Dans cet entretien, l’historien Daho Djerbal fournit de précieux éléments de compréhension de la portée politique de «l’Evènement 1er Novembre 1954».
Il explique comment une poignée de militants en rupture de ban, des cadres de l’OS dans leur majorité, des «irréguliers» comme on les appelait, en dissidence par rapport à l’appareil du MTLD, ont décidé du passage à l’acte, comprendre le déclenchement de la lutte armée, convaincus qu’ils étaient que c’était le seul moyen d’inverser le rapport de force vis-à-vis de l’ordre colonial. En cet automne 1954, les premiers combattants étaient en effet peu nombreux et mal équipés, dit Daho Djerbal, et ils étaient sans véritable formation en techniques de guérilla. Cependant, ils étaient animés d’une détermination de fer, insiste l’historien. Daho Djerbal souligne le poids du traumatisme des massacres du 8 Mai 1945 dans l’aggravation et l’accélération de la rupture d’avec la France ; rupture qui se trouvait ainsi intériorisée par un grand nombre d’Algériens lorsqu’arrive le «moment 1954».
Par ailleurs, le directeur de la revue NAQD analyse avec soin l’évolution des mouvements anticoloniaux en Algérie depuis les résistances du XIXe siècle, celles menées par l’Emir Abdelkader et Cheikh El Mokrani, notamment, et montre de quelle manière les nouvelles structures du nationalisme algérien ont réussi le pari de mener jusqu’au bout le combat contre l’occupant et de libérer la patrie après 132 ans de colonialisme.
Propos recueillis par Mustapha Benfodil
M. Djerbal, en tant qu’historien, vous avez consacré une grande partie de vos travaux à l’histoire du Mouvement national et de la Guerre de libération nationale. Qu’évoque pour vous ce 70e anniversaire du soulèvement du 1er Novembre 1954 ?
La question des commémorations est à discuter. Cela permet à la presse, aux médias, aux institutions, de marquer l’évènement de façon officielle, et de le présenter comme un évènement constitutif de l’Algérie en tant qu’Etat et en tant que nation. Il y a aussi les commémorations organisées par des associations de la société dite civile, et celles faites par des communautés diverses, y compris par la diaspora à l’étranger. Donc, d’une manière ou d’une autre, ces célébrations sont la manifestation de l’unité nationale, et de l’unité, entre la société, les institutions et l’Etat algérien, qui en font un moment fondateur de leur histoire contemporaine. Mais cela ne va pas plus loin, parce que souvent, ces commémorations ne sont ni plus ni moins que de simples rituels. Elles n’ont pas de portée politique réelle. Il n’y a pas de débat de fond entre ces diverses composantes de la nation. Il n’y a pas de discussion dans l’espace public et dans l’espace institutionnel sur les tenants et les aboutissants de cet évènement et les facteurs qui l’ont produit. Et comme le disait un de mes aînés : dès le moment où l’on commémore en grande pompe un évènement ou que l’on édifie une statue monumentale à un personnage illustre, on l’enterre une seconde fois.
Dans plusieurs de vos écrits, vous soulignez que les premiers groupes qui ont allumé la mèche la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954 étaient mal équipés et manquaient cruellement d’effectifs. Que dans certaines régions, ils n’avaient ni armes ni munitions, ou bien c’était un armement défaillant. Qu’est-ce qui a fait que le déclenchement de l’insurrection ait mobilisé si peu d’hommes et de moyens, d’après vous ? Est-ce un problème de préparation ou bien est-ce une conséquence de la scission au sein du PPA-MTLD ?
