A part quelques courts, il n’y a pas de long films d’animation en Algérie à part Khamsa, premier du genre, parce que chacun s’imagine un studio-usine avec une grosse équipe qui avec de gros logiciels très chers va se charger de dessiner image par image, à 25 images/seconde, soit 1500 images/minute, soit 90 000 images/heure, soit encore 180 000 images pour un film de deux heures. Sauf que les temps ont changé et se sont du coup réduits. Comment faire un long métrage d’animation avec 5 personnes et de la volonté ? Master class avec Vynom, réalisateur de Khamsa, qui passe actuellement en salles.
Oui, de Walt Disney et ses célèbres dessins animés (au sens propre), premier oscar pour un film d’animation dès 1939 avec Blanche neige et les 7 nains, jusqu’aux animations sur ordinateur plus ou moins assistées aujourd’hui par l’Intelligence artificielle, que de chemin parcouru depuis plus d’un siècle et le folioscope, carnet de dessins fixes à effeuiller qui donne l’illusion du mouvement par la persistance rétinienne.
Puis pour les moins jeunes, Goldorak alias Grandaïser, en moins d’images, et ce qui était destiné aux enfants est devenu un sport pour adultes avec les mastodontes comme Pixar, Disney, Dreamworks ou le studio moins connu, Illumination filiale d’Universal, qui se partagent les tops du box-office.
Avec les Japonais, depuis Chihiro, Mononoké, Nausicaa et évidemment Ghost in the Shell de Mamoru Oshii, le marché du film d’animation s’est emballé, une trentaine de prestigieux festivals internationaux du genre, 180 milliards de dollars de taille de marché (300 milliards en prévision pour 2029 grâce entre autres à la VR et au Cloud computing) pour 10 millions d’euros de budget moyen par œuvre, soit deux fois le coût d’une fiction.
Si le marché chinois semble devoir battre le marché US dans les prochaines années, ce sont pour l’instant les Américains qui trônent et le film Vice-Versa 2 de Disney qui vient à l’instant de battre le record du premier film d’animation à dépasser le milliard de dollars de recettes à l’international.
Pour les Algériens, de grands enfants mais qui considèrent paradoxalement que l’animation est destinée aux enfants qu’ils ne sont en théorie pas, il y a bien eu quelques expériences de courts mais pas de long métrage avant Khamsa, ou Le puits de l’oubli, réalisé par Khaled Chihab et produit par D-Clik. Pourquoi ?
Parce qu’on s’imagine que c’est une entreprise fastidieuse qui engage beaucoup d’employés et de techniciens spécialisés, et qu’en fin de compte, personne ne va aller au cinéma voir un Mickey.
Mais tout comme on s’imaginait devoir faire un film cinéma avec une caméra à 60 000 euros, ce qui a changé avec les Black Magic à 1500 euros, on peut aujourd’hui réaliser des animations aux standards mondiaux comme Khamsa qui a eu 12 prix à l’international et surtout à Niigata, au Japon, comme si on allait battre le Barça chez eux au stade du Nou Camp. Mais comment ?
Khamsa de A à Z par Vynom
Evidemment, un scénario à la base, et comme l’explique Vynom «une histoire à la narration non classique, il s’agit de faire le moins de dialogues possibles et tout raconter en images», d’ailleurs un court métrage à la base, transformé plus tard en long dans le cas de Khamsa.
Mais ensuite ? «Au niveau technique, une fois le scénario écrit, trois étapes sont définies comme pour le cinéma classique, avec une pré-production un peu plus lourde en animation, le character design où on créé les personnages et le film en images fixes pour obtenir un story-board avec le timing mais sans animation, comme un slide-show, puis l’exécution de l’animation en deuxième étape puis la post-production.»
Oui mais comment ? «En premier, les personnages en 3D sont créés avec un logiciel (comme Maya), puis des décors en 2D sont travaillés par une équipe de 5 graphistes sur des tablettes, au bout d’un an et demi à peu près à partir de l’écriture, le film est pratiquement prêt, tout est dans le story-board, on est arrivés au stade dit de l’animatique.»
C’est là où si c’est bien fait, la suite est plus simple, le film est fait, même s’il y a ensuite l’animation des scènes et personnages, entre des positions-clés avec des intervallistes chargés de dessiner les étapes intermédiaires. «Bien sûr», explique encore Vynom, «il y a des logiciels qui créent tout seuls des interpolations de mouvement avec des image-clés de départ et d’arrivée, mais surtout pour les décors.
Les personnages sont eux, animés tout seuls, puis montés sur les arrière-plans (en 2D)». Pas de Toon Boom de Disney ici, d’Adobe Animate ou de Toonz, logiciels professionnels dans le domaine, mais After Effect pour Khamsa, qui est en réalité un logiciel de compositing et pas d’animation, «mais qui permet simplement d’incruster tout ce qu’on a, sans barrière entre l’animation et le décor, tout se fait sur place dans le même logiciel et le même cadre, sans passer par des work-flows où il faut terminer l’animation pour transposer ensuite les personnages dans les décors».
Enfin, la post-production, «oui, on a utilisé des fonds alpha pour incruster des vidéos réelles (brumes, poussières, sable, pluie, feux...) qu’on achète sur des sites spécial VFX par abonnement et qu’on retraite et réinterprète ensuite pour les intégrer dans notre film».
C’est en réalité ce qui fait la particularité de Khamsa, en animation classique les personnages sont les plus importants et les décors sont secondaires, mais comme le dit Vynom «sur ce film, on voulait donner une importance particulière aux arrière-plans qui ont été traités comme des personnages qui suivaient le décor et pas le contraire, le gros de l’équipe travaillait sur les back-grounds et j’intervenais pour l’animation des personnages».
Pour les lumières, là aussi pas de 3D mais «de la 2D, en fonction des séquences, on a dessiné les lumières à plat en utilisant des masques pour créer entre autres les ombres». Le montage par contre a été plus facile que pour un film classique, «pas de rushs parce qu’on a fait nos images à partir du story-board et donc il n’y pas de recherche fastidieuse de rushs par le monteur pour trouver la meilleure séquence».
Oui mais combien de temps ? Entre l’écriture et la finalisation du produit, 4 ans, mais surtout par l’obligation de recherche de financements, même si une partie a été financée par l’ex-Fdatic, qui a pour la première fois commissionné un film d’animation.
Car tout ça coûte de l’argent, notamment la partie finale, le sound design et les voix enregistrées dans des studios différents, travail qui est à souligner grâce à l’excellente contribution de Tobias Lilja, un Suédois issu de l’univers des jeux vidéos qui a assuré la section (importante) des bruitages et de la musique.
C’est tout ? Oui, c’est tout, 4 ans de travail, 4 milliards de budget. On peut le faire en circuit plus court bien sûr, mais comme l’explique le producteur Kamel Mouhoune de D-Clik, «on apprend aussi en travaillant, j’ai compris qu’on pouvait faire plus vite mais on est aussi lié à notre travail, il faut gagner sa vie en parallèle». Mais Khamsa prouve qu’on peut rivaliser avec les plus grands dans ce domaine. Il y a des graphistes et des animateurs. Il faut juste de bons producteurs.