Deux semaines après sa condamnation par le tribunal criminel : Le dernier détenu algérien de Guantanamo blanchi par la justice

30/05/2024 mis à jour: 03:32
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Saïd Bakhouche a été transféré par les Américains vers l’Algérie le 20 avril 2023. Il a été détenu à Guatanamo durant 21 ans - Photo : D. R.

Condamné à 3 ans de prison ferme en première instance, le dernier des détenus algériens de Guantanamo, Saïd Bakhouch, a été acquitté.

Enrôlé très rapidement après deux semaines seulement de sa condamnation par le tribunal criminel de Dar El Beida à 3 ans de prison ferme, le procès de Saïd Bakhouche, dernier prisonnier  algérien du centre de détention américain de Guantanamo Bay, s’est ouvert hier devant le tribunal criminel d’appel près la cour d’Alger.

Placé en détention à la suite de sa condamnation, Bakhouche est poursuivi pour «appartenance à une organisation terroriste qui active à l’étranger», en vertu de les articles 87 et 87 bis du code pénal.

Si l’on se réfère à l’acte d’accusation, son parcours depuis sa sortie de sa ville natale Babar, à Khenchla, en 1994 pour rejoindre la Libye, jusqu’à son arrestation en 2002 par les services pakistanais à Peshawar, non loin de la frontière pakistano-afghan, suivie de sa remise, quelques mois après, aux Américains qui le garderont en détention à Guantanamo durant 21 ans, avant de le renvoyer en Algérie le 20 avril 2023, est un véritable périple dans des pays considérés à l’époque de terreau du terrorisme international, alors incarné par Al Qaîda, que dirigeait Oussama Ben Laden.

Hier, Saïd est apparu sans sa longue barbe poivre et sel et sans son bonnet noir. Il confirme avoir été transféré par les Américains vers l’Algérie, dans un avion spécial qui a atterri à l’aéroport militaire de Boufarik, le 20 avril 2023, et qu’il a été détenu durant 21 ans et un mois au centre de détention américain de Guantanamo. La juge l’interroge sur les circonstances de son premier voyage. «Au mois d’août 1994, j’ai décidé de partir en Libye de manière légale, pour fuir la situation au pays et aller chercher du travail ailleurs. Une fois arrivé, ce n était pas ce que j’attendais.

L’embargo sur la Libye avait créé beaucoup de problèmes. Des étudiants algériens et tunisiens m’ont conseillé de partir au Soudan pour étudier à l’Université africaine. J’y ai été par route. Je me suis dit une fois sur place, je demanderai le visa à une des chancelleries occidentales. Quand je suis arrivé, toutes les ambassades étaient fermées. J’ai trouvé du travail dans une société agricole.» La juge : «Comment êtes-vous allé au Pakistan ?» L’accusé : «En 1997, j’ai pris un billet d’avion. Mais une fois sur place, je n'ai pas pu trouver de travail.

Tout était payant. Durant les trois mois de mon séjour, là où j'allais, on me demandait de l’argent. J’ai rencontré des jeunes Algériens et Tunisiens qui m’ont conseillé d’aller en Afghanistan où le travail est plus facile à trouver. J’y ai été par route. Au niveau du ministère de l’Intérieur afghan, on m’a juste demandé si j'avais un métier ou un diplôme.

Je leur ai dit que j’avais un permis de conduire pour poids lourds, que j'ai obtenu lorsque le passais mon service militaire en Algérie. Ils m’ont aidé à trouver un travail comme démarcheur dans une société agricole de Ben Laden. J’ai travaillé durant deux ans dans cette entreprise, et après les attentats du 11 Septembre et les bombardements américains contre l’Afghanistan, je suis revenu au Pakistan.»

«8000 jours passés sous la torture»

La juge l’interroge sur les circonstances de sa remise aux Américains. «A l’époque, les Américains avaient décidé d’arrêter tous les étrangers arabes se trouvant en Afghanistan et au Pakistan. Ils offraient une prime de 5000 dollars pour chaque Arabe qui leur était remis. J’ai été livré en juin 2002 en contrepartie de cette prime», répond Bakhouche.

