A chaque fois qu’il vante le déménagement pharaonique du centre de sa ville dans l’Arctique suédois, le maire de Kiruna Gunnar Selberg se fait sermonner par une citoyenne très insatisfaite: sa femme. «Je lui dis : ‘Tu imagines ? On fait partie de cette histoire, on construit une nouvelle ville pendant que l’ancienne est détruite’», explique-t-il à l’AFP en montrant une grande maquette des travaux de reconstruction de sa ville. «Et elle se met en colère contre moi, elle est déçue. Elle trouve que c’est triste, elle ne veut plus voir la vieille ville, ça lui fait du mal...», raconte l’édile dans le grand hall splendide de sa nouvelle mairie. Comme le premier couple de cette cité jouxtant la plus grande mine souterraine d’Europe, l’abandon en cours du vieux centre-ville pour permettre de continuer à creuser toujours plus profond dans son immense filon de fer divise les 18.000 habitants. La cité, fondée à l’aube du XXe siècle en même temps que la compagnie minière LKAB pour exploiter un immense gisement ferrugineux situé à 200 km au nord du cercle polaire arctique, vient d’inaugurer en septembre son nouveau centre-ville, à un peu plus de trois kilomètres de l’ancien. Avec l’affaiblissement du sous-sol, les vieux quartiers risquaient tout simplement l’effondrement sous les mouvements du terrain. Voilà 15 ans qu’ont débuté les premiers travaux du «déménagement», dont la facture estimée à 3 milliards d’euros est en partie réglée par LKAB. Selon les dernières estimations, le chantier va encore durer 20 à 30 ans, peut-être le double si la mine obtient l’autorisation de descendre encore plus bas.
La nouvelle mairie, superbe écrin circulaire signé de l’architecte danois Henning Larsen, avait été le premier bâtiment à être inauguré, en 2018. L’horloge de fer qui trônait dans la vieille ville a été symboliquement installée devant l’entrée. La haute tour d’un hôtel moderne lui fait désormais face, ainsi qu’une grande galerie marchande. Un peu plus loin, des grues s’activent sur le chantier de la piscine. Mais beaucoup, y compris le maire, reconnaissent que la greffe est difficile à prendre. «Les gens ont tendance à penser ‘c’est fantastique !’, ‘c’est un projet tellement énorme’. L’opérateur (de la mine) LKAB vend toujours une image positive, où tout le monde est content. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde», reconnaît M. Selberg. «Là, on est au milieu du gué», décrit-il, avec une ville coupée en deux entre ce qui n’a pas encore fermé et ce qui vient d’ouvrir. «Les gens continuent à vouloir aller au restaurant ou à sortir dans la vieille ville, et en même temps les boutiques ouvrent ici.» Des immeubles entiers du vieux centre-ville, vidés de leurs occupants et de leurs boutiques, sont désormais entourés de grandes palissades bleues pour en bloquer l’accès, avant leur prochaine démolition. A l’heure actuelle, 6000 personnes sont concernées, mais davantage si LKAB obtient de creuser encore plus. La compagnie vient également d’annoncer la découverte de ce qui serait le plus grand gisement de terres rares d’Europe, juste au nord de la cité. Le temps presse pour Kiruna : la plus grande école de la ville, dont les nouveaux locaux ne sont pas encore prêts, fait face à de grosses lézardes dues à l’affaissement du sol.