C’était juste charmant. Des femmes de toutes les catégories d’âge portant la célèbre m’laya ont sillonné avec grâce, fierté et élégance les artères de la vieille ville de Constantine par une belle journée du mois de mai.
De nombreux passants et habitants de ces quartiers se sont arrêtés pour un moment, juste pour contempler avec nostalgie la magnificence d’une restitution de cet habit traditionnel de sortie des femmes constantinoises. «C’est une belle initiative à perpétuer et prendre comme exemple afin de faire connaitre nos traditions à la jeune génération», a confié un passant au quartier de La Casbah. «Cela me rappelle mon enfance et ma mère qui portait la mlaya quand elle va visiter sa famille, j’ai larmes aux yeux», avoue une dame à la rue du 19 juin 1965.
Ce sont quelques témoignages recueillis auprès de femmes et d’hommes rencontrés lors de la sortie dédiée à ce fameux habit traditionnel féminin, intitulée «Journée de la mlaya», organisé dans l’après-midi de mercredi dernier, par le Musée public national des arts et des expressions culturelles traditionnelles au palais Ahmed Bey. Femmes âgées, jeunes filles et fillettes, la gent féminine était présente en force à ce rendez-vous pour célébrer l’une des belles particularités du patrimoine algérien.
Durant les préparatifs entamés au Palais du Bey, juste avant la sortie, elles étaient toutes attentives aux explications, soit des connaisseurs ou des femmes de l’ancienne génération sur les techniques du port de la m’laya.
«C’est de l’art, finalement ce n’est pas donné à tout le monde», a révélé une jeune fille venue pour la première fois y prendre part. La touche magique était la présence des hommes en habit traditionnel et surtout l’implication passionnante des fillettes dans cette ambiance. Elles aimaient se poser avec fierté en m’laya devant les appareils des caméramans et des journalistes. Des citoyens venus d’autres régions, dont des étudiants, ont également participé à cet apparat traversant des quartiers de la vieille ville, afin de donner plus de couleurs et de charme aux éléments traditionnels de ce merveilleux tableau.
Des traditions à faire sortir de l’oubli
Parti du Palais du bey, le convoi est passé par la rue El Qods, pour rejoindre la rue Si Abdellah Bouhroum, puis le boulevard Zighoud Youcef (ex-Boulevard de l’Abîme) pour revenir au quartier de la Casbah. «Nous avons voulu adopter un autre itinéraire pour faire connaitre tous les quartiers de la vieille ville de Constantine», a déclaré un des participants. A partir de La Casbah, les femmes en m’laya ont défilé sur la rue du 12 Mai 1956, puis la rue du 19 Juin 1965, pour entrer à Rahbet Essouf avant d’arriver à la placette Sidi Djeliss, sous les youyous des femmes.
Sur les lieux, les photographes se sont donné le plaisir de prendre des souvenirs de ces femmes en m’laya devant la célèbre fontaine de Sidi Djeliss. Des riverains ont eu l’amabilité d’ouvrir les portes de leurs maisons pour des photos souvenir dans un décor convivial. «J’avais toujours porté la m’laya, pour certaines occasions nationales ou même lors des deuils.
C’est une partie de notre histoire qu’il ne faut pas rejeter, mais plutôt admirer», a déclaré Fatima, une retraitée de la SNTF, ayant participé au défilé. Pour sa part, la directrice du Musée national des arts et des expressions culturelles traditionnelles - Palais Ahmed Bey, Meriem Guebaïlia, a insisté sur la nécessité de ressusciter ce costume aux dimensions patrimoniales, sociales, identitaires et surtout historiques. Selon ses dires, la m’laya ne peut être considérée comme un simple habit.
C’est un symbole de résistance au colonialisme et surtout un moyen de militantisme. Les femmes algériennes avaient participé à la révolution en transportant des armes, des médicaments et des aides aux moudjahidine sous la m’laya. Cette dernière était une arme de lutte. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi le 8 mai pour célébrer cette journée à l’occasion du Mois du patrimoine et de la commémoration de la sanglante Journée de la mémoire.
«Cela aussi pour rappeler les massacres de Kherrata, Sétif et Guelma, où les femmes sont sorties manifester en m’laya, et pour dire qu’il s’agit d’un patrimoine national qu’il faut préserver, protéger et transmettre d’une génération à une autre», a souligné Mme Guebaïlia. Et de poursuivre que des événements traditionnels ou autres seront organisés après le défilé dans les prochaines éditions. «L’année écoulée, nous avions projeté un documentaire sur ce costume et avions organisé des conférences animées par des chercheurs et des historiens algériens. J’appelle à chercher dans notre histoire, qui est très riche», a-t-elle ajouté. Pour l’édition de cette année, le défilé s’est achevé avec la tradition constantinoise «Qahwet El Asser» (le café de la fin d’après-midi).
Le palais du bey a abrité la reconstitution de l’ambiance de ces femmes qui se rendaient chaque jour prendre le café chez une voisine et passer des moments de convivialité autour d’une table garnie de gâteaux.