La juge : «Quelle relation aviez-vous avec Oussama Ben Laden ?» L’accusé : «Aucune. Il avait plusieurs sociétés agricoles, dont celle où je travaillais.» La présidente : «L’aviez-vous rencontré ?» L’accusé : «Non. Mais je le voyais quand il venait avec des délégations officielles.» La juge : «Que savez-vous sur les attentats du 11 Septembre ?» L’accusé : «Rien du tout. J’ai entendu parler de ces attentats à la télévision après avoir quitté le Pakistan.»

Bakhouche nie catégoriquement être passé par les campements et affirmé avoir été arrêté avec plus d’une dizaine d’autres personnes, dont trois Algériens, des Soudanais et des Palestiniens. «Ils nous ont détenus à la caserne américaine de Bagrund, à Islamabad, au Pakistan, où nous avons été torturés. J’ai reçu un coup sur la tête dont je souffre à ce jour. Après, ils nous ont transférés à Guantanamo.» La juge : «Quelle relation aviez-vous avec Al Qaîda ?» L’accusé : «Je n’ai aucune relation, ni de près ni de loin.»

Pour le procureur général, «le périple» de l’accusé «ne plaide pas pour une histoire de recherche du travail. Les pays vers lesquels il s’est dirigé, le Soudan, le Pakistan et l’Afghanistan, étaient à l’époque confrontés au terrorisme, aux conflits armés et à l’instabilité. Nous savons tous que les sociétés de Ben Laden au Soudan et en Afghanistan n'étaient qu’une couverture pour des activités d’enrôlement des jeunes». Le représentant du ministère public réclame à l’encontre de l’accusé la confirmation de la peine de 3 ans de prison ferme prononcée en première instance, assortie d’une amende de 500 000 DA.

Les deux avocats de Bakhouche ont plaidé l’acquittement en basant leur moyen de défense sur les 21 années passées à Guantanamo, «sans que les Américains ne puissent trouver des preuves sur sa culpabilité». Pour Me Hassiba Boumerdassi, «si les Américains avaient trouvé une seule preuve sur sa relation avec les terroristes, ils ne l’auraient jamais libéré.

Il y a quelque temps, alors que tout le monde croyait que Guantanamo avait été fermé, une enquête a révélé l’existence d’une trentaine de prisonniers encore dans ce centre. Ils veulent les juger pour terrorisme. Tous les détenus ont subi d’affreuses tortures. Bakhouche en fait partie. Il est le dernier Algérien qui a été livré à l’Algérie. L’avant-dernier est ici dans cette salle.

Il a bénéficié de l’acquittement. Lorsque Saïd vous dit qu’il a été vendu, oui, à cette époque, tous les Arabes étaient suspects. Leur arrestation était récompensée par une prime. Il a passé 21 ans dans cette prison, cela fait 8000 jours passés sous la torture, avec une maladie non soignée, et lorsqu’il est arrivé chez lui en Algérie, il est remis en prison». Lui emboîtant le pas, Me Ali Felah évoque les «souffrances» des détenus de Guantanamo, particulièrement celles de Saïd, qui a dû «subir 21 ans de torture et de maltraitance sans procès ni jugement».

Selon lui, c’est «grâce à une avocate qui a fait éclater le scandale de Guantanamo en défendant le principe du droit des détenus à être déférés devant un juge, que la décision de libérer de nombreux prisonniers a été prise. Cette prison était un lieu de non-droit, de déshumanisation et de supplices. Ce que Bakhouche a subi est effroyable. Il a déjà eu sa sentence. Sa place est parmi les siens». Après un délibéré de dix minutes, le tribunal criminel d’appel a déclaré Bakhouche non coupable des faits qui lui sont reprochés et l’a acquitté. 
 

 

 

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