au grisbi. Il retourne en France en 1956, où il s’installe à l’hôtel Regina. Il exerce quelques petits métiers, tels que débardeur aux Halles et serveur dans un café.
Premiers succès
A l’orée des années 1950, Alain Delon découvre le bouillonnant quartier Saint-Germain-des-Prés et rencontre l’actrice Brigitte Auber, laquelle vient de tourner pour Alfred Hitchcock dans La Main au collet. A l›occasion du Festival de Cannes 1957, il se lie d’amitié avec Jean-Claude Brialy et entre en contact avec le milieu du cinéma, y faisant la connaissance de son futur agent George Beaume.
Il ne passe pas inaperçu. Il est repéré par Henry Willson, qui lui propose de faire un bout d’essai à Rome. C’est ainsi qu’il rentre de plain-pied dans l’univers du cinéma sans pour autant avoir reçu une formation académique d’acteur. Il réussit à décrocher un contrat de sept ans aux Etats-Unis à la seule condition qu’il apprenne l’anglais.
De retour en France, il s’attelle à apprendre cette langue mais le réalisateur Yves Allégret l’engage pour tourner son premier film Quand la femme s’en mêle. Il y joue un petit rôle. A propos de ce rôle, il confie : «Je ne savais rien faire. Allégret m’a regardé comme ça et il m’a dit : ‘‘Ecoute-moi bien, Alain. Parle comme tu me parles.
Regarde comme tu me regardes. Ecoute comme tu m’écoutes. Ne joue pas, vis.’’ Ça a tout changé. Si Yves Allégret ne m’avait pas dit ça, je n’aurais pas eu cette carrière.» Il enchaînera par la suite d’autres rôles, notamment dans la comédie Sois belle et tais-toi de Marc Allégret, Christine, Faibles Femmes, Le Chemin des écoliers. Les années 1960 marqueront la consécration professionnelle de l’acteur.
En 1962, il joue aux côtés de Monica Vitti dans L’Eclipse de Michelangelo Antonioni, film qui obtient le Prix spécial du jury du Festival de Cannes. En 1963, il participe à un projet avec son idole Jean Gabin, Mélodie en sous-sol. Le film est récompensé aux Etats-Unis par le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère. Alain Delon joue dans le film d’aventure La Tulipe noire, de Christian-Jaque.
Le film est un succès à l’échelle mondiale, notamment en Union soviétique, où il cumule 47 millions d’entrées. En Hongrie, il se classe sixième de l’année avec 1 470 000 entrées. Toujours en 1960, il devient une star grâce à Plein Soleil de René Clément.
«Ma vie est un accident»
Après des années riches et intenses, il retourne dans les années 2000 au cinéma et au théâtre en campant des rôles clés tels que Les Acteurs, Sur la route de Madisone et Love Letters. En 2021, Alain Delon insiste pour tourner une dernière fois avant sa mort. «J’ai envie de faire un film et surtout de faire mon dernier film. Celui qui restera pour toujours.
Et après, je pourrai partir, je n’aurai plus rien d’autre à faire.» Il renonce en 2022 à ce projet cinématographique, La maison vide mais en 2019, il fait un AVC, l’empêchant de reprendre le chemin des plateaux. Alain Delon confie alors : «Ma carrière n’a rien à voir avec le métier de comédien.
Comédien, c’est une vocation. Un comédien joue, il passe des années à apprendre, alors que l’acteur vit. Moi, j’ai toujours vécu mes rôles. Je n’ai jamais joué. Un acteur est un accident. Je suis un accident. Ma vie est un accident.
Ma carrière est un accident.» Dans une ultime et dernière apparition, après avoir été récompensé à Cannes en mai 2019, Alain Delon déclare à l’AFP : «Au lendemain de cette Palme d’Or d’honneur, l’envie me prend de remercier toutes celles et tous ceux qui m’ont témoigné d’une manière ou d’une autre leur affection et leur sympathie, et plus encore.
Alors que mon voyage touche à sa fin, je veux le dire : j’ai connu tant de passions, tant d’amours, tant de succès et d’échecs, tant de controverses, tant d’esclandres, de ténébreuses affaires, tant de souvenirs, tant de rendez-vous manqués et rencontres impromptues, tant de hauts et de bas ; que lorsque les honneurs ne seront plus que de vains et lointains souvenirs, il est une seule chose qui brillera par sa constance et sa longévité : vous, vous seuls.
A vous qui avez fait ce que je suis, et qui ferez ce que je serai, il me fallait vous le dire.» Suite au décès d’Alain Delon, de nombreuses personnalités françaises et du monde entier ont rendu un vibrant hommage à cet acteur d’exception. L’actrice italienne Claudia Cardinale a déclaré : «Le bal est fini. Tancredi s’en est allé danser avec les étoiles», faisant allusion au personnage de l’acteur dans le film Le Guépard.
De son côté, le réalisateur Costa-Gavras affirme qu’«il y a eu un avant et il n’y aura pas d’après, Delon restera Delon dans la vie du cinéma. Il n’y aura pas d’imitation, il n’y aura pas d’autre acteur qui lui ressemblera parce que c’est impossible».
L’actrice française Brigitte Bardot estime que la disparition d’Alain Delon laisse «un vide abyssal que rien, ni personne ne pourra combler. Il a représenté le meilleur ‘‘du cinéma prestige’’ de la France. Un ambassadeur de l’élégance, du talent, de la beauté.
Je perds un ami, un alter ego, un complice». L’écrivain et metteur en scène Eric-Emmanuel Schmitt atteste : «Il entrait sur scène, on avait l’impression qu’il y avait une panthère noire, un félin qui était arrivé dans la salle. Il y avait une électricité qui venait non pas de sa notoriété, mais de son aura singulière. Il n’était pas victime de sa beauté, il n’était pas figé dedans.
Il exprimait 1000 autres choses que le beau gosse. Alain Delon était fait ‘‘pour porter des êtres avec des fêlures, avec des secrets’’.» Abondant dans le même sens, le délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux a salué la mémoire d’Alain Delon, qui laisse «une filmographie éblouissante et une trace ineffaçable.
Il incarnait le cinéma français bien au-delà des frontières, il fut l’image des trente glorieuses triomphantes, il était de ces personnalités qui s’adressaient conjointement au grand public comme aux spécialistes, œuvrant pour le cinéma commercial comme pour le cinéma d’auteur».