Différend maritime entre Pékin et Manille : Les Philippines convoquent l’ambassadeur de Chine

08/08/2023 mis à jour: 05:58
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Après les tirs des garde-côtes chinois au canon à eau sur des navires philippins samedi, dans la mer de Chine méridionale contestée, Manille a convoqué hier l’ambassadeur de Chine. «Notre secrétaire aux Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur Huang aujourd’hui (lundi, ndlr) et lui a remis une note verbale comprenant des photos et des vidéos sur ce qui s’est passé, et nous attendons leur réponse», a expliqué le président philippin Ferdinand Marcos Jr. à la presse, selon des propos recueillis par l’AFP. 

«La position de la Chine, bien sûr, est de dire : ‘‘C’est à nous, donc nous le défendons.’’ Et nous, pour notre part, nous disons : ‘‘Non, c’est à nous, donc nous le défendons.’’ Cela devient donc une zone grise dont nous discutons», a-t-il ajouté. «Pour mémoire, nous n’abandonnerons jamais l’atoll d’Ayungin. Nous sommes attachés à l’atoll d’Ayungin», a affirmé de son côté à la presse le porte-parole du Conseil national de sécurité, Jonathan Malaya, en utilisant le nom philippin pour désigner l’atoll de Second Thomas dans les îles Spratleys. Manille a accusé, dimanche, les garde-côtes chinois d’avoir tiré au canon à eau sur des navires philippins en mer de Chine méridionale, qualifiant ces actions d’«illégales» et «dangereuses». 

La Chine a déclaré de son côté avoir pris les «mesures nécessaires» contre des bateaux philippins qu’elle accuse d’être entrés «illégalement» dans ses eaux. Selon les garde-côtes philippins, l’incident s’est produit samedi, alors qu’ils escortaient des navires transportant du matériel pour le personnel militaire philippin stationné sur le Second Thomas, un atoll des îles Spratleys. «Les garde-côtes philippins condamnent fermement les manœuvres dangereuses des garde-côtes chinois et l’utilisation illégale de canons à eau contre (leurs) navires», ont-ils alors déclaré. Le Département d’État américain a condamné les «dangereux» agissements de la Chine, affirmant qu’ils étaient le fait de ses garde-côtes et «milices maritimes». 

De son côté, Pékin a qualifié hier de «professionnelle et retenue» son «opération» menée au canon à eau ce week-end contre des navires philippins. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a déclaré qu’un bâtiment des garde-côtes chinois a «légalement arrêté» deux bateaux philippins. «Cette opération professionnelle et mesurée sur place est irréprochable», a-t-il ajouté. Le ministère chinois des Affaires étrangères a rejeté, dans un communiqué, les critiques de Washington, l’accusant de «ne pas tenir compte des faits». «Ce que font les Etats-Unis, c’est soutenir de manière flagrante la violation de la souveraineté de la Chine par les Philippines», a observé le ministère. 

A son arrivée au pouvoir en juin 2022, le président philippin a prévenu qu’il ne laisserait pas la Chine piétiner les droits de son pays en mer, et s’est rapproché des Etats-Unis. Pour ce faire, il a œuvré à améliorer les relations avec Washington, un allié de longue date des Philippines, mises à mal par son prédécesseur Rodrigo Duterte. Leur coopération en mer de Chine méridionale s’est intensifiée. Début avril dernier, Manille a mis à disposition de Washington quatre nouvelles bases militaires, dont une base navale non loin de Taïwan. 

Le 11, les deux pays ont entamé des manœuvres militaires conjointes qui dureront deux semaines.Les tensions entre Manille et Pékin se sont exacerbées au début de l’année après qu’un navire des garde-côtes chinois eut prétendument utilisé un laser de qualité militaire contre un bateau des garde-côtes philippins près de l’atoll Second Thomas. Fin avril, la Chine a accusé les Philippines d’avoir «délibérément» voulu provoquer un incident dans les eaux disputées de la mer de Chine méridionale. 

Accusation qui fait suite à une collision évitée de justesse entre deux vaisseaux de garde-côtes de chacun de ces pays. «En se précipitant dans les eaux du récif Ren’ai avec des journalistes à son bord, le bateau philippin a commis une provocation préméditée et délibérément cherché l’affrontement pour faire un battage médiatique», a dénoncé une porte-parole de la diplomatie chinoise, Mao Ning. L’équipage du bateau chinois a agi «de manière professionnelle et avec retenue», a-t-elle affirmé. 

De son côté, son homologue aux Philippines, Teresita Daza, a accusé les garde-côtes chinois d’avoir mis «gravement en danger» l’équipage philippin. «L’interférence des garde-côtes chinois avec cette patrouille de routine contrevenait totalement avec la liberté de navigation (…)», a-t-elle ajouté.
 

Visions irréconciliables 

Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, malgré les prétentions rivales de ses voisins Philippines, Vietnam ou de Malaisie. Elle a rejeté ainsi le verdict la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye en 2016,  qui a estimé que l’Empire du Milieu n’a pas de «droits historiques» sur la majorité des eaux stratégiques de la mer de Chine méridionale et donné raison aux Philippines. La Chine fonde sa légitimité sur ces territoires sur des cartes remontant aux années 1940. Washington prône un règlement multilatéral et pacifique de ces conflits. Pékin est plutôt favorable à des négociations bilatérales.

 En juillet 2020, le secrétaire d’Etat américain à l’époque, Mike Pompeo, a déclaré «illégales» les revendications territoriales de Pékin en mer de Chine méridionale. «Les Etats-Unis défendent l’idée d’une région indo-Pacifique libre et ouverte. Aujourd’hui, nous renforçons la politique des Etats-Unis dans une zone vitale et disputée de cette région : la mer de Chine méridionale», a-t-il indiqué  dans un communiqué. Et d’ajouter : «(…) Les revendications de Pékin sur les ressources offshore dans la plus grande partie de la mer de Chine méridionale sont complètement illégales, de même que sa campagne d’intimidation pour les contrôler.»

 Il a rappelé que la CPA a jugé en 2016 que la Chine n’a pas de base légale pour revendiquer des «droits historiques» sur cette zone. «La décision du tribunal arbitral est définitive, et elle a force exécutoire pour les deux parties.» Et «le monde ne permettra pas à la Chine de traiter la mer de Chine méridionale comme son empire maritime», a observé le chef de la diplomatie américaine. Pour le chef de la diplomatie américaine les récifs Mischief et Second Thomas Shoal «tombent sous la juridiction et les droits souverains des Philippines», conformément au jugement de 2016. 

En réaction, dans un communiqué publié sur son site, l’ambassade de Chine à Washington a qualifié de «totalement injustifiées» les accusations d’intimidation. «Les Etats-Unis ne sont pas un pays directement impliqué dans les querelles, cependant ils continuent d’interférer sur la question», a-t-elle  déclaré. «Sous le prétexte de préserver la stabilité, ils roulent des mécaniques, alimentent les tensions et incitent à la confrontation dans la région», a-t-elle poursuivi.

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