A 55 ans, il a réussi son pari. Anura Kumara Dissanayaka, qui a remporté dimanche l’élection présidentielle au Sri Lanka, a pris dans les urnes le pouvoir que son parti marxiste n’avait pu arracher par les armes lors de deux insurrections meurtrières. Admirateur de Che Guevara et de Fidel Castro, le chef de la coalition de gauche a été proclamé vainqueur avec 42,3% des suffrages, devant le chef de l’opposition au Parlement Ranil Sajith Premadasa et le président sortant Ranil Wickremesinghe.
Deux ans après la pire crise économique de l’histoire du Sri Lanka, Anura Kumara Dissanayaka hérite d'un pays fragile et épuisé par la politique d'austérité brutale et impopulaire de son prédécesseur. «Le rêve que nous avons porté depuis des siècles s'est enfin concrétisé», s'est-il réjoui hier soir sur le réseau social X, «ensemble nous nous tenons prêts pour réécrire l'histoire du Sri Lanka». Tout au long de sa campagne, «AKD», comme le surnomment ses troupes, a martelé un message de défiance des élites politiques «corrompues» du pays, à ses yeux coupables de sa faillite financière en 2022.
Au fil des semaines, ce discours a convaincu un nombre croissant de Sri Lankais. Avant même l’officialisation de sa victoire, il a fait savoir qu’il ne «déchirerait pas» l’accord signé en 2023 avec le Fonds monétaire international (FMI), mais a confirmé qu’il en renégocierait certaines clauses. «Pour la première fois au Sri Lanka, le pouvoir va passer des mains d’une poignée de familles privilégiées et corrompues à un gouvernement du peuple», a promis AKD dans son programme électoral. Une proclamation qui résume l’ambition de ce fils d’agriculteur, entièrement formé à l’école marxiste du Front de libération du peuple (JVP).
Adieu aux armes
Alors communiste convaincu, il a confié que ses héros de jeunesse avaient pour nom Marx, Lénine et Engels, ainsi que Fidel Castro ou Che Guevara, dont les portraits décorent d’ailleurs toujours son bureau.
En 1971, le JVP a déclenché dans l’île une première insurrection meurtrière contre le pouvoir, vite réprimée au prix de 20 000 victimes. Seize ans plus tard, le parti a repris les armes après une loi de décentralisation qui accordait des pouvoirs à la minorité tamoule de l’île. Issu de la majorité cinghalaise, le camarade Dissanayaka se fait remarquer en prenant la tête des étudiants du JVP. Récemment, il a raconté avoir échappé, caché par un de ses professeurs, aux escadrons de la mort qui traquaient les responsables de la guérilla. Cette révolte s’achève en 1989, après avoir fait jusqu’à 60 000 morts, selon certaines estimations. Lorsqu’il prend la tête du JVP en 2014, Anura Kumara Dissanayaka tire un trait sur le passé et renonce à la lutte armée. «Nous assurons au peuple du Sri Lanka que nous ne reprendrons jamais les armes», déclare-t-il. Pour marquer sa rupture avec le passé meurtrier de son mouvement et élargir sa base populaire, il forme alors une coalition avec d’autres partis de gauche, le Pouvoir national du peuple (NPP).
Lui-même s’est largement converti à l’économie de marché, notamment à l’idée de privatiser certaines entreprises publiques. Récemment encore, il a raillé une «campagne de diffamation» dirigée contre son parti «qui dit que nous allons tout nationaliser, même les vaches»... Ses premiers pas électoraux sont modestes. Lors de la présidentielle de 2019, il ne récolte que 3% des voix. Il ne fait guère mieux un an plus tard aux législatives, où le JVP ne prend que... 3 sièges. Mais depuis la crise financière catastrophique de 2022, AKD et sa coalition ont le vent en poupe. Même s'il ne s'implique pas directement dans les manifestations qui provoquent la chute du président Gotabaya Rajapaksa, son parti surfe sur la colère de la population, jusqu’à sa victoire à la présidentielle. Le nouveau chef de l’Etat est marié et père de deux enfants.