Il faut savoir que la crise qui a commencé bien avant 1953-1954 au sein du PPA-MTLD a été marquée principalement par la dispersion des membres de l’Organisation spéciale (l’OS). On a envoyé ses membres qui étaient recherchés par toutes les polices dans les régions de l’intérieur, sans mission réellement définie. Ils étaient considérés comme des «irréguliers». Ils n’avaient aucune fonction reconnue par la direction du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) qui ne voulait pas être accusée de préparer une insurrection armée et de risquer sa dissolution. Donc, il y a eu en quelque sorte un «lâchage» de l’Organisation spéciale par la direction du MTLD, et cela a été vécu par les «irréguliers» comme un abandon de l’idée même de passer à la lutte armée. Et à ce moment-là, des membres de la direction de l’OS, en particulier Mohamed Boudiaf et Didouche Mourad, ont été envoyés à la délégation extérieure du MTLD en France pour s’occuper de tâches courantes relevant de l’organique. Ils le faisaient clandestinement, sous des noms d’emprunt, et peu de gens – bien informés ou témoins de leur affectation –, savaient qu’ils avaient participé à l’organisation de manifestations importantes des immigrés algériens en France comme celle en particulier du 1er mai et du 14 juillet 1953 à Paris. Les autres membres, dans les différentes cellules de l’Organisation spéciale, que ce soit en Kabylie, dans le Nord-Constantinois, en Oranie et ailleurs, ont été dispersés. Ils ont donc vécu dans la clandestinité comme des «irréguliers». La direction du MTLD s’est progressivement délestée du soutien matériel, du soutien financier, du soutien humain, à l’Organisation spéciale née d’un compromis en 1947 entre les partisans de la voie électorale et ceux du passage à la lutte armée. Ceci fait que, finalement, le groupe qui a dénoncé cette attitude du Comité central du MTLD, et qui s’est mis à préparer le passage à la lutte armée, c'est-à-dire le soulèvement de Novembre 1954, n’avait pas l’appui ni les moyens délégués par la direction du MTLD pour réorganiser la Spéciale et disposer de tous les ingrédients qui lui auraient permis de lancer une offensive générale sur tout le territoire avec les moyens appropriés. Beaucoup de responsables de la Spéciale ont dû, à la veille de novembre 1954, emprunter de l’argent, soit à leurs parents, soit auprès d’amis, ou recourir à des moyens divers pour pouvoir acheter dans les circuits parallèles les armes et les munitions ; des armes qui, pour une bonne partie d’entre elles, n’ont pas fonctionné. Cela a été souligné dans divers témoignages déjà parus ou en voie de l’être : l’initiative du Groupe des 21 ou du Groupe des 22 – en fonction des positions des uns et des autres – a en fait lancé cette action à l’échelle nationale avec des éléments sous-équipés, qui avaient décidé, envers et contre tout, de franchir le Rubicon et d’aller à l’aventure, déterminés et sûrs qu’ils seraient suivis par le peuple.
Est-ce qu’on a une estimation du nombre des premiers combattants de l’ALN ? Y a-t-il eu un recensement dans ce sens ?
De ce que je sais, pour le Nord-Constantinois, les effectifs étaient extrêmement réduits. Lakhdar Bentobbal, au moment où l’on enregistrait son témoignage, avait demandé à ses anciens compagnons d’armes d’établir des listes, et ces listes ont été publiées dans le tome 1 de son livre (c.f. Daho Djerbal. Lakhdar Bentobbal, Mémoires de l’intérieur. Editions Chihab, 2021). Ils étaient quelques dizaines, pas plus, pour l’ensemble du Nord-Constantinois. Pour le cas des Aurès, Mohammed Larbi Madaci, à partir de témoignages recueillis auprès de Adjal Adjoul et d’autres acteurs éminents de la Zone 1, a tenté une estimation, comme l’a fait aussi l’historienne Ouanassa Siari Tengour, également pour les Aurès, ou encore Mohamed Téguia, l’auteur de L’Algérie en guerre (OPU, 1988), pour la Kabylie. Il me semble qu’il est du devoir des institutions, en particulier de l’Organisation nationale des moudjahidine et du ministère des Moudjahidine, de recueillir ou de traiter les témoignages déjà recueillis, pour donner un chiffre plus ou moins exact des effectifs au soir du 1er Novembre 1954. Il ne faut pas oublier que la Spéciale était une organisation clandestine dont même les éléments du Comité central du MTLD ne connaissaient pas les effectifs réels.
Quelle a été la réaction de Messali au déclenchement de l’insurrection ?
Il y a eu des échanges entre les partisans de Messali Hadj et les partisans du FLN. Ces échanges ont eu lieu dans les premiers jours, dans les premières semaines et durant les premiers mois qui ont suivi l’entrée dans l’action armée. L’historien Mohamed Harbi en a publié une partie dans son ouvrage, Les Archives de la Révolution algérienne. Si bien que certains, particulièrement en France, ont pensé que l’insurrection a été déclenchée par des éléments proches de Messali Hadj. Il y a eu des demandes de soutien financier, et dans certaines régions, les gens ont envoyé leur contribution à des militants qui étaient restés fidèles à Messali. D’autres éléments qui étaient dans les réseaux clandestins de Boudiaf, de Didouche, de Ben Boulaïd, etc, ont commencé à envoyer de l’argent au FLN naissant. Donc au fond, on ne sait pas. On ne peut pas répondre avec précision à votre question. Le travail reste à faire et le débat doit être libre, ouvert et sans restriction entre toutes les composantes du Mouvement national.
