Washington a par le passé promulgué des textes pour se prémunir des enquêtes visant ses dirigeants politiques et militaires et pour protéger ses alliés.
Alors qu’une loi sanctionnant les «tribunaux illégitimes», dont la Cour pénale internationale (CPI), pour avoir demandé des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens, a été votée mardi dernier par le Congrès et déposée jeudi au Sénat, les législateurs américains élaborent une législation visant les Maldives, pour avoir interdit aux détenteurs de passeports israéliens d’entrer dans le pays.
C’est ce qu’a appris le média électronique américain, Axios, citant des sources proches du dossier. Les Maldives avaient décidé de fermer leurs frontières aux ressortissants israéliens, en réaction à la guerre menée contre la population de Ghaza.
«Suite à une recommandation du cabinet, le président Dr Mohamed Muizzu a décidé d’imposer une interdiction d’entrée sur le territoire aux détenteurs de passeports israéliens», a indiqué le bureau de la Présidence dans un communiqué, diffusé le 2 juin. Washington se prépare donc à sanctionner l’archipel et, selon le site Axios, c’est le représentant démocrate Josh Gottheimer – fervent défenseur d’Israël – au Congrès, qui prépare, avec ses collègues des deux camps, un projet de loi, dénommé «Loi sur la protection des voyageurs alliés».
Ce projet de loi conditionne l’aide américaine aux Maldives à l’autorisation des Israéliens à entrer dans le pays. Dans un communiqué, Gottheimer a expliqué que «l’argent du contribuable ne devrait pas être envoyé à un Etat étranger qui a interdit à tous les citoyens israéliens de voyager dans leur pays.
Non seulement Israël est l’un de nos plus grands alliés démocratiques, mais l’interdiction de voyager sans précédent imposée aux Maldives n’est rien d’autre qu’un acte flagrant de haine envers les Juifs. Ils ne devraient pas recevoir un centime de dollars américains tant qu’ils n’auront pas changé de cap».
Cette même volonté de protéger Israël a été exprimée par l’adoption, mardi dernier, par 247 membres du Congrès, contre 155, d’une loi qui sanctionne les responsables de la CPI, qui avaient demandé des mandats d’arrêt internationaux contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu et son ministre de la Défense, Yohav Gallant, pour des crimes de guerre à Ghaza.
Malgré le fait que le président Biden ait exprimé son opposition officielle contre de telles mesures, 42 représentants du camp démocratique se sont joints aux républicains pour entériner ce texte, de 9 pages, qui énonce dans son premier paragraphe qu’il «peut être cité sous le nom de loi contre les tribunaux illégitimes» et précise qu’il s’agit d’«imposer des sanctions à la CPI, engagée dans tout effort visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toute personne protégée par les Etats-Unis et leurs alliés», avant de rappeler que les Etats-Unis et Israël ne sont pas parties au Statut de Rome ni membres de la CPI et par conséquent, «la CPI n’a aucune légitimité ni juridiction sur les Etats-Unis ou Israël».
Mieux encore, le texte rappelle la promulgation, en 2002, d’une loi américaine sur la protection du personnel militaire et des responsables américains ainsi que ceux de certains pays alliés, contre des poursuites pénales par un tribunal pénal international dont les USA ne font pas partie, en expliquant : «En plus d’exposer les membres des forces armées des USA au risque de poursuites pénales internationales, le Statut de Rome crée le risque que le Président et d’autres hauts responsables élus et nommés du gouvernement des Etats-Unis puissent être poursuivis par la CPI.»
Selon cette loi, «les actions de la CPI contre Israël sont illégitimes et sans fondement, y compris l’examen et l’enquête préliminaires sur Israël et les demandes de mandats d’arrêt contre des responsables israéliens et créent un précédent préjudiciable qui menace les États-Unis, Israël et tous les partenaires des Etats-Unis qui ne sont pas soumis à la compétence de la CPI.»
«Approche sélective des décisions judiciaires»
Il est souligné que dans le cas où la CPI «tente d’enquêter, d’arrêter, de détenir ou de poursuivre toute personne protégée, le Président (US) imposera des sanctions contre toute personne étrangère qui s’est directement engagée dans ou a autrement aidé tout effort de la CPI (…)».
Ces sanctions s’appliquent aussi «aux membres de la famille immédiate de chaque personne étrangère soumise à des sanctions». Elles se résument au «blocage des biens, à l’interdiction de toutes les transactions sur tous les biens et intérêts dans la propriété de toute personne étrangère si ces biens et intérêts dans des biens se trouvent aux USA, viennent aux Etats-Unis ou sont ou entrent en possession ou sous le contrôle d’une personne américaine». Il s’agit aussi de «l’interdiction de visas d’entrée aux USA et de l’inéligibilité à l’admission, à la libération conditionnelle aux Etats-Unis, à recevoir tout autre avantage en vertu de la loi sur l’immigration et la nationalité (…)».
Les sanctions économiques prévues concernent «toute personne qui enfreint, tente de violer, conspire pour enfreindre ou provoque une violation». Le texte prévoit, toutefois, une disposition relative à la «renonciation» qui permet au «Président de renoncer à l’application des sanctions imposées contre une personne étrangère» s’il y a une nécessité «vitale pour les intérêts de sécurité nationale des êtats-Unis».
