En débarquant à Dakar et au premier abord du centre-ville historique, il y a un constat évident de pauvreté, ne serait-ce que par le nombre d’enfants qui mendient ou des adultes interpellant, certes plus discrètement, les passants pour quémander de quoi nourrir leur progéniture.
Lesquelles scènes aux alentours de la Cathédrale de Dakar contrastent avec les rapports internationaux disant que l’économie sénégalaise ne cesse d’enregistrer l’un des plus forts taux de croissance du continent.
Tout le monde parle des retombées bénéfiques sur l’économie sénégalaise de l’entrée en exploitation prochaine des gisements offshore, le gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) sur la frontière maritime sénégalo-mauritanienne et le pétrolier de Sangomar. L’Etat sénégalais table sur des recettes annuelles de près de 900 milliards de CFA, soit environ 1,37 milliard d’euros, ce qui signifie des revenus supplémentaires avoisinants les 6% du PIB national et une croissance annoncée dépassant les 10% pour 2024.
Mais le Sénégalais lambda ne voit rien arriver pour le moment. Pire encore, la rue et les réseaux sociaux sénégalais pullulent de racontars sur les dessous de table, au profit de la classe dirigeante, ayant accompagné ces fameux contrats offshore. Les observateurs raisonnables demandent d’attendre.
Dans l’espoir de voir émerger économiquement ce pays d’Afrique de l’Ouest dans un proche avenir, la capitale Dakar est déjà devenue la ville la plus chère d’Afrique de l’Ouest, selon le classement du cabinet Mercer, confirmant les propos des habitants de la ville. «Les prix du loyer et de l’électricité ont flambé, ceux des denrées alimentaires ont augmenté de près de 30% et les mesures annoncées par le Président Sall pour lutter contre l’inflation ont été appliquées pendant quelques semaines, avant que les prix ne reprennent leur hausse», assure à El Watan l’étudiant Idrissa Etouke, vivant à Dieuppeul, au centre de Dakar. Idrissa confie : «Vivre, non ! C’est compliqué… On survit à Dakar.»
Ce constat est renforcé par Mustapha Cissé, le correspondant du journal mauritanien en ligne «Le 360Afrique», qui explique la mendicité croissante à Dakar par l’exode rural et l’arrivée massive des ruraux dans les grandes villes. Notre interlocuteur précise que «les indicateurs de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal (ANSD) évaluent le taux de pauvreté à 46,7% au niveau national et 57,3% en milieu rural», ajoutant que «la pauvreté perçue est encore plus importante avec 69% des ménages ruraux se déclarant pauvres, 53,2% se voient même très pauvres». Ces derniers constituent le noyau central de l’exode rural et de la mendicité urbaine, selon les études de l’ANSD, parrainées par la Banque mondiale. Les politiques sénégalais ont du pain sur la planche.
Tension politique
Le Sénégal a fait face, ces derniers mois, notamment depuis les émeutes de juin 2023, à une profonde instabilité politique, sur fond de préparation des prochaines présidentielles de février 2024. Pour la première fois de l’histoire du Sénégal, le président sortant ne sera pas candidat à sa propre succession. Macky Sall a déjà annoncé en juillet dernier qu’il ne briguera pas de troisième mandat, conformément à la Constitution qui limite à deux le nombre de mandats consécutifs.
La décision du Président Sall a relativement apaisé les esprits, suite aux violentes manifestations et émeutes qui ont éclaté dans les différentes villes du Sénégal en juin dernier, en soutien au principal visage de l’opposition, Ousmane Sonko, à la suite de ses condamnations, notamment son inéligibilité et la dissolution de son parti, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).
Ce parti était au centre de l’alliance «libérer le peuple», formée en 2021 pour fédérer l’opposition et empêcher la coalition du Président Macky Sall «Unis par l’espoir» de gagner les élections municipales de 2022. Pari réussi puisque plusieurs villes, notamment Dakar, ont échappé à la majorité présidentielle. Sonko et ses fans disent que ces affaires judiciaires sont juste un alibi pour ruiner l’avenir politique de leur poulain.
A moins de deux mois des élections présidentielles du 25 février 2024, une bonne partie de la jeunesse sénégalaise, notamment dakaroise, trouve chez Ousmane Sonko la politique de rupture avec la gouvernance de Macky Sall.
Cet opposant, diplômé de l’Ecole nationale de l’administration du Sénégal, soutient la sortie du franc CFA, la réduction du train de vie de l’Etat et la mise en place d’un Fonds patriotique pour financer les petites et moyennes entreprises ainsi que les industries nationales. Les multiples affaires judiciaires contre lui l’ont propulsé en véritable «star» politique, notamment pour les jeunes. Sonko est néanmoins écarté, jusque-là, de la course à la magistrature suprême.
Le Conseil constitutionnel a rejeté sa candidature pour «dossier incomplet», sans autre précision. Ses avocats ont présenté des recours devant la Haute Cour et attendent un verdict avant le 20 janvier 2023, délai de rigueur pour annoncer la liste définitive des candidats. 21 candidats ont été retenus en cette phase de vérification des parrainages, parmi les 93 dossiers présentés. D’autres filtres sont attendus avant la phase finale.
La coalition dirigeante a présenté l’actuel Premier ministre, Amadou Ba. Le PASTEF, parti de Sonko, a vu valider la candidature de son secrétaire général, Bassirou Diomaye Faye, emprisonné suite aux émeutes de juin dernier mais éligible. L’opposition dispose également d’autres candidats comme l’ancien ministre, Habib Sy, ayant travaillé pour quatre ans dans l’équipe de MackySall.
Sy est proche du Pastef. D’autres figures comme Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar ou Karim Wade, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, demeurent également en course, preuve que ces élections sont ouvertes à tous les pronostics.
Dakar
De notre envoyé spécial Mourad Sellami