Mais dans le fond, Messali Hadj n’était pas contre le principe de la rupture radicale avec le système colonial…
Pour Messali, la question était à un autre niveau. Le groupe qui a décidé du passage à la lutte armée avait envoyé des représentants pour rencontrer Messali Hadj et le tenir informé. Lui, sa position, c’était de ne pas reconnaître ce groupe parce qu’il était en pleine réorganisation du comité directeur du PPA-MTLD et donc en conflit avec les éléments du comité central du MTLD. Et ce conflit était encore ouvert. De ce fait, il n’était pas question pour lui de reconnaître une action qui pouvait constituer une aventure dans la mesure où elle n’était pas initiée par la direction du parti.
La création du MNA après la dissolution du MTLD a-t-elle gêné la propagation de l’onde de choc du 1er Novembre ?
Comme je l’ai dit, beaucoup de militants du PPA-MTLD, et particulièrement du PPA clandestin, pensaient que ces maquis et ces actions armées ont été initiés par la direction du Mouvement national, donc par Messali. Du coup, ils y ont adhéré comme si ce Mouvement national était encore unifié. Ils n’étaient pas informés de la scission et du violent conflit entre les partisans de Messali et ceux du groupe qui a lancé Novembre 1954. Ce n’est qu’après une année ou une année et demie que les choses sont devenues plus claires. Il convient de préciser aussi qu’il n’a jamais été question pour Messali Hadj de dénoncer le passage à la lutte armée. Il y a eu des maquis en Algérie et des régions entières de l’organisation en France qui étaient restés messalistes, qui ont combattu contre l’armée française et pour la libération de l’Algérie. Les maquis du MNA n’étaient pas des maquis anti-FLN, au départ en tout cas.
On s’accorde à dire que le 1er Novembre a été un catalyseur de la lutte indépendantiste, et qu’il a eu un effet fédérateur. Cet effet s’est-il produit dès le début de l’insurrection ou bien il a fallu du temps pour que les autres courants se fondent dans la nouvelle structure nationaliste ?
Il faut garder à l’esprit que le déclenchement de la lutte armée le 1er Novembre 1954 s’est fait par des groupes clandestins, isolés sur le territoire national. Il a fallu longtemps pour que ces groupes puissent survivre à la première contre-offensive des autorités françaises, avec son lot de répression, d’arrestations, de destruction des refuges et des bases de repli, dans le but d’étouffer dans l’œuf le message éminemment politique du passage à la lutte armée. Ce message politique était d’autant plus brouillé que la presse coloniale dénonçait ces opérations en les présentant comme des actes commis par des bandits de grands chemins et pas des actions révolutionnaires contre le colonialisme et la présence coloniale française en Algérie. Dès lors, dans l’esprit des gens, on ne comprenait pas ce qui se passait. Cela paraissait au départ, pour certains et dans certaines régions, comme des actions isolées. Il faut noter aussi que l’ensemble des structures de la Spéciale, qui ont constitué le creuset des hommes de Novembre, ont été dissoutes et leurs membres arrêtés ou dispersés dans la nature. Ainsi, la circulation de l’information depuis cette structure clandestine plus ou moins éclatée a mis du temps à parvenir à l’opinion publique. Voilà pourquoi les gens n’ont pas saisi tout de suite qu’il s’agissait d’une action de grande portée politique et pas du banditisme dans la bonne tradition des «bandits d’honneur». Si on écoute bien le témoignage de Lakhdar Bentobbal, on se rend compte que jusqu’au printemps de 1955, la cause n’était pas gagnée. La cause du FLN-ALN pour être plus clair. La question des refuges, la question des bases de repli, de la communication et de la coordination entre les différentes zones, la question de l’appui des populations aux premières unités du FLN-ALN, tout cela, c’était encore en train de se mettre en place. Ce n’était pas tout à fait réglé. C’est essentiellement à partir de mai-juin 1955 que les choses ont commencé à s’éclaircir avec des opérations de plus en plus importantes de l’ALN sur le terrain. Et pour terminer, pour le Nord-Constantinois en tout cas, l’action du 20 Août 1955 a été un réel et décisif tournant historique. Ainsi, il a fallu attendre de novembre 1954 à août 1955 pour qu’enfin, le FLN-ALN puisse défrayer la chronique en tant que tel et qu’il soit reconnu comme un maquis d’une armée de libération qui était en train de s’imposer sur le terrain et de gagner l’adhésion du peuple.