Le Président américain peut, aussi « mettre fin aux sanctions» à l’égard des personnes étrangères «s’il certifie par écrit aux commissions compétentes du Congrès que la CPI a cessé de s’engager dans tout effort visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toutes les personnes protégées, a définitivement clôturé, retiré, mis fin ou autrement mis fin à tout examen préliminaire, enquête ou tout autre effort de la CPI visant à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toutes les personnes protégées».
Le texte a par ailleurs décrété l’annulation des fonds destinés à la CPI, précisé que le terme «alliés» des USA, concerne «un gouvernement d’un pays membre de l’Otan ou le gouvernement d’un allié majeur» non membre de cette organisation, et expliqué que la désignation d’un membre de la famille immédiate de la personne étrangère sanctionnée concerne «le conjoint, le parent, le frère ou la sœur ou l’enfant adulte de la personne».
La même loi a souligné en outre que le terme «personne protégée» signifie «toute personne américaine (…) y compris les membres actuels ou anciens des forces armées des USA, des fonctionnaires élus ou nommés, actuels ou anciens, du gouvernement des USA, toute autre personne actuellement ou anciennement employée par ou travaillant pour le compte du gouvernement des Etats-Unis, toute personne étrangère qui est citoyen ou résident légal d’un allié des Etats-Unis qui n’a pas consenti à la CPI ou n’est pas un Etat partie de la juridiction, y compris les membres actuels ou anciens des forces armées de cet allié des Etats-Unis (…)».
Le vote de cette loi très controversée a été précédée par une lettre d’une centaine d’ONG des droits de l’homme de l’Amérique latine, de l’Europe, de l’Asie et d’Afrique, adressée au président Biden, dans laquelle elles se sont déclarées «alarmées par les menaces brandies par des législateurs américains contre la CPI», à travers une déclaration de plusieurs sénateurs, le 24 avril dernier, appelant à des sanctions contre «les fonctionnaires et associés» du Procureur de la CPI. Pour les sénateurs signataires de la déclaration, «la capacité de la CPI à rendre justice aux victimes exige le plein respect de son indépendance».
Fatou Bensouda sanctionnée
Une approche sélective des décisions judiciaires mine la crédibilité et, en fin de compte, «la force de la loi en tant que bouclier contre les violations et abus des droits humains…». Une lettre restée sans suite. Il faut dire que les menaces américaines contre la CPI ne constituent pas des cas isolés.
La Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’Onu, a été elle aussi, la cible de tirs croisés des membres du Congrès pro-israéliens démocrates et républicains, après les injonctions qu’elle a imposées à Israël, pour mettre fin à ses opérations à Rafah.
Pour le président du Congrès, Mike Johnson, «les décisions de la CIJ et de la CPI semblent coordonnées» et «ne devraient pas être tolérées», et estimé que son pays «devrait s’opposer fermement à ce pari dangereux». Au mois de mars dernier, deux membres du camp républicains de cette chambre avaient présenté un projet de résolution condamnant l’ordonnance de la CIJ, qui a fait obligation à Israël, de prendre des mesures urgentes afin d’empêcher le génocide à Ghaza. La CIJ a été violemment prise à parti, une seconde fois.
Cette fois-ci, c'est à travers son président, Nawaf Salam, qui a été menacé de sanctions par des membres du Congrès, après la décision d’ordonner à Israël l’accès de l’aide humanitaire à Ghaza. Si aucun projet de loi sanctionnant la CIJ ne fait pas encore consensus, il n’en demeure pas moins que l’administration US, fortement noyautée par le puissant lobby pro-israélien (Aipac), ne recule pas devant ce qu’elle considère comme étant une menace de ses intérêts et de ceux de l’Etat hébreu.
La CPI en a déjà fait les frais, en 2020, lorsque son ex-procureur en chef, Fatou Bensouda, et un autre magistrat, ont fait l’objet de sanctions économiques, pour avoir ouvert l’enquête sur les crimes de guerre commis par les troupes américaines en Afghanistan.
Washington leur a appliqué la loi ASPA (Americain Service-Members Porotection Act), (votée par la majorité des membres de la Chambre, à 397 voix contre 32 et par le Sénat, par 92 voix contre 7), promulguée par le président Georges W. Bush, en début du mois d'août 2002, qui protège les membres du gouvernement américain, de l’armée et d’autres officiels et responsables de toute poursuite par la CPI. Mieux encore.
Elle assure non seulement l’immunité contre toute extradition d’Américains, mais habilite aussi le président américain à «utiliser tous les moyens nécessaires, y compris les invasions militaires, pour libérer un citoyen américain inculpé par la CPI ».
De même qu’elle conditionne la participation aux opérations onusiennes de maintien de la paix à «des garanties de non-poursuite» contre les américains et interdit toute aide militaire US aux pays qui reconnaissent la CPI. Une mesure qui ne s’applique pas, cependant, aux pays membres de l’Otan ni à ses principaux alliés, à Taïwan, ni aux Etats qui se sont engagés auprès des Etats-Unis à ne pas transférer à la CPI des citoyens américains.