La réponse du ministre de la Santé relative aux lauréats de l’examen d’aptitude en vue d’exercer en France qui a inclus 1200 praticiens algériens sur 2000 candidats est ahurissante et laisse perplexe les professionnels de santé.
En effet, contre toute attente, il attribue en grande partie l’absence de postes de travail et donc de période de chômage forcé pour ces praticiens, en grande majorité récemment diplômés, au maintien dans leur fonction des enseignants chercheurs hospitalo-universitaires professeurs et/ou anciens chefs de service, devant être admis à la retraite et qui continuent à exercer, refusant leur cessation d’activité, bloquant ainsi des possibilités de recrutement de jeunes collègues.
En admettant que cette explication soit plausible, par quel calcul arithmétique le départ des quelques 100 professeurs concernés régleraient le problème de recrutement de 1200 praticiens ou de la majorité d’entre eux ?
Le maintien en poste de ces praticiens hospitalo-universitaires incriminés à tort était lié à l’attente de la réparation d’une injustice, car la pension de retraite s’élevait à peine à 53% du salaire perçu au lieu de 80% comme l’ensemble des salariés de la fonction publique. Le réajustement de cette pension de retraite est intervenu récemment et se situe dans les mêmes proportions que les autres catégories de fonctionnaires, suite à la décision des plus hautes autorités du pays.
Une telle incongruité venant de la part du ministre en exercice a de quoi laisser pantois, car il n’est pas sans savoir que l’accès au grade de professeur et au poste de chef de service se fait par concours parmi les maîtres de conférences et professeurs, désirant postuler aux propositions fixées par voie réglementaire selon les statuts régissant le corps des enseignants chercheurs.
Par conséquent, le cursus des lauréats de l’examen d’aptitude cité plus haut n’est aucunement en conformité avec le remplacement des enseignants chercheurs hospitalo-universitaires de rang magistral.
Qui plus est, le ministre sait parfaitement que le poste de chef de service est libéré par le titulaire en exercice dès qu’il atteint l’âge de 67 ans, le remplacement de celui-ci se faisant par concours.
Le départ à la retraite du professeur ayant quitté la fonction de chef de service obéit aux dispositions du ministère de l’Enseignement supérieur, qui représente la tutelle administrative du corps des enseignants-chercheurs, à l’instar des autres filières d’enseignants universitaires, tous régis par les mêmes textes réglementaires.
Ces dispositions fixent l’âge de départ à la retraite à 75 ans et sont actuellement en cours d’application par les services compétents du ministère de tutelle, en l’occurrence le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
Par ailleurs, de nombreux postes libérés sont toujours vacants, faute de candidats, observés dans certaines spécialités comme la chirurgie pédiatrique par exemple où sur six postes libérés à Alger, un seul est occupé par une maître de conférences intérimaire.
A fortiori, plusieurs autres postes de rang magistral, de chefs de service et même de maître-assistants sont toujours vacants, depuis plus de 10 ans dans les CHU de Laghouat, Béchar, Ouargla, Sétif, Batna, Béjaïa et Sidi Bel Abbès.
Ces quelques précisions rendent caduques les tentatives d’explication avancées par le ministre, et il faudra chercher ailleurs les explications du départ massif des praticiens vers des cieux plus cléments.
Statut des médecins
La première explication réside dans le statut des médecins, tous corps confondus, qui confine à la précarité, voire à l’appauvrissement de ces praticiens, exerçant dans des conditions souvent lamentables, percevant un salaire qui n’est autre qu’une pension alimentaire excluant toute possibilité d’ascension sociale ou de vie confortable, dans un environnement souvent hostile.
Le parcours initial des praticiens spécialistes débute avec le service civil, dont les conditions de vie et d’exercice souvent cauchemardesques ont été tant décriées, et ont fait l’objet de tentatives de réformes qui n’ont jamais dépassé le stade de vœux pieux, car formulées par des bureaucrates ayant des idées figées et sommaires sur le développement des systèmes de santé.
Les recommandations émises par des professionnels de santé, dont notre collectif, n’ont jamais été prises en considération, pour rendre attractive cette disposition qui, il faut le souligner, ne concerne que les médecins et non les autres diplômés de l’enseignement supérieur. Après cette période, aucune mesure incitative ou attractive n’est proposée aux médecins aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé pour espérer maintenir les praticiens dans des zones non ou mal pourvues en personnel médical.
Les considérations salariales et la dégradation profonde des conditions de travail ne sont pas les seules raisons de cet exode, car le phénomène ne touche pas uniquement les médecins. Aucune filière de l’enseignement supérieur n’est épargnée, tant la considération des élites universitaires et des diplômés en général, a subi un préjudiciable nivellement par le bas.
Cette désolante situation a pour conséquence visible les entraves multiples au développement du pays confronté à de multiples défis qui ne peuvent être relevés que par l’intelligentsia algérienne rehaussée au niveau qui doit être le sien, pour enfin donner naissance à cette Algérie dans laquelle nous souhaitons vivre et prospérer.
Dans le secteur de la santé le prochain exode qui paralysera totalement nos structures de santé publique et privée sera celui des personnels paramédicaux. Les besoins des pays occidentaux se chiffrent en centaines de milliers. Ces personnels résisteront-ils au chant des sirènes provenant de ces pays ? La réponse est facile à deviner.
Le processus de réformes indispensables censées améliorer notre système de santé clamé haut et fort par les administrations successives en charge de la santé se sont limitées à des regroupements sous des appellations différentes, et n’ont connu aucune concrétisation à ce jour et font penser à l’Arlésienne.
Nous rappellerons que la contractualisation, dont le ministre semble découvrir les vertus aujourd’hui, devait être mise en œuvre au début des années 90 et que l’on avait désigné aussi trois hôpitaux pilotes pour en évaluer la faisabilité, ce que l’on semble vouloir réaliser aujourd’hui, en 2022. Ce n’est pas avec des shows médiatiques sous forme d’assises qu’on réformera notre système de santé, mis à mal par des années de gestion approximative, sans aucune évaluation rigoureuse et sans aucune perspective ni vision prospective.
Nombre de programmes nationaux, d’une importance capitale pour notre sécurité sanitaire, dorment dans les tiroirs après des années de réflexion, de réunions et de séminaires régionaux et nationaux auxquels ont participé des dizaines de professionnels de la santé en collaboration avec des représentants de différents ministères : commerce, agriculture, collectivités locales, habitat, environnement, jeunesse, éducation, information.
C’est le cas du programme national de lutte contre les facteurs de risque des maladies non transmissibles et de leur prise en charge intégrée, seul moyen de ne pas être emportés par le tsunami que provoqueront ces graves maladies que sont les maladies cardio-vasculaires, broncho-pulmonaires, les cancers, le diabète et toutes leurs complications. On s’en rappelle à l’occasion de chaque journée mondiale pour avoir bonne conscience. Quant à sa mise en œuvre effective et efficiente tout est au point mort.
Ce n’est qu’avec la participation consensuelle et exhaustive de tous les partenaires impliqués par le développement du système de santé, sans exclusive aucune que la réflexion pourra prendre la forme d’objectifs à atteindre en définissant les moyens devant être mis en œuvre pour atteindre les résultats escomptés afin d’améliorer le niveau sanitaire de la population
Alger, le 11 février 2022, le Collectif des professeurs en sciences médicales