Comment le FLN et l’ALN ont-il pu tenir le choc, faire preuve de résilience et se reconstruire après la répression féroce qui allait s’abattre sur les militants nationalistes dans la foulée des premières opérations de Novembre 1954 ?
C’est d’abord la détermination. Ils avaient une détermination sans faille et la conviction que c’était le seul moyen de s’affranchir du colonialisme. Et cette détermination et cette conviction ont été progressivement acquises par le peuple algérien quand il voyait qu’il y avait des gens qui, héroïquement, affrontaient l’armée française, affrontaient la répression coloniale en mettant leur vie et celle des leurs en jeu. Ils payaient le prix de leur engagement avec les procès, les condamnations à mort, les exécutions… La répression de l’armée française, aveugle, qui touchait de plus en plus de monde, faisait en sorte que les gens comprenaient la nécessité de résister et de passer à la lutte armée. Ce qui est important de préciser également, c’est qu’au fond, le passage à l’action directe, ouverte, contre la présence coloniale, a été un acte politique majeur beaucoup plus qu’un acte purement militaire.
La résistance à l’occupant, y compris par les armes, a jalonné toute la période coloniale, à commencer par le combat mené par l’Emir Abdelkader. Qu’est-ce qui a fait que cette fois, l’insurrection a pris, entraînant dans son élan l’ensemble de la société algérienne ? Est-ce le génie des cadres de l’OS qui ont pris tout le monde de court en décidant du passage à l’acte ? Est-ce le souvenir violent des massacres du 8 Mai 1945, ou, tout simplement, le poids et la brutalité de la colonisation que le peuple algérien ne pouvait plus supporter ?
Les premières résistances, ce sont les résistances du XIXe siècle. Et ces résistances étaient marquées par leur caractère communautaire. Ce sont des communautés qu’on a appelées à l’époque des «communautés tribales» ou des «confédérations de tribus» qui ont appelé à la résistance. C’était soit des communautés confrériques, soit des communautés de parenté ou de voisinage, avec leurs chefferies qui se rassemblaient, levaient une armée (djound) et faisaient serment de résister à l’invasion de l’Algérie par les troupes françaises. Ces premières résistances étaient des résistances régionales puis inter-régionales, elles n’ont jamais formé une résistance unifiée à l’échelle de tout le territoire national. Ce sont les confréries, que ce soit la Qadiriya ou la Rahmania, qui ont constitué la base de l’extension de la résistance dans les limites de leur influence. C’est la Rahmania qui a donné à l’insurrection d’El Mokrani sa dimension inter-régionale, couvrant un territoire qui allait des frontières tunisiennes jusqu’aux Beni Menacer, dans la région de Ténès et Cherchell, et des montagnes du Dahra jusqu’à Touggourt. L’insurrection d’El Mokrani a commencé à Bordj Bou Arréridj, dans la Medjana, les Ouanougha et la région de Bordj Sétif. Il faut ajouter aussi l’apport de la Rahmania de la Qalaa des Béni Abbas à ce mouvement insurrectionnel. Donc, l’infrastructure de la Qadiriya et celle de la Rahmania ont donné une dimension beaucoup plus importante à ces soulèvements menés par l’Emir Abdelkader puis El Mokrani. Ce fait est la caractéristique des résistances du XIXe siècle. Au XXe siècle, la résistance anticoloniale s’est dotée d’une pensée politique et d’une structure à caractère national, à commencer par l’Emir Khaled qui, le premier, a parlé de la question de la citoyenneté algérienne et du droit à l’autodétermination pour la nation algérienne. Après l’Emir Khaled, il y a eu Abdelkader Hadj Ali et Messali Hadj avec la création de l’Etoile nord-africaine (ENA) en 1926, puis celle du PPA en 1937. L’ENA devenait progressivement une structure de dimension nationale. Elle s’est déplacée en Algérie en 1934 et a vite pris racine. La glorieuse Etoile nord-africaine a jeté les bases d’une pensée politique nationale indépendantiste et d’une structure politique organisée, centralisée, et quand elle a été dissoute, le PPA a pris le relais à partir de 1937. Par la suite, la création du FLN-ALN d’un côté, et du MNA-ANP, de l’autre, a conféré une dimension armée à la question politique de la rupture d’avec la France. Et c’est là la différence fondamentale avec les résistances du XIXe siècle. Sous l’impulsion de ces nouvelles organisations, le combat libérateur a acquis une envergure nationale, depuis les frontières marocaines jusqu’aux frontières tunisiennes, avec l’émigration. Et c’est la structure politique du FLN-ALN qui a donné cette possibilité au peuple algérien de s’intégrer et d’avoir une représentation à caractère national et une représentation politique avec le CCE et le GPRA.
Le 8 Mai 1945 a été un tournant ?
Le 8 Mai 1945 a constitué effectivement un tournant historique extrêmement important qu’il faut rappeler. Quand on parle du 8 Mai 1945, ce n’est pas seulement l’évènement de Sétif avec la manifestation populaire où on a brandi le drapeau algérien, la revendication de l’indépendance de l’Algérie et la terrible répression qui a suivi. La répression s’est étendue à toute la région, jusqu’aux côtes maritimes en passant par le massif des Babors et les gorges de Kherrata. Au large de Souk El Thenine, la flotte française avec le Duguay-Trouin a commencé à bombarder les massifs montagneux, soutenue par l’aviation militaire française. L’artillerie de campagne de l’armée de terre française s’est mise elle aussi à pilonner la région. Il faut lire le livre de Redouane Ainad-Tabet sur le 8 Mai 1945 (Le 8 Mai 1945 en Algérie, OPU, Alger, 1987) ou l’historienne Annie Rey Goldzeiger et d’autres encore. Ils décrivent avec force détails toutes les facettes de cette répression qui a fait selon certaines sources 45 000 victimes. Et ces 45 000 victimes ont été enregistrées en quelques jours. Avec les arrestations, les exécutions sommaires, les déportations dans les camps de détention en Algérie et de l’autre côté de la planète, la population a subi un choc majeur. Le peuple algérien dans son ensemble a subi un véritable choc le 8 Mai 1945. Et ce choc traumatique a définitivement inscrit dans les consciences des Algériens que l’entente et la coexistence pacifique avec la France occupante n'étaient plus possibles. C’est un tournant qui a fait que la cause de la séparation de l’Algérie avec la France, minoritaire jusqu’alors, était dorénavant entendue dans le conscient et l’inconscient du plus grand nombre. Tous les témoignages des cadres dirigeants du PPA-MTLD puis du FLN-ALN, ainsi que de l’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN, que j’ai recueillis, s’accordent sur le fait que le «moment 1945» a été un moment décisif de leur engagement et un point de bascule vers la rupture d’avec la France. Ils étaient des enfants et ils ont vu leurs parents emportés par la répression, assassinés, abattus sans sommation et leurs villages rasés.
A ce moment-là, la voie de la conciliation, c’était fini. Pour ces enfants-là, la France était l’image de l’oppresseur. Ce n’était plus l’image d’une France bienfaitrice, de l’entente cordiale et de la coexistence pacifique. C’est cela le 8 Mai 1945 : le point de non-retour de la cause algérienne et de la cause de l’indépendance.
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Bio express
Maître de conférences en histoire contemporaine au Département d'histoire de l’université Alger 2, Daho Djerbal est titulaire d'un DES en histoire contemporaine et d'un doctorat obtenu à l'université Paris 7. Après une dizaine d'années de travaux en histoire économique et sociale. Daho Djerbal s'oriente vers le recueil de témoignages d'acteurs de la lutte de Libération nationale en Algérie et le travail sur la relation entre histoire et mémoire. Parmi ses ouvrages : L’Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN. (Editions Chihab. 2012). Lakhdar Bentobbal, Mémoires de l’Intérieur (éd. Chihab, 2021) suivi de Lakhdar Bentobbal, La Conquête de la Souveraineté (éd.Chihab, 2022). Ahmed Bouda, Fragments de mémoire (Hors-collection, NAQD, 2024). Par ailleurs, Daho Djerbal est co-fondateur de la revue de critique sociale NAQD qu’il dirige depuis